Quand on n’a pas d’argent, il faut avoir des idées. Les
projets d’armements en France ne se suivent pas forcément : le programme
MGCS qui devait remplacer le Leclerc en
2035, ne les remplacera pas avant 2045. Nous nous trouvons donc avec un écart
de 10 ans auquel il faut ajouter une modernisation à mi-vie qui avait déjà été
retardée. Entré en service en 1995, le Leclerc fête ses 28 ans de service.
Quand il quittera le service, il aura plus de 50 ans…
Comme je l’ai déjà expliqué dans mes précédents articles
(1), je considère la période 2015-2035 comme la plus dangereuse pour la
stabilité mondiale. Malheureusement pour notre défense, c’est la période que le
Ministère ne prend pas en compte dans son plan de modernisation des armées. Or,
durant cette période nos compétiteurs, eux, ne s’arrêteront sans doute pas de
travailler et nous aurons donc beaucoup de mal à rattraper le retard
considérable pris.
Comment réagir rapidement en cas de montée des périls ?
Comment augmenter notre puissance dans un environnement politique et économique
défavorable ? La solution peut être de passer, dans le domaine des
blindés, par une petite révolution conceptuelle.
Un rapide bilan de l’emploi des chars au combat peut être
utile. D’abord, les chars ne sont pas utilisés pour l’emploi pour lequel ils
avaient été conçus c’est-à-dire, la lutte antichars et l’exploitation. Au
contraire, les chars font à 98% des missions d’appui et de soutien
d’infanterie. Leurs principaux ennemis ne sont pas les canons de chars et les
roquettes mais l’artillerie, les drones et les missiles. Il est aussi constaté
que ce sont des équipements dont le coût est largement inférieur à celui des
chars (1000 dollars pour un drone FPV contre 6 millions de dollars pour un char
en moyenne) qui sont à l’origine de la destruction de ces derniers, et ceci, quel
que soit le degré de technologie intégrée dont bénéficient les blindés.
Ces constats imposent donc des changements dans la
perception d’un véhicule de combat principal aujourd’hui. Le premier est que
l’accent doit être mis sur une protection globale plus importante mais
principalement axée contre les effets des charges militaires porté par les
missiles ou l’artillerie. L’armement doit être consacré à lutter contre
l’infanterie en zone complexe. Les technologiques qui seront intégrées à
l’engin ne doivent pas provoquer de surcoût inutile, mais au contraire, être
avant tout simples et robustes. L’engin ne doit pas avoir un coût d’achat et de
possession élevé mais, au contraire, le plus bas possible.
Les choix
Le char sera à train de roulement chenille souple
oléopneumatique pour la souplesse de tir en roulant, l’avantage de la chenille
étant de pouvoir augmenter la masse de protection sans avoir à modifier les
organes de mobilité du véhicule comme les freins ou la boîte de vitesse. La
masse devra tourner autour de 30 tonnes.
On peut imaginer cet engin de multiples façons. Beaucoup
envisage un char robotisé (2), mais en raison des délais et du manque de
maîtrise de la technologie, je ne prendrais pas cette option. Par contre, je
pense qu’une tourelle robotisée pourrait être intégrée plus facilement. En
effet, la tourelle en elle-même s’intègre comme un élément de protection et
limite les risques pour l’équipage. Cela impose aussi le choix de la vidéo
comme moyen d’observation. Les caméras ont fait globalement des progrès et il
est inenvisageable de pas les intégrer. Elles améliorent la protection et elles
sont facile à intégrer au véhicule. Il n’est pas nécessaire, en effet, de faire
de découpes particulières dans le blindage pour les intégrer et leur présence
n’est pas une zone de faiblesse. Cela ne nécessite pas de réflexion sur
l’agencement des personnels dans le véhicule. Ceux-ci pourront être installés
dans la partie la moins exposée.
La protection doit couvrir sur 360°. Cela impose des choix
technologiques. Dans le domaine des blindages passifs, il n’y aura pas, à court
terme, de révolution technologique financièrement économique. L’intégration de
matériaux innovants (nano-cristal de céramique ou d’acier, nouvelles céramiques,
graphène) se fera de manière partielle tant que les coûts ne seront pas
maîtrisés.
C’est pour cela aussi qu’à l’instar du Merkava, le moteur se
trouvera à l’avant. Ainsi, il bénéficiera directement de la protection passive
à l’avant blindé mais, obstacle complémentaire, il servira, par ailleurs, de
protection à l’équipage. Cette formule conceptualisée par les Israéliens est nécessaire en raisons du
nombre peu élevé de combattants dans les armées modernes et correspond à
l’esprit des nations modernes qui veulent économiser le sang de leurs
populations même au dépend de leurs machines.
Les risques d’explosion
du carburant, du moteur et des munitions doivent être pris en compte. Le
réservoir doit être aménagé en plusieurs compartiments étanches et auto-obturants
qui, en cas d’impact, empêchent l’explosion de l’ensemble. Pour plus de
sécurité, les munitions doivent être « muratisées » c’est-à-dire
insensibles aux attaques avec des détonateurs optiques.
La menace missile impose d’y adapter des protections actives
qui, idéalement, couvriront de manière sphérique l’ensemble de l’engin, voire
collaborera avec d’autres engins. Aucune zone ne seront non couvertes, au
contraire de ce qui se passe actuellement.
Utilisant les dernières technologies de camouflage, le
véhicule sera aussi plus difficile à
repérer, que ce soit du sol ou du ciel.
La taille du char va également être un facteur de protection.
Loin des puissantes machines de combat modernes, le véhicule sera beaucoup plus
petit, tout en ayant une protection équivalente aux autres MBT. Cela sera rendu
possible par l’adoption d’un équipage réduit à deux membres et à un nouveau
choix d’armement offensif.
Celui-ci va effet vivre une petite révolution dans le monde
des chars. Loin de considérer le canon comme dépassé, la révolution des FPV va
peut-être bouleverser les normes.
La révolution FPV.
Le FPV est un drone léger disposant d’une caméra à vue
directe (3) qui lui permet d’être piloté jusqu’à l’impact. Les plus rapides
volent à plus de 200km/h, ce qui leur permet de parcourir 2 kilomètres en 40 secondes, presque
l’équivalent d’un tir de missile. Le FPV peut frapper l’endroit le plus
sensible du char avec une précision bien meilleure que celle d’un missile (même
de dernière génération), et surtout à un prix défiant toute comparaison. Les
derniers modèles peuvent travailler en réseau et en essaim. Les charges, bien
que légères, permettent de détruire tout type de blindés, mais aussi d’attaquer
des positions défensives ou de l’infanterie à découvert.
L’intégration des FPV militarisés avec des liaisons
renforcées ou disposant de mode tir et oubli est l’évolution future possible de
cette arme. Installés dans les silos de lancement verticaux dans la tourelle ou
dans le châssis, les drones pourraient attaquer de multiples cibles en même
temps. Le tout est d’avoir un système de repérage et de ciblage déporté
efficace. On pense naturellement au système SCORPION mais un drone
d’observation câblé peut aussi faire fonction.
Capable de frapper bien au-delà de la crête de multiples cibles,
le char ainsi équipé pourrait faire basculer une situation difficile sur le
terrain très rapidement et avec précision.
Pour traiter les cibles résiduelles et les cibles d’urgence,
un canon mitrailleur de 30 ou de 40 mm doit compléter l’armement. Polyvalent,
il sera en mesure de traiter les fantassins autant que les blindés moyens. Sa
capacité d’élévation lui donne aussi la possibilité de frapper des cibles dans
les étages ou des appareils volants. Couplé à un système radar et acoustique,
cet armement devra aussi assurer la protection anti-drones du véhicule.
Des esprits chagrins diront que ce véhicule existe déjà et
qu’il s’appelle Jaguar. Sauf que le véhicule que je propose n’a pas la même
protection, pas le même agencement, pas le même armement. Le Jaguar est
beaucoup moins bien protégé et sa puissance de feu reste limitée. En
comparaison, le char aura la protection équivalente d’un MBT moderne mais sans
la taille. Il disposera, non pas de 4 missiles comme le Jaguar, mais d’une
vingtaine de drones. L’équipage travaillera côte à côte derrière le moteur et
presque en dessous de la tourelle, contrairement à un équipage Jaguar, et sera
ainsi protégé des multiples frappes, ce qui garantira leur survie.
Les choix technologiques doivent permettre de maîtriser les
coûts de l’engin. Loin des 6 millions de dollars le char, le véhicule ne
devrait pas dépasser les 2 millions au plus. Cela permettra d’étudier la
possibilité de disposer de plus d’engins. Par exemple, un Leclerc aujourd’hui
tourne autour de 9 millions d’euros. Il serait possible, au même prix, de
produire 4 nouveaux engins de combat. Je
m’avance peut-être un peu mais, rien que de doubler ou tripler le nombre de
chars nous ferait basculer dans de nouvelles perspectives stratégiques.
Imaginons maintenant notre armée en 2030, dotée de 600 NEC
(nouvel engin de combat). Ceux-ci manœuvrant dans les intervalles et frappant l’ennemi avec des FPV comme des nuées de guêpes. Ils sont appuyé par des
canons CAESAR tirant de nouvelles munitions NEMMO de 100 km de portée, de
nouveaux LRU disposant de capacités de frappe de plus de 300 km; avec aussi des drones
Kamikazes lourds faisant de la contrebatterie. Toutes ces puissances tournées vers la
neutralisation des forces adverses qui n’auront pas su à temps s’adapter au
nouvel âge de la guerre… Oui, on peut rêver.
(1) https://voxmilitaris.blogspot.com/2023/11/la-surprise-strategique.html
(2) https://voxmilitaris.blogspot.com/2023/10/un-robot-pour-demain.html
(3) https://voxmilitaris.blogspot.com/2023/11/drones-fpv.html
Commentaires
Enregistrer un commentaire