La Surprise stratégique


la surprise stratégique est un des éléments le plus craints par nos décideurs. Les services de renseignements, les centres de recherches stratégiques, les diplomates ou les pays alliés remontent normalement les informations qui permettent à nos dirigeants d’avoir une juste idée de la situation réelle. Mais il arrive que ces capteurs ne fassent pas remonter les signes d’une possible bascule de la situation. Lorsque cela arrive, à défaut d’avoir pu prévenir, il ne reste qu’à réagir et se soumettre aux événements.


Un chef qui attend toujours l’action de l’adversaire pour réagir, est condamné, à terme, à être vaincu. A moins qu’il ne se soit doté de moyens techniques pour se prémunir de la menace. Par exemple, l’état investit dans des moyens techniques pour être prêt en cas de catastrophe nucléaire ou d’une crue exceptionnelle de la Seine. Il ne sait pas quand ni où, ni même si, cet événement aura lieu mais prend des mesures pour parer à tout risque.


Pour la survie du pays, la France finance une défense avec des armes nucléaires et conventionnelles. L’état devrait accepter de dépenser sans compter pour se prémunir de tout risque, même s’il ne sait pas quand, comment, où, ni si le risque deviendra réalité. Mais il faut reconnaître qu’en ce qui concerne la France, vu les sommes engagées depuis des décennies par rapport à ce qu’elles devraient être, on ne peut que constater l’impossibilité pour l’état d’investir autant que les risques l’exigeraient.


On comprend parfaitement que la situation, pour l’instant, ne justifie pas d’investissement massif car il n’existe pas de risque d’invasion du territoire par un pays tiers. Cependant, la capacité de prévoir la menace doit permettre de monter en puissance au même moment que notre éventuelle compétiteur. Les alliances et les conventions permettent de compenser notre infériorité numérique en cas de menace soudaine.


Se pourrait-il pourtant que nous soyons surpris ? Il semble que oui et de manière beaucoup plus rapide que l’on ne pense. La prise de la Crimée en 2014 était inattendue pour bon nombre d’observateurs qui doutaient de la capacité de réaction russe. Mais c’est l’offensive du 22 février 2022 qui reste la plus grande surprise. Le paradoxe était moins dans le fait de voir les forces en présence que la surprise de les voir engagées. Beaucoup (dont moi-même) ont sous-estimé la volonté des dirigeants russes à s’engager dans un conflit armée tellement cela paraissait déraisonnable.


Ce n’est pas la première surprise à laquelle la France a dû faire face. Les révolutions arabes de 2011, les putsch au Mali, au Burkina Faso et au Niger, surprises sans doute dues au manque de renseignement terrain de qualité (situation d’ambiance qui était la force des services secrets et surtout diplomatiques («  les messieurs Afrique » )).


Les ambassades, les universitaires, les politiques et les services ont subi les conséquences d’années de désengagement intellectuel (vision du monde théorisée par Fukuyama (1) basée sur le libéralisme comme idéal universel ciment d’une mondialisation heureuse, préférée à celle du choc des civilisations de Huntington (2) basée sur l’importance des civilisations avec des identités différentes, sources inévitables de conflits), financier et humain. L’Afrique qui était le pré carré français est passé en quelque années aux mains de nos compétiteurs.


Le monde est devenu beaucoup plus conflictuel. Le rapport Meadows (3) du club de Rome annonce un repli économique et démographique mondial entre 2015 et 2035. la guerre en Ukraine et entre Israël et le Hamas palestinien a révélé un monde plus complexe et divisé. Les intérêts nationaux ressurgissent et les clivages dans les sociétés cosmopolites se font plus fort.


Il est important de les prendre en compte la vitesse de propagation de ces changements. La guerre en Ukraine a bouleversé le cadre normal des relations internationales et favorise les conditions de la création de nouveaux blocs. Si le pouvoir des entreprises n’a fait que croître avec la mondialisation, le retour de la conflictualité risque de voir redescendre leur influence au profit de l’intérêt des états.


Quels pourraient être les surprises à venir ?

Dans les dix ans qui viennent, plusieurs zone géographiques pourraient s’enflammer.

L’Afrique va rester une zone de tensions très fortes. La menace d’un conflit entre l’Algérie et le Maroc, sur fond de différends territoriaux, mais aussi économiques, pourrait engendrer des troubles importants sur le territoire français. La situation dans le Sahara, avec une possible chute du Mali ou du Burkina Faso aux mains d’une mouvance islamiste, pourrait entraîner un afflux important de réfugiés.


Dans le Pacifique, la Chine va peut-être profiter de sa supériorité pour lancer l’assaut contre Taïwan. Cela risque d’entraîner une crise économique sans précédent car tout le commerce mondial transite par cette zone géographique. Les Chinois pourraient aussi utiliser leur flotte de milices civiles pour revendiquer des zones sur notre espace maritime exclusif. Avons-nous les moyens de répondre ? Avons nous les moyens de nous prémunir contre de telles éventualités ?


Au Moyen-orient, l’islamisme radical pourrait renforcer ses positions. La montée de nouvelles puissances comme l’Arabie Saoudite, l’Iran, le Qatar ou les Émirat Arabes Unis, pourrait voir naître un nouveau bloc ayant des revendications beaucoup plus hégémoniques que par le passé. La Turquie voudrait un retour de l’empire Ottoman. Elle cherche à agrandir son espace physique au détriment de ses voisins. Une guerre avec les Grecs pourrait cliver l’Union Européenne et donc la relation des pays par rapport aux traités européens. L’une des questions sera, en effet, de savoir quel soutien l’Allemagne apportera, par exemple, à la Grèce en cas de conflit avec les Turcs. D’autre part, on peut se demander quel sera ensuite la relation des deux pays en cas de non-intervention ou non-soutien.


La guerre en Ukraine pourrait se solder par une « victoire russe » par manque, entre autre, de soutien occidental. Si tel est le cas, que vaudra la parole occidentale auprès du reste du monde ? Quelle image les autres pays auront-ils des pays occidentaux ? Le retour de Trump à la tête des Etats-Unis pourrait voir les USA quitter le traité de l’Atlantique Nord. Comment vont réagir les pays européens ? Quelles seront les conséquences sur la défense européennes communes ? Que pourront faire les pays européens pour se protéger ? Comment les autres pays vont-ils réagir ? Si après l’Ukraine, la Russie se tourne vers un des pays Baltes (ou les trois), que pourra faire l’Europe seule ? L’Unité se fera-t-elle face à la menace ou au contraire, chaque pays va-t-il se refermer sur lui même ?


En France aussi, il y a des risques de troubles. Le communautarisme peut être une cause de conflits. Les différentes communautés pourraient-elles se faire une guerre par procuration sur notre territoire ? Aurons-nous les instruments pour réagir et nous protéger ? La cause religieuse ou culturelle ne risque t-elle pas de voir le pays s’enflammer ?


Les surprises stratégiques sont nombreuses. Le malheur de notre pays est de ne pas avoir eu l’armée pour les guerres passées , de se préparer à la guerre du futur mais de n’être pas prêt pour les possibles affrontements du présent.


(1)  The End of History and the Last Man, F. Fukuyama, Free Press Editions, 1992 ; https://www.pourleco.com/la-galerie-des-economistes/francis-fukuyama-et-la-fin-de-lhistoire

(2) The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, S. Huntington, Simon&Schuster Editions, 1996 ; https://www.marianne.net/agora/humeurs/qu-est-ce-que-le-choc-des-civilisations

(3) https://www.rfi.fr/fr/connaissances/20220819-il-y-a-50-ans-le-rapport-meadows-posait-des-limites-%C3%A0-la-croissance

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