Réflexion le M4 Sherman (30/10/2022)MISE A JOUR




Née de l’alliance de la révolution du moteur à combustion et d’un nouveau train de roulement, la chenille, le char est apparu pendant la Première Guerre mondiale. La puissance de feu de l’artillerie et de l’infanterie avait obligé les combattants à s’enterrer dans des dispositifs toujours plus complexes. Pour sortir du triptyque tranchée, barbelés, mitrailleuse, les ingénieurs mirent au point cette machine qui, bien qu’elle n’ait pas eu  tout de suite les effets escomptés, changera définitivement le sens de la guerre en notre faveur.

La Seconde Guerre mondiale fut, d’un certain côté, l'apogée du char. Arme décisive au début de la guerre, elle peina à la fin du conflit en raison du nombre croissant de moyens pour la détruire. Cela n’empêcha pas des masses importantes de chars de s’affronter sur tous les théâtres d’opérations et sur tous les terrains.

Il y eut un duel entre deux machines bien différentes par leurs conceptions et leurs doctrines, celui entre le char M4 Sherman et le Panzerwagen V Panther.

Le M4 est le fruit d’une lecture de la défaite française de 1940 qui fait la part belle à l’idée de l’exploitation. Le char doit, pour cette mission, privilégier une bonne mobilité opérative, un armement centré sur la lutte anti infrastructures et les cibles « molles ». En effet, une fois la percée effectuée, le char devait s’enfoncer très en profondeur et n'avait en théorie à faire qu’aux unités du 2e échelon (artillerie, logistique), voire à des fortifications. La lutte anti-char est prise en compte par des chasseurs de chars (les M10) et les autres armes (l’artillerie et surtout l’aviation).

Le M4 est un char de 30 tonnes pouvant atteindre les 38km/h, blindé à 50 mm et armé d’un canon de 75 mm et de 3 mitrailleuses.

Le Panther est, lui, un char né de la mauvaise rencontre de la Panzerwaffen avec le char T34. Les militaires cherchent un pendant allemand à cette terrible machine. Malgré des prototypes plus classiques, c’est le model MAN qui remporta le marché. Le char pesant 45 tonnes avait un blindage puissant de 80 à 100 mm sur la partie avant. Rapide grâce à un moteur de 700 chevaux et un train de roulement à barre de torsion en quinconce, il peut atteindre les 45 km/h sur route. Il est armé d’un puissant canon de 75 mm L70 qui en faisait un tueur de char formidable. Il est considéré comme le père des MBT de l’après-guerre.

L’affrontement entre les deux chars donnait largement le Panther gagnant et l’historiographie d’après-guerre a largement écrit cette histoire. Les Allemands, avides de se réhabiliter devant l’histoire et un certain nombre d’historiens anglo-saxons, écrivirent l’histoire d’un char et d’une Panzerwaffe invincible. Pourtant, il y eut aussi des voix pour défendre le M4 Sherman comme le lieutenant-colonel Irzyk. Spécialiste des chars ayant lui-même servi comme chef de bataillon dans la célèbre 4e DB de la 3e armée Patton, l’homme écrit un rapport ou il réhabilite le M4.

Le M4 est en effet un char ayant de multiples qualités. Conçu par l’industrie automobile américaine, il est le char le plus produit de la Deuxième guerre mondiale. Quarante neuf mille chars M4 seront produits pendant la guerre. Simple à construire, un char sort des lignes d’assemblage toutes les 5 minutes. Cela est dû à une standardisation des éléments du véhicule. Le train de roulement est celui du M3, le moteur est à étoile, le même que les avions. La caisse est soudée en élément simple.  Cela permet aux Américains de fournir des chars à l’armée américaine mais aussi aux forces alliées. Pour l’invasion de l’Europe en 1944  il y a 10000 chars qui attendent en Angleterre. Jamais une seule division alliée ne sera à court de chars.

 Pour le char allemand, c’est une autre histoire. Le char est produit à 6000 exemplaires, pas assez pour combler les besoins. Le char est complexe à produire comme la boîte de vitesse (qui tombe souvent en panne) et le moteur, certes de haute qualité de finition mais long et complexe à faire.

Mais dans la préparation,  il n’y a pas que le char qui compte, il y aussi les hommes qui le servent. Là encore, le M4 est le mieux adapté. Un conducteur américain moyen ayant conduit une voiture savait conduire son M4, char facile à piloter. La direction et la boîte de vitesse sont souples et facile à utiliser. Il faut quelques heures pour se familiariser à la conduite, un plus pour la conduite en tout terrain. Le char est facile d’entretien, les organes en sont accessibles facilement. L’engin n’a pas besoin de beaucoup d’entretien après chaque phase de déplacement. L’entretien le plus lourd réalisé par la maintenance est rapide et facile. Retirer le moteur ou la boîte de vitesse ne nécessite pas d’équipement complexe.

Du côté allemand, la boîte de vitesse fragile rend le pilotage complexe, la formation est longue et pointue. Le char est une machine complexe et lourde qui requiert des mécaniciens bien formés. Le moindre déplacement nécessite un entretien constant. Retirer la boîte de vitesse nécessite le démontage de la tourelle. Le char d’ailleurs sera souvent perdu en raison de panne et d'un manque d’entretien.

Si l’autonomie des deux engins n’est pas différente, le M4 est un char conçu pour la manœuvre opérative. S’il est moins manœuvrant en tout terrain que le Panther, Le M4 avec ses 30 tonnes, peut passer sur toutes constructions du génie civil ou militaire. Il peut parcourir de long trajet sur chenille à vitesse maximum pendant de longues heures. Il suffit de voir la traversée de la 3e Armée de la France. Elle ne s’arrête que par manque de carburant. La manœuvre la plus exceptionnelle fut le changement d’axe de cette même armée de Ouest Est à Sud Nord. Les unités ont parcouru de nuit, en plein hiver, sous la neige, sur des pistes étroites, 200 km puis, ont attaqué pour reprendre Bastogne. Seul le M4 en était capable. La standardisation a été telle  que le M4  a été le mètre étalon de la taille des navires de transport.

Le char allemand lui, en raison du manque de carburant, mais pas que, doit se déplacer par train. En effet, une usure intempestive des chenilles et de la mécanique entrainerait des entretiens lourds ne faisant que compliquer l’engagement. Le char est très rapide et manœuvrant en  tout terrain même  terrain gras et il a une bien meilleure mobilité tactique que le M4. Mais sa taille et son poids en font un engin difficile à déplacer en raison de la surconsommation de carburant à une époque où il est déjà rare pour les Allemands.

Au combat, le M4 a, là encore, de nombreux avantages. La tourelle électrique  permet une rotation rapide de celle-ci. Elle est large et spacieuse ce qui lui permet d’accueillir des armements plus importants (elle portera un canon de 105mm long français après-guerre). Elle dispose de nombreux épiscopes en particulier pour le tireur, ce qui accélère la prise de visée. Le chargeur aide aussi à l’observation. Le canon dispose d’un système de stabilisation gyroscopique  qui, bien réglé, permet de tirer en roulant avec une bonne chance de coup au but, en particulier contre l’infanterie. L’armement auxiliaire est divers et nombreux. Deux mitrailleuses calibre 30 en arme coaxiale et de caisse et une puissante mitrailleuse  calibre 50 sur le toit en mesure de neutraliser avions, véhicules léger ou fantassins en zone urbaine. Seront montées aussi des lance-pots fumigènes en cas de mauvaise rencontre. Le canon est plus court que celui du char allemand, mais il tire un puissant obus explosif. Il dispose aussi d’obus fumigènes et perforants. Ces obus ne perforent pas le blindage avant du Panther mais très facilement le flanc de celui-ci. 

Le char Panther, lui, dispose d’une tourelle plus étroite. Il ne changera pas d’armement durant la guerre. Le dispositif de rotation utilise l’arbre de transfert entre la boîte de vitesse et le moteur comme source d’énergie. Le tireur du Panther, à la différence de celui du M4, ne dispose pas d’épiscope, ce qui rend la prise de l’objectif plus longue. Par contre, l’optique de tir est excellente et lui permet de traiter des objectifs avec une grande précision. Il dispose du même type d’armement que le M4 à l’exception de la 12,7 qui est ici remplacée par une MG 43. Le canon est moins polyvalent que celui du M4. Il est conçu pour détruire les chars ennemis et il détruit le M4 à plus de 1000 m.  

Comme on le voit, le blindage du M4 n’est pas du niveau de son opposant, mais il est suffisant pour protéger de la nombreuse ferraille du champ de bataille. Sa protection est plus organisationnelle. En effet, le char n’est pas un tueur de char ; cette mission est celle tu char TD M10, de l’artillerie, de l’aviation. Le char tire sa protection d'une grande mobilité qui lui permet de rapidement  changer de position. La réputation du char d’être un briquet lorsqu’un obus le percute est certes réelle, mais à mettre en perspective avec les réalités du combat. En réalité, tous les chars touchés prennent feu après avoir été pénétrés par un obus. La présence d’huile, d’essence et d’obus est propice à cela, quelques soit le char. Le M4 ne fait pas exception, mais un effort pour protéger les obus dans des casiers humides limitera l'effet des munitions. De plus, le M4 dispose d’une trappe par équipage facile à ouvrir qui permet une évacuation rapide de l’engin. Cela permettra de sauver en moyenne 3 hommes sur 5 pour les équipages.

Le Panther, on le sait, a un blindage important à l’avant mais, par contre, un blindage plus fin sur les côtés (environ 45 mm) ce qui le rend pénétrable par l’obus anti-char du M4. De plus, les Canadiens s'étaient fait une réputation de tueur de Panther en effectuant des tirs au défaut tourelle ; l’obus en frappant le mantelet du canon rebondissait et pénétrait le blindage fin du toit de caisse. La version G du char corrigeait se défaut. A Arrancourt , les M4 tiraient aux fumigènes sur les chars Panther. Cela masquait les M4 pour gêner le tir. De plus, le phosphore contenu dans l’obus permettait de mettre le feu au char. Mais ses faits ne sont pas une généralité et il faut souvent 3 à 5 M4 détruits pour 1 Panther. Le cumul du blindage, d’un puissant armement et d’équipages compétents, fait du char Panther un adversaire redoutable.

Le M4 était fiable, simple à servir et confortable pour l’équipage. Il était apprécié pour toute ses qualités qui lui ont permis de traverser les plus durs combats. Toutes ces qualités vont lui permettre de rester en première ligne longtemps après la Deuxième Guerre mondiale. On verra encore des M4 en service en ex-Yougoslavie. Le M4 a été l’engin essentiel de la victoire alliée à l’Ouest et, on l’oublie, dans le Pacifique. Aucun char n’aura participé à autant de combats sur autant de théâtres que le M4.

Si ses caractéristiques techniques ne font pas de lui un char exceptionnel, je dirais même plus que moyen, le M4 dans la bataille opérative est stratégique. L’ensemble des solutions techniques choisies fera de ce char une machine de combat évolutive et adaptée à l’ensemble des théâtres sur lesquels il sera présent. Si le Panther le domine totalement sur le plan tactique, le char allemand est complétement dépassé sur le plan opératif par la doctrine interarmes et interarmées mise en œuvre par les alliés.

Près de 4 000 chars seront perdus sur le front de l’Ouest, dont une majorité de M4. Mais l’ennemi en perdra bien plus. Sur le front de L’Est, les Russes produiront près de 120 000 chars et en perdront 91 000…

Ce qui est intéressant dans l’histoire du M4, c’est qu’il ne représente pas le sommet de la technologie disponible pour l’époque, mais la synthèse des moyens disponibles en grand nombre dans l’industrie américaine. Ce char était conçu pour une guerre longue, dure et meurtrière et était parfaitement adapté à ces circonstances. Le char est simple à produire, à employer, à entretenir, à réparer. Il peut passer presque partout en raison de sa taille et de son poids limité mais surtout parce qu’il ne demande pas une logistique importante pour le soutenir. Ces critères sont toujours une réalité de la guerre d’aujourd’hui.

 Les chars qui sont les descendants du M4 ne sont pas les chars américains mais les chars russes et en particulier le T55 et le T72. Ses deux chars, en particulier le premier, ont pratiquement fait toutes les guerres, de la seconde moitié du XXe siècle à aujourd’hui. Les raisons en sont les mêmes que pour le M4. Il est simple, facile à produire et à soutenir et dispose d’un nombre varié d’obus. En Irak, le T72 sera préféré au M1 Abrams même par le gouvernement irakien pour les mêmes raisons.

Malgré toutes les critiques apportées sur les chars russes en Ukraine, il serait bon de se poser la question de savoir si nos engins auraient fait mieux. L’environnement, loin de nos bases logistiques, avec des axes logistiques menacés par des feux dans les profondeurs auraient rendu le soutien difficile. Le terrain gras et les constructions du génie civile auraient-ils supporté les 72 tonnes des chars occidentaux ?    

Il faut se poser la question de la course aux technologies. Faut-il toujours prendre le chemin de la dernière technologie la plus évoluée mais souvent aussi la plus chère ? Je sais qu'il existe beaucoup de contre-exemples de matériels modernes qui ont montré leur supériorité technologique, remportant ainsi la victoire. Mais ce n’est pas le seul facteur qui doit rentrer en compte. La qualité des hommes est un des éléments les plus importants et décisifs. L’un des exemples les plus connus est le combat des Israéliens dans le Golan en octobre 1973.

Les Israéliens déployaient deux brigades blindées sur le plateau du Golan face à l’armée syrienne. L’offensive commença par surprise en début d’après-midi, la journée du 6 octobre, début de la fête du Yom Kippour. Les 187 chars israéliens allaient affronter 1 200 chars syriens qui montaient en direction du plateau. Les Israéliens disposaient d’un char principal, le Shot, version modernisée du char Centurion britannique conçu en 1944. En face, il y avait des T54 et T55, mais aussi des T62. Tous ces chars sont relativement récents et équipés de moyens de vision nocturne infra rouge. Les Israéliens vont retenir pendant deux jours les Syriens. Les équipages vont faire des exploits grâce à un savoir-faire tactique et un entrainement continu. Ils vont maitriser le tir long distances, le combat de crête avec des rocades, marche erratique, tir à partir de positions préparées. La formation des équipages fait la différence et la montée des réserves repousse les Syriens jusqu’aux portes de Damas. On y verra les M4 faire leurs derniers grands combats de chars aux mains d'équipages de réservistes israéliens.

Les chars sans un équipage qualifié quel que soit les avantages technologiques ne font pas la différence. Les colonnes de chars russes en Ukraine ne respectant aucune règle du combat blindé (mise en place d’appuis, respects des distances, travail interarmes.) en ont fait la démonstration.  

Là encore, l’entrainement doit se faire avec des véhicules dans des conditions difficiles, les plus réalistes possibles. Un véhicule de combat doit pouvoir être soutenu autant à la guerre qu’en temps de paix. Plus le char est complexe et son soutien coûteux, plus il est difficile de s’entrainer avec ce char.

 

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