Maginot contre char
Dans l’histoire militaire, rarement un concept militaire n’a
jamais autant été décrié. Responsable de la pire de la défaite de la France, la
ligne Maginot est le symbole de l’immobilisme défensif qui n’est bon qu’à être
contourné. Responsable de la démilitarisation et du pacifisme de la société, il
est souvent opposé à l’arme offensive victime du pacifisme, le char, grand
perdant des choix faits par la France.
Il faut, pour comprendre ce qui s’est passé revenir en 1919, année du Traité de Versailles. La fin de la guerre a fait
ressortir les anciens contentieux entre France et Angleterre. Lloyd George et
Clemenceau sont de nouveau en concurrence, étant donné la place de la puissance
française en Europe. L’Angleterre s’est toujours opposée à la puissance
dominante du continent. C’est pour cette raison qu’elle a affronté l’Allemagne,
mais aussi, de manière indirecte, la Russie.
L’Angleterre voit d’un mauvais œil en particulier que
l’armée française soit la première d’Europe, voire du monde. A la fin de la
Première guerre mondiale, elle ne souhaite pas garder son armée de conscrits.
Elle veut retrouver sa structure d’avant-guerre, celle d’une armée de métier.
Elle voudrait voir l’ensemble des puissances européennes avoir le même format,
ce qui éviterait d’avoir trop de concurrence au sein de l’Europe.
Au moment du choix de modèle d’armée pour l’Allemagne,
l’Angleterre insiste pour qu’elle soit de 100 000 hommes, c’est-à-dire une
armée professionnelle. L’avantage d’une armée de ce type est de ne pas
nécessiter de mobilisation pour être engagée. C’est la demande du chef de
l’armée allemande, le général VON SEECKT qui voit tout l’avantage du système et
qui est contre les grosses armées de mobilisables. Une armée de métier peut partir
en campagne sous très court préavis. Si elle est dotée, en plus, de moyens
motorisés, elle peut parcourir de grandes distances très rapidement. Von Seeckt
imagine une armée qui se projette rapidement et qui conquiert de grands espaces
avant que l’adversaire ne mobilise ses forces ; c’est la doctrine de
l’attaque brusque. Cela oblige à avoir en face une armée toujours prête à la
guerre, ce qui est compliqué et a un coût.
Les Français, eux, sont pour une armée allemande à
200 000 hommes, ce qui oblige à avoir des conscrits. Il ne faut pas
oublier, qu’à cette époque, en Allemagne, des tensions existent entre le
nouveau gouvernement et les communistes. Foch, en particulier, se dit, à
raison, que l’infiltration de « rouges » saperait toute velléité de la
classe des « Junkers » (1) d’avoir des prétentions de revanche. Mais
ce sont les Anglais, avec l’aide des Américains, qui obtiennent gain de cause.
Pour la France, les conséquences sont claires : il faut
se protéger d’une attaque surprise de cette nouvelle armée allemande. La première
solution est de garder une armée prête au combat en permanence. Mais l’armée est
constituée de conscrits qui ne sont pas tous formés. A la fin de la Première guerre mondiale, la France
abandonne le service militaire de 3 ans et passe à deux ans puis à 1 an, c’est-à-dire
juste assez longtemps pour une formation minimum. En France, le choix ne peut
pas être celui d’une armée professionnelle en raison de l’égalité républicaine et de la peur des coups d’état militaires. Le souvenir de Napoléon et du général Boulanger perdure dans l'imaginaire des républicains. Seule une armée populaire peut garantir la survie du régime.
La démographie est aussi un facteur important. La population
française est moitié moins nombreuse que la population allemande puisqu’elle a
subi d’immenses pertes et aura des classes creuses entre 1934 et 1940. Cette
infériorité numérique ne permet pas à la France de pouvoir mener une action
offensive contre l’Allemagne car le rapport de force n’est pas favorable. La crise de
confiance des années 20 entre la France et l’Angleterre ne permet pas d’espérer
un soutien de celle-ci en cas de conflit. Le seul allié disponible est la
Belgique qui, elle non plus, ne peut
prétendre mener une action
offensive. Il ne reste à la France que
l’option d’un dispositif de défense imaginé en coordination avec la Belgique
pour attendre des conditions plus favorables d’attaque.
Trois solutions sont étudiées pour la ligne de défense. Foch
prône une défense sur le Rhin, mais les Anglo-saxons y sont opposés. Il faut
donc se mettre en défense sur la frontière. Le commandement français sait
qu’une ligne de défense solide se bâtit dans la profondeur et est composée en
général de 3 lignes continues. Le problème est que cela impose de procéder à
des expropriations sur une grande surface de terrain. Outre que cela coûterait
cher, le pays est déjà suffisamment ravagé pour se voir de nouveau traverser
par de telles défenses.
La deuxième option est une ligne unique continue le long de
la frontière. Même si certains endroits moins faciles d’accès ne favorisent pas
la progression et ne nécessitent donc pas de défense permanente, une telle
ligne obligerait à maintenir une grande quantité de soldats.
Ce sera la troisième option, celle d’une ligne discontinue
qui sera choisie, avec l’idée de bloquer, grâce à des fortifications sérieuses,
les axes les plus dangereux et de mettre en place une fortification plus légère
aux endroits moins favorables à une invasion. Le but de ces défenses est de
retenir le plus longtemps possible les attaquants (même au risque de se faire
encercler). Les défenseurs doivent pouvoir tenir 4 mois en autarcie, au rythme
de consommation de Verdun (pour le Hackenberg, le plus gros ouvrage de la
ligne, c’est 4 tonnes d’obus à tirer par minute) (2).
Les « trous » dans la défense seront occupés par
des troupes d’intervalles, mais uniquement en cas d’alerte ou de
guerre. Quand le ministre Maginot vote les budgets pour la Ligne en 1929,
elle est déjà en construction en face de l’Italie. En effet, le pouvoir
fasciste de Mussolini revendique certaines zones dans les Alpes, ce qui a
engendré la construction ou la modernisation de fortifications.
Pour le commandement français, donc, se prévenir d’une
attaque est essentiel, mais il faut aussi moderniser l’épée, c’est-à-dire
l’armée. Or, celle-ci a subi une cure d’amaigrissement assez sévère depuis
1920. En effet, les budgets de défense ont été utilisés pour la reconstruction
du pays. Les dégâts sont en effet immenses et des régions entières ont été
détruites comme jamais dans l’histoire. Les terrains sont retournés et incultivables, il faut
déminer des milliers de kilomètres carrés remplis d'obus et de métal en tout genre. Il faut reconstruire des centaines
de villes et des milliers de villages. La France comptait sur la dette
allemande pour se payer les réparations, mais les Allemands refusent de payer
l’intégralité de la somme. La Chambre bleu horizon qui compose le Parlement
après-guerre estime qu’il y a suffisamment d’armement pour l’armée et qu’il
n’est pas nécessaire de moderniser celle-ci.
La France se réveille donc en 1930 avec une ligne de
fortification en construction, mais une armée incapable d’effectuer la moindre
opération militaire. Elle a perdu une grande partie de ses compétences à cause
du manque d’exercices. Seules les forces présentes dans les colonies sont
vraiment aptes au combat à cette époque. Le plan du ministre Maginot prévoyait
la construction d’une ligne, mais aussi la modernisation de l’armée. Le général
Weygand, alors chef des armées, est conscient de l’impréparation militaire. Il
va mener une réflexion sur l’armée française du futur. Il fait rassembler tous
les véhicules motorisés possibles et fait, en 1932, six mois de manœuvres au
cours desquelles plusieurs expérimentations sont menées à bien.
Il en ressort que la cavalerie est en mesure d’effectuer une
transition mécanique. C'est à époque qu’est décidée la création des DLM
(division légère mécanisée). Pour les chars, la manœuvre ne se passe pas comme
prévu. Lancés seuls, sans appui, les chars ne sont pas parvenus à percer les
défenses. Une unité de tirailleurs a laissé passer les chars et a attaqué les
troupes qui, à bord de camions, suivaient les blindés. La mauvaise visibilité des
chars s'est confirmée quand ils sont passés à moins de cent mètres d’une batterie de
canons sans la voir. Pour les chefs, les chars ne sont pas en mesure de faire
la guerre sans l’appui de l’infanterie et de l’artillerie. C’est la formule du
char d’appui qui l’emporte. Pourtant, il sera décidé qu’une division de cuirassiers
serait créée en vue de percer les lignes de défense. Beaucoup de problèmes subsistent cependant. Le premier est l’autonomie et la capacité limitées des
matériels. La manœuvre montre qu’il est difficile de coordonner des masses de
véhicules en raison du manque de postes radio. Le commandement perdrait
rapidement le contact et il n’y aurait plus de cohésion dans la manœuvre. Par conséquent, il faut absolument limiter
les chevauchées dans la profondeur. C’est pour cela qu’est maintenue la
bataille méthodique qui sera tant décriée plus tard.
Un autre problème majeur pour l'armée est celui de la capacité industrielle. La France n’a pas investi dans l’industrie de
défense pendant 10 ans. Un grand nombre d’usines ont été « remerciées »
après la guerre et n’ont pas vu le paiement des investissements consentis. Il y
a eu un grand nombre de faillites et l’investissement dans la défense est en 1930 au plus bas. Cela ne va pas s’améliorer avec la crise économique de 1929 aux
Etats-Unis qui va toucher la France en 1932. Au moment même où les dépenses
doivent être consenties, le Maréchal Pétain, alors ministre de la guerre, se
voit obligé de réduire les budgets.
Jusqu’en 1936, les projets de chars sont limités autant par
l’infrastructure que le budget. La majorité des chars commandés sont des Renault, modèle
1935 ou le Hotchkiss, modèle 1935, char deux places sans radio, équipés de canons récupérés sur les chars FT17, symboles de cet effort industriel laborieux.
Cette situation va peser très lourd sur
la suite des événements. Quand Hitler récupère la Rhénanie, la France ne peut
pas s’y opposer militairement. Nous sommes en plein creux démographique, les
financements ne sont pas disponibles et l’armée n’est pas entraînée. L’affaire
est un électrochoc pour les opinions publiques. La France du Front populaire va
voter des budgets exceptionnels pour la défense, un plan de 14 milliards de francs de l'époque. Or, ils ne vont pas servir à
fabriquer des armes, mais à préparer la guerre industrielle. On modernise les
industries (principalement celle de
l’aviation) et on lance de nouveaux projets.
En Belgique, la non-réaction française est le signe qu’il
faut prendre ses distances avec le pays voisin. Cela va engendrer un changement
de stratégie de la part des Belges qui, jusque-là, appliquaient le plan mis en
place avec la France, celui d’une défense aux frontières, sur la ligne de
fortification. L’Angleterre est en pleine crise royale. Le royaume souhaite
éviter la montée des tensions et refuse le soutien à une intervention armée.
Elle récidivera en 1938 lors de la crise des Sudètes car elle n'est pas prête à la guerre. Son armée est encore dans un pire état que l'armée française. La France se retrouve dépendante de ces Anglais. Le retard dans l'investissement est clair pour les hommes politiques comme Daladier, mais il n'a pas d'autre choix que de suivre son alliée.
Dans ce domaine, l’effort va réellement se produire, cette
même année 1938, avec un plan de 65 milliards de Francs de l’époque. La France
va mettre deux ans à rattraper ce retard. En avril 1940, c'est 69% du PNB nationale qui est consacré à la défense. En juin 1940, la France serait rentrée dans une
situation d’équilibre avec l’Allemagne, mais cela arrive trop tard. L’offensive
qui devait avoir lieu en 1941, ne se produira jamais.
La doctrine défensive de la ligne Maginot était la seule alternative pour protéger la France de ses ennemis comme de ses faiblesses. Les armées de chars constituées dans les années 1934-1940 n’auront malheureusement été qu’une vue de l’esprit en raison des capacités industrielles, humaines et financières insuffisantes. Si, aujourd’hui, on peut conclure qu’il aurait fallu effectivement créer ces fameuses divisions blindées, c’est parce que l’on sait le résultat de la campagne de 1940 et ses conséquences.
Si les troupes françaises avaient pu se mettre en place en Belgique dès septembre 1939,comme le plan de 1935 ( Le plan D et D bis) entre la France et la Belgique le prévoyait, comment se serait passé l’attaque de mai 1940 ? Comment les Allemands auraient-ils traversé les Ardennes avec des chasseurs ardennais belges en place. Comment auraient-ils été reçus ensuite par les hommes de la 9e Armée bien en place sur de solides positions. Et si enfin les Anglais et surtout le Général Gamelin ne nous avaient pas conduits vers une intervention en Hollande (la manœuvre Breda, rajout sur le plan Dyle), quel rôle aurait alors joué la 7e Armée de réserve (l’armée envoyée en Hollande) sur l’avance des blindés allemands lors du « coup de faux » ? Le monde retiendrait peut-être aujourd'hui que la Ligne Maginot était la meilleure solution que pouvait choisir la France à ce moment là.
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