Il est difficile de se faire une idée exacte des stratégies mises en œuvre par chaque camp et surtout si ces stratégies sont efficaces. J’avais eu bien souvent l’impression que le bataille allait basculer en faveur de l’un des deux camps et pourtant cela n’a pas eu lieu. Cela n’est pas une surprise en réalité car nous vivons une période très particulière en ce qui concerne l’informationnel. Pour la première fois, la guerre se regarde comme un « match » que l’on commente en temps réel.
Si nous avions fait la même chose pour la Seconde guerre mondiale, nous aurions été surpris de la lenteur apparente de certaines opérations. La guerre sur le front de l’Est, en Afrique du Nord ou dans le Pacifique a en effet été longue et difficile. Mais le front bougeait au fur et a mesure que l’un des camps s’affaiblissait.
Et cela était naturellement pire pendant la Première guerre mondiale. Pourtant, chaque année de cette guerre a eu son lot de manœuvres. Mais les combats n’avaient pas forcément lieu sur les théâtres principaux mais souvent secondaires. La question pour le conflit ukrainien est de savoir s’il y a un théâtre secondaire au théâtre ukrainien.
En réalité, le conflit ukrainien est, à mon sens, un théâtre secondaire de la guerre qui oppose l’Europe/OTAN/USA et la Russie/BRICS. Chacun joue ici sa partition pour gagner dans un combat qui est long et meurtrier.
Lancer une grande offensive pour les russes, dans de multiples directions avec tous ces moyens serait une récidive de l’opération de 2022 mais la situation sécuritaire a bien changé. Les forces ukrainiennes sont en mesure de s’opposer avec plus de succès que lors des offensives de 2022.
L’échec relatif de l’offensive de 2022 pour les Russes, puis le repli dans le Donbass, laissent l’armée russe dans une situation militaire complexe. Cette armée est désorganisée et mal équipée. La contre-attaque réussie des Ukrainiens en septembre-octobre en est la preuve.
La bataille de Bakhmout offre un moyen de fixer l’attention des occidentaux dans une bataille qui ne fait que révéler les faiblesses de l’armée russe ce qui fait croire à un .
Mais cette bataille donne surtout le temps aux Russes de mobiliser 500 000 réservistes, de les former et de lancer un recrutement de volontaires.
L’offensive ukrainienne de 2023 et son échec sanglant permettent aux Russes de reprendre l’initiative. Les Russes récupèrent les instructeurs de Wagner et forment les combattants au combat. Un effort est fait pour modifier l’organisation de l’armée.
Mais sur le terrain, si les Russes gagnent du terrain, ils ne trouvent pas la clé pour faire basculer le champ de bataille en leur faveur. La prise des villes est toujours meurtrière et ils perdent toujours 160 chars par mois en moyenne. Mais les chars perdus sont remplacés par la production.
En miroir, les Ukrainiens perdent aussi beaucoup d’hommes pour ne pas lâcher de terrain.
En 2024, Les Russes mènent une série d’offensives qui s’appuie sur l’idée d’attaquer plusieurs points stratégiques en même temps. De cette manière, il y a un de ces points qui se fragilise et qui offre une occasion de percée. Mais cela reste très coûteux en hommes et en matériels, principalement à cause des drones.
Si les Russes avancent, c’est aussi grâce a l’offensive ukrainienne de Koursk. Les forces ukrainiennes, après des succès initiaux, sont fixées sur une ligne de front et subissent de nouveau une bataille d’attrition. L’apport des Coréens du nord allège l’effort russe dans ce secteur. L’opération du gazoduc utilisé par les Russes pour passer derrière les lignes ukrainiennes mettra fin à l’assaut ukrainien en Russie.
En 2025, les Russes ne semblent pas avoir trouvé de solution adaptée pour percer le front. Alors ils poursuivent leur opération de « grattage » comme disait Joffre. Mais la tactique a changé. J’ai expliqué la nouvelle tactique en petites équipes de 2 ou 3 hommes qui représentent des cibles bien plus petites que les bataillons de chars ou de VCI. Et surtout, il y a moins de pertes de cette manière. Certes, il y a des morts mais beaucoup moins que les offensives précédentes. Surtout la production a enfin permis de produire plus de drones que les Ukrainiens. L’artillerie et les frappes aériennes ne manquent pas d’obus et les pertes ukrainiennes sont lourdes.
Les Russes ont suffisamment de personnel pour relever leurs hommes en première ligne et lancer des offensives sur 6 ou 7 fronts en même temps.
En face, les Ukrainiens semblent avoir moins de soldats à mettre en première ligne. Ils ont de vrais problèmes de recrutement, ce qui les oblige à engager des 18/25 ans qu’il ne voulait pas engager, ainsi que davantage de femmes. Cela est le signe de lourdes pertes.
Au même moment, on a vu une aide occidentale à géométrie variable. En 2022, après le succès initial, les occidentaux ont décidé d’envoyer des armements aux Ukrainiens qui ne disposaient pas de moyens suffisants. Mais ils ont attendu pour fournir des armes à longue portée et les chars.
La campagne de bombardement dans la profondeur des Russes obligea les occidentaux à fournir davantage de défense sol/air, ce qui retarda la fourniture des autres équipements.
En 2023, ces armes avaient mis trop de temps pour permettre aux forces ukrainiennes d’exploiter les succès de 2022. Ainsi les offensives d’été ne purent apporter la surprise essentielle à la victoire.
Puis les renforts aidèrent aux offensives sur Koursk mais l’arrivée des armes au compte goutte et le bombardement dans la profondeur constant usaient les stocks occidentaux.
Avec l’arrivée de Trump, la fourniture d’équipements a été faite en dents de scie. Mais les Européens essayèrent de compenser ces difficultés. Sauf que maintenant, la guerre est entièrement à leurs frais.
De l’autre côté, les Russes subissent un des embargos les plus durs mis en œuvre par une coalition. Étonnamment, l’économie russe tient le coup, bien que la situation ne soit pas au beau fixe. Les Russes arrivent quand même à se fournir des marchandises dans le monde entier, de manière légale ou illégale. Les gens ne meurent pas de faim et même si la croissance est faible, elle n’est pas pire qu’en occident. Les bombardements sur le secteurs énergétiques ont engendré une augmentation du prix des carburants et du gaz dans le pays. Si la situation est difficile, reste à savoir si ses bombardements pourraient modifier la politique russe.
L’Ukraine est économiquement dans un mauvais état. Si le pays est riche, les bombardements ont infligé des dégâts qui affaiblissent l’économie. Le pays vit à crédit. Le prix à payer sera lourd car les richesses par accords sont maintenant aux mains d’autres puissances. Il faut voir comment dans la durée, les bombardements vont user ou non les moyens économiques ukrainiens.
Les Russes et les Ukrainiens sont entrés dans une stratégie d’usure de l’autre. Ce sont les soutiens des deux nations qui garantissent leur résilience à poursuivre le combat.
Si l’on connaît les alliés des ukrainiens, les Russes n’ont pas d’alliés à proprement parler. Ils ont des soutiens de taille comme la Chine, l’Inde, l’Iran, l’Afrique du sud. Le seul pays qui a montré une fidélité plus forte est la Corée du Nord. L’avantage de cette alliance est qu’elle a fourni non seulement des armements ou des munitions mais aussi des hommes pour combattre. Les Russes ont ainsi pu éviter de lancer une mobilisation qui aurait été impopulaire.
L’Ukraine actuellement ne dispose pas d’un tel allié. Les Coréens ont été décisifs à Koursk en permettant aux Russes de poursuivre leurs offensives partout ailleurs.
Alors lequel des alliés cédera le premier ? Le point faible des alliés de l’Ukraine est la démocratie. Malgré le rêve de beaucoup de « démocrates » de se passer du peuple puisque ce dernier se « trompe », le suffrage peut toujours faire basculer les gouvernements. La crise de l’immigration, par exemple, touche tant l’Angleterre, la France que l’ Allemagne mais aussi beaucoup d’autres pays de l’Union. Il se pourrait que lors des prochaines élections de nouvelles majorités apparaissent. Ces gouvernements pourraient être moins hostiles aux Russes ou du moins, moins intéressés à soutenir l’Ukraine.
Du coté des Russes, comme il n’y a pas de lien fort avec leurs soutiens, ce ne sont pas « les alliés » qui joueront un rôle dans la bascule ou pas de la situation. Il est certain que tant que la Russie saura se montrer puissante, elle aura des « alliés » pour la « soutenir ».
La guerre en Ukraine va t’elle basculer ? Bien que je resterai prudent sur la suite ses événements, je pense que si les Russes continuent leurs opérations de cette manière, dans les mois qui viennent, on verra plusieurs villes tomber en leurs mains : Koupiansk, Siversk, Liman, Pokrovsk, Kostiantynovska, par exemple. Le problème pour les Ukrainiens, c’est que derrière ces villes se cachent aussi les dernières ligne de défenses construites avant 2022, c’est-à-dire les mieux préparées.
Il y a aussi le problème des pertes dans chacune des armées. Il semble y avoir toujours du recrutement dans l’armée russe mais le fait qu’il y a eu besoin de trouver une méthode d’attaque moins meurtrière indique que les pertes posent aussi un problème aussi chez les Russes.
Du côté ukrainien, en plus de l’engagement des plus jeunes et des femmes déjà mentionné, il y a aussi le faible nombre de soldats qui tiennent réellement le champ de bataille avec peu de relèves sur certains fronts. Cela pose la question de la capacité à tenir malgré l’attrition.
S’il n’y a plus de soldat et qu’il y a de plus en plus de trous dans les défenses, il y aura donc de plus en plus d’infiltrations dans ces défenses jusqu’au moment ou les trous ne seront plus comblés et le front pourrait s’effondrer. Cependant, la guerre est, par nature, pleine de surprises et bien malin celui qui peut annoncer que tout est écrit.

Merci beaucoup pour votre analyse. Il y a un véritable sujet de réflexion concernant le biais que nous avons désormais avec le fait que nous pouvons suivre un conflit "en flux continu" d'une part, et à travers la médiation des "médias" justement. Voir l'actualité comme un flux continu semble clairement empêcher de détecter les ruptures, les changements décisifs, ce qui a des conséquences directes sur la capacité du politique et du militaire à anticiper.
RépondreSupprimerLe blocage tactique auquel nous assistons dans ce conflit en raison des drones entre autres mériterait aussi qu'on s'y arrête. Que penser des analystes qui disent que les Russes progressent lentement car ils cherchent avant tout l'attrition et seulement ensuite les gains territoriaux ? Est-ce vraiment cela l'art opératif russe, ou bien n'y a-t-il plus de véritable stratégie ? Une stratégie d'ensemble est-elle réellement encore possible lorsque le combat se joue aux niveaux du trinôme et du binôme ? Comment se fait-il que l'Ukraine parvienne à tenir "aussi bien" ?
Encore merci pour vos réflexions, cela fait du bien de sortir des points de vue partisans et à courte vue qui inondent notre pauvre pays.
La politique de l'attrition me semble désastreuse pour l'avenir de ces deux peuples Slaves, alors que leurs démographies respectives sont déjà catastrophiques.
merci pour vos remarques. L'art opératif Russe correspond plus à la phase initial de la guerre en 2022. Ce que l'on voit aujourd'hui, est une guerre d'sure visant à la destruction de la force morale de l'adversaire. Cela ressemble a un assassinat par strangulation (pardon pour l'image). On cherche d'abord à prendre le cou (guerre de mouvement initial) puis il y a un début de compression avec résistance (c'est les contre-attaque Ukrainienne) Puis on continue à sérer (par du bombardement des arrières et attaque des flux énergétiques , des usines et des transports). Sur le front il n'y a de moins en moins d'espoir jusqu'au moment ou l'on ne croit plus et le front s'effondre. Maintenant, cela peut ce faire que si vous avez la force physique pour y arriver. En raison de l'aide occidentale et l'espoir que cela apporte, l'Ukraine peut continuer à résister mais combien de temps, je ne sais pas.
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