Un regard rapide pourrait amener à penser que cette année est perdue stratégiquement pour les Russes. Ils n’ont pris aucune grande ville depuis l’hiver. Le front donne l’impression que rien ne bouge. Les Ukrainiens tiennent le front partout et ne semblent pas s’être effondrés. Au contraire, ils contre-attaquent, comme à Pokrovsk et Soumy. Mieux, les Ukrainiens effectuent de plus en plus d’attaques sur le circuit énergétique russe. La pression est telle que le prix des carburants augmente en Russie.
D’autre part, l’Europe fournit de plus en plus de moyens pour des attaques ukrainiennes dans la profondeur. Elle fournit aussi des défenses sol/air, des munitions, de l’artillerie, des drones etc. Il semble donc que l’Ukraine résiste toujours mieux aux assauts russes.
Comment les Russes pourraient-ils alors gagner ce conflit ?
Personnellement, je pense qu’ils ont opté pour une stratégie d’usure. Il semble, en effet, que le plan russe consiste à détruire conventionnellement le potentiel de combat des Ukrainiens qui pâtissent ainsi lourdement de cette stratégie.
Ils sont contraints de défendre les villes soumises à des attaques de drones et de missiles russes. Usant les potentiels des défenseurs, les attaques russes sont de plus en plus efficaces. Les interceptions de drones par exemple sont passées, selon les Ukrainiens, de 94 % à 84 %. Cette baisse est due en partie aux tactiques employées et à l’arrivée de drones à réacteur permettant de voler plus haut et plus vite.
Autre évolution, l’efficacité des attaques est amplifiée par l’attaque des défenses sol/air, des dépôts de munitions et des centres de commandement.
Autre facteur de diminution des effets des armes occidentales, les attaques cyber et électroniques diminuent les capacités des capteurs à réagir à temps.
Pourtant, les défenses ukrainiennes tiennent encore, au moins officiellement. Les bombardements ne semblent pas anéantir la volonté ukrainienne de se battre.
Cependant, sur le front, les Russes, comme je l’ai déjà expliqué, ont changé de tactiques. De petites équipes de 2 ou 3 hommes s’infiltrent dans le dispositif ennemi empêchent celui-ci d’infliger des pertes lourdes lourdes pour chaque assaut.
Les attaques de drones à fibre optique, des bombes guidées FAB, d’artillerie, de roquettes, de missiles jusqu’ à 300km de la ligne de contact permettent d’infliger aux Ukrainiens des pertes et de bloquer les renforts. Sur la ligne de contact, les terribles TOS à munitions thermobariques pulvérisent les points forts comme les fortifications.
Les pertes russes au moins en blindés semblent avoir bien baissé. On parle de 25 chars détruits en août alors que l’on était en pleine offensive. Les Russes attaquent et conquierent donc des zones pendant tout l’été en « limitant » la casse.
Tout cela peut indiquer deux choses : soit que l’armée russe est à genoux et n’arrive plus à avancer sans des pertes terribles, soit, au contraire, les Russes prévoyant une guerre encore longue, privilégient l’économie des moyens.
Les Russes pourraient bien avoir comme objectif d’user les Ukrainiens de manière plus efficace que ce qui transparaît dans certains medias d’information continue. Le front, par exemple, avance pour les Russes car les Ukrainiens sont obligés de choisir les points à défendre, à l’instar de la bataille de Pokrovsk qui libère des espaces dans la zone de Dnipropetrovsk. Et la bataille de Soumy distrait les forces ukrainiennes des assauts de Koupiansk. Il en est de même pour Kostiantinisvka, Siversk, Lyman ou Stepnohirsk. En mettant la pression sur toutes ces villes essentielles, les Russes font courir les Ukrainiens d’un bout à l’autre du champ de bataille. Ce faisant, ils usent les meilleurs forces ukrainiennes (47e brigades, 82e brigade,etc).
Le champ de bataille voit donc un certain appauvrissement de la qualité des forces ukrainiennes. Je l’avais anticipé mais les Ukrainiens avaient invalidé mes propos cette année par leur excellente résistance. Il est ainsi nécessaire de rester prudent sur l’usure réelle des forces, même si cette usure semble devenir effective. Le besoin actuel ukrainien de recruter des jeunes de 18 à 25 ans sur volontariat montre qu’il y a des problèmes de personnels sur le champ de bataille.
La raspoutitsa arrivera dans quelques semaines, ce qui ralentira les offensives motorisées, mais aussi l’emploi des drones en raison du brouillard et nuages bas. Cela va favoriser l’action des fantassins russes dans leurs tactiques d’infiltration. Puis ce sera l’hiver et l’arrivée du froid. Les stocks de gaz étant au plus bas en Ukraine, il y a de fortes chances que l’hiver soit très difficile. Mais cela ne suffira pas à faire tomber les Ukrainiens.
Et du côté russe, y a t-il des signes de faiblesse ? Comme je l’ai écrit dans un précédent article, la production de chars est d’environ de 1600 chars/ans. Les pertes ont diminué comme on l’a vu avec les nouvelles tactiques de combat. Alors où sont les chars ? D’autres usines produisent peut-être plus d’armement qu’il n’y paraît sur le champ de bataille. Pour l’instant, les Russes recrutent toujours 300 000 soldats/an. De ce point vue, les moyens ne semblent pas manquer.
L’économie commence à être durement touchée par les sanctions. Pour l’instant pourtant, les russes semblent résister au conditions économiques défavorables, aidés par une augmentation des salaires soutenus par la guerre.
Socialement, les Russes ne semblent pas être affectés trop fortement par les sanctions. La diversification des fournitures et surtout une agriculture en mesure de pouvoir nourrir le pays pour l’instant limitent les effets sur la société.
A mes yeux (mais je peux me tromper) il apparaît que la Russie tient mieux le choc que ne l’espéraient les occidentaux. Naturellement, l’économie n’est pas florissante mais elle tient.
Je reviens alors à la question de savoir quelle est la stratégie russe. La stratégie de l’usure est longue et usante aussi pour celui que la pratique. Mais cela devient intéressant si l’Ukraine n'est pas le seul objectif de la Russie.
On peut, en effet, se demander pourquoi les Russes n’ont pas relancé des offensives multidirectionnelles comme au début de la guerre de 2022. Cela aurait été possible durant l’été mais les Russes ne l’on pas fait.
Par contre, ils ont renforcé leurs forces le long de la frontière avec l’OTAN. De nouvelles armées interarmes ont été créées à l’Ouest.
La menace sur l’Europe n’est-elle pas une stratégie pour que les Européens fournissent moins de matériels aux Ukrainiens ? Les dernières provocations par des drones leurres et des MIG 31 n’auraient-elles pas pour unique but d’obliger les Européens à consacrer plus de moyens à leur propre défense ?
Il en va de même avec la position américaine. La pression de Trump sur l’économie européenne fera perdre des centaines de milliards d’euros à l’Europe. Trump exique que l’Europe cesse d’acheter du GNL russe et achète du GNL américain. Cela met sous pression une économie européenne qui perd ses avantages concurrentiels.
L’Europe est peut-être l’élément oublié de mes calculs. L’Europe est très riche et a une économie puissante. Mais la mondialisation a appauvri une partie des états européens qui ont fait le choix d’avoir une économie de la demande sur ceux qui ont gardé des capacités productives. Les règles de l’UE ne favorisent pas toutes les économies européennes. Ainsi la France connaît une stagnation du PNB/habitant depuis 2008. De grands mouvements anti-immigration et « nationalistes » remettent en cause la construction européenne. Les européistes n’y voient que la « main de Moscou ». Mais ce sont bien les choix politiques nationaux et européens qui sont responsable de cette situation. Ne pas vouloir le voir illustre l’aveuglement des élites quant aux aspirations populaires. Il existe une déconnexion entre les dirigeants et les peuples. Viennent s’ajouter des difficultés économiques avec une croissance proche de zéro dans toute l’Europe. Il y a risque d’explosion interne sur lequel les Russes s’appuient. Ils utilisent les réseaux sociaux, les moyens communicationnels pour accentuer les problèmes. Les élites européennes, elles , sont persuadées que la guerre serait un moteur et une justification pour toujours plus d’Europe, voire une Europe fédérale.
Or,comme déjà mentionné, jamais il n’y a eu une telle déconnexion entre les peuples et leurs élites. Faire une guerre aujourd’hui serait extrêmement dangereux. Malgré les annonces, l’économie n’est pas en économie de guerre. Des fractures au sein même des pays européens et entre les différents états suggèrent l’absence de cohésion nationale mais davantage encore, européenne. Les peuples voient de loin cette guerre qui commence à « coûter ». Se lancer dans une guerre avec aussi peu de préparation et de cohésion, c’est risquer de révéler encore plus toute les fractures de l’Europe. Au lieu de la renforcer, comme semble l’espérer certains, une guerre ferait exploser l’Europe.
Alors, le grand plan stratégique russe ne serait-il pas de pousser l’Europe à la faute? Que celle-ci se lance dans une opération qu’elle ne maîtrise pas. Beaucoup de commentateurs vous parleront de la supériorité de l’Europe et de l’OTAN. Mais les Américains interviendront-ils en soutien si la guerre est provoquée par l’Europe ? Malgré les grands discours et les belles manœuvres, les Européens n’ont pas fait de guerre de haute intensité depuis la Seconde guerre mondiale ! Ils n’ont jamais été aussi mal préparés car le temps leur a manqué pour se mettre à niveau. Il n’y a pas eu de préparation morale, économique, diplomatique, judiciaire, ni patriotique des populations. Il faut se souvenir des familles scandalisées par la mort d’une dizaine de soldats à Uzbine qui ont porté plainte contre l’armée. Comment réagiront alors les populations face à la mort possible d’une centaine de combattants par jour ?
Qui acceptera de mourir pour l’Europe ? Quel sera la cohésion politique des 27 états ? Combien de temps perdurera une cohésion politique quand les peuples grogneront.
L’Union Européenne est bâti sur l’idée de paix et de prospérité. L’échec de ces deux principes aux yeux des citoyens européens risque d’être fatale à l’UE.
Une autre façon de voir les choses est toutefois possible. Comme au États-Unis, il est possible que la plupart des peuples européens élisent des gouvernement beaucoup moins enthousiastes à l’idée d’un affrontement direct avec la Russie. On le voit actuellement, l’Angleterre, la France, l’Allemagne ont des pouvoirs très fragilisés par les problèmes internes. De nouvelles élections pourraient voir des majorités basculer. Il peut aussi y avoir un discours beaucoup plus égoïste des Européens qui abandonnent les Ukrainiens à leur sort si leurs intérêts changent.
La Russie est en guerre totale contre L’Occident et l’Ukraine. Pour les Russes, c’est l’Occident qui a commencé cette guerre. Ils s’engouffrent dans toutes les failles et utilisent tous les moyens pour arriver à leurs fins. Poutine est persuadé que l’Occident finira par laisser tomber l’Ukraine. Si cela arrive, alors, à ce moment-là, il reparlera aux Ukrainiens usés par la guerre, exsangues, et ayant perdu une grande partie des forces vives du pays. Il arguera que, comme l’ont montré les évènement, il ne fallait pas faire confiance aux Occidentaux et essaiera de faire rentrer l’Ukraine dans le giron russe. Y parviendra-t -il ? Telle est la question.
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