Derrière ce titre « pompeux » se cache l’idée de changer la donne des équipements dans l’armée par rapport au retour d’expérience de l’Ukraine. Nous avons la difficulté de vivre actuellement, malgré une croissance du budget, une transformation très lente de notre outil de combat. Les axes d’efforts se concentrent sur les retards les plus importants : la guerre électronique, la défense sol-air, les drones et les munitions. Les grands programmes de modernisation que sont SCORPION et TITAN pour l’instant reste inchangé.
La difficulté majeure de l’armée de terre, c’est qu’elle n’est pas capable de jouer un rôle stratégique dans la Défense. Elle ne dispose pas d’équipements comme des missiles ou des drones longue portée, ni d’équipements nucléaires, d’ailleurs. En conséquence, dans la lutte pour bénéficier d’un budget suffisant, l’armée de terre est souvent perdante alors que, paradoxalement, c’est elle qui contribue souvent à plus de 70 % des missions.
Dans ce contexte, de restrictions et de besoin urgent de modernisation donc, l’armée doit faire avec les moyens du bord et les choix faits il y a plusieurs années (surtout avant la guerre en Ukraine). De toute manière, un programme d’armement nécessite 10 ans au minimum pour être mis en service, au mieux. Les retards viennent de sur-spécifications, de choix de l’industriel pas toujours pertinents, de difficultés financières etc.
Donc, avant de vouloir tout changer, il faut déjà revoir la manière de gérer un programme. Il faut, à mon sens, moins de spécifications et n’insister que sur l’essentiel ; il faut voir ce qui est proposé sur étagère par les industriels et il faut le financer jusqu’au bout sans variation dans les programmes.
Il ne faut plus hésiter à acheter des engins qui ne feront plus 40 ans de service mais à peine la moitié (voire moins). Le risque est d’avoir plusieurs matériels de générations différentes dans nos armées. C’est là ou il faut construire un juste niveau.
Avons-nous besoin de travailler sur un avion de 6e génération, sachant que nous n’en avons pas de 5e génération ? Pourtant cela serait rapidement à notre portée. Idem pour le char qui ne devrait arriver qu’en 2045 ! Alors que c’est aujourd’hui que nous en avons besoin.
L’autre leçon de la guerre en Ukraine est l’importance du volume dans la guerre. On l’a oublié mais la guerre est d’abord industrielle. Sans usine, pas de guerre. La diversification de notre BITD sur notre territoire permet d’imaginer une remontée de la production (mais cela ne se fera pas sans une amélioration de la formation à tous les niveaux de l’entreprise) et l’arrivée de commandes.
Avoir des programmes qui ne font travailler qu’un temps est aussi handicapant car cela oblige à avoir des équipements souvent pas adaptés. Cela rappelle ce qui s’est passé dans l’industrie aéronautique dans les années 1930. Les commandes dans les années 1930/35 étaient peu nombreuses, voire échantillonnées . Quand il a fallu augmenter la production et que les commandes sont arrivées, il a été difficile d’adapter l’outil industriel pas gabarisé pour les grandes productions. De plus, il a fallu trouver des ouvriers et des machines adaptés. Le retard pris dans la production à cause de cela fit que les engins commandés en 1935 (voire avant) ne seront livrés qu’en 1939 et seront déjà dépassés. C’est un peu ce qui nous arrive avec les véhicules Griffon, Serval et Jaguar. Conçus pour la guerre insurrectionnelle en Afrique ou ailleurs, ils arrivent au moment même où l’armée doit réapprendre la haute intensité. Loin de répondre complètement aux besoins, le rythme lent de la production fera que les derniers engins entreront en service bien après 2035 ! Quand on voit la vitesse d’évolution de notre monde, c’est une folie.
Donc, à mon avis, il faut arrêter le programme médium bien plus tôt et réfléchir tout de suite à une solution adaptée à la guerre d’aujourd’hui pour que les nouveaux engins puissent être produits bien avant 2029. Pour cela, il faut un cahier des charges simples, un choix pragmatique et une limitation du saut technologique.
Le combat de contact
Les guerres interétatiques reviennent. Il faut donc se préparer à ce type de guerre. Je n’expose ici que quelques idées de modifications. Par exemple, il faut oublier le fantassin sur numérisé. Aujourd’hui, il faut un fantassin préparé psychologiquement à la violence et à la mort. Il faut qu’il ait une protection convenable, des moyens de premier soin suffisants pour tenir quelques heures. Il lui faut un équipement lui permettant un maximum d’autonomie (72 à 96 h sans soutien) . Il lui faut des moyens de communication légers et simples, des bâches de camouflage visuel et thermique. Il faut qu’il sache marcher et travailler seul ou en petite équipe de deux ou trois hommes. Il faut qu’il sache passer des obstacles avec ses équipements. Il faut qu’il s’habitue à être déconnecté des réseaux sociaux, à s’ auto-discipliner pour être le plus discret possible.
Il devra apprendre à faire de la moto, du quad, et se servir de tout autre transport léger individuel.
Puis, il y a le nouveau chasseur (à pied) numérique. C’est l’opérateur drone et/ou robot terrestre. Il faut lui apprendre à travailler en équipe avec les fantassins, il faut qu’il sache préparer, réparer, les drones/robots. Il devra aussi savoir s’infiltrer et travailler au plus près de l’adversaire pour apporter un appui immédiat.Tous ces combattants devront maîtriser leur combat en temps de paix. Ce qui nécessite de fabriquer dès à présent des drones (FPV, voilure fixe et autres) et des robots (télécommandés armés ou non). Il faut savoir se servir de ces équipements même avant l’éventualité d’une guerre.Un nouveau véhicule transport de troupe est nécessaire. Il sera petit pour un nombre limité d’équipage (6/8 personnels maxi). Il devra porter des motos et autres engins avec lui. Il devra être très rapide (plus de 90km/h). Il portera une arme automatique de gros calibre (12,7 à 25mm) téléopérée. Puis il devra y avoir le char d’appui feu. Lui aussi sera très petit, très rapide et armé d’un armement permettant le tir direct ou courbe (une sorte de canon mortier) de 90 mm ou 105 mm. Il aura un équipage de deux hommes avec des moyens optiques simples. Il appuiera par ses feux l’action de l’infanterie. Les deux engins seront plus furtifs grâce à leur taille, leur vitesse et leur autonomie (pour être moins dépendant des flux logistiques). La chenille faible pression sera privilégiée pour pouvoir passer sur tout type de terrain et limiter l’effet des mines. La fiabilité, la rusticité et la simplicité sont essentielles à ces véhicules pour que l’équipage puisse faire lui même un grand nombre de réparations.
La logistique de contact.
Actuellement, il n’y a pas de grande offensive car la logistique n’arrive pas en première ligne. Et donc, il y a une contre-attaque qui reprend le territoire perdu.
Donc, il faut revoir notre logistique. La encore, les drones et robot vont jouer un rôle essentiel. Il y aura d’abord les robots « suiveurs ». Ils suivent directement les unités d’assaut pour apporté les équipements lourds, les vivres et les munitions. Leurs manœuvre s’inscrit dans l’action de combat. Puis il y a les drones gros porteurs qui auront la mission de ravitailler les troupes isolés, d’évacuer si possible un blessé, ramener des pièce détaché etc.
l’échelon de soutien
La difficulté est l’attaque de ce soutien par des drones, de l’artillerie, ou une bombe d’aviation. Le soutien doit, par conséquent, aussi s’adapter. Il sera composé de véhicules légers très mobiles et rapides. Ceux-ci devront être armés contre les drones. Ils devront savoir se déplacer en autonomie, se camoufler et disperser les plots logistiques. Il devront savoir mettre en œuvre des drones logistiques.
Les PC section/compagnie/bataillon sera constitué de véhicules aussi rapides que discrets. Très camouflés. Ils devront disperser les antennes, combattre la guerre électronique, s’informer et, en temps réel, diriger les troupes au sol, mais aussi organiser les flux logistiques et coordonner les actions.
La lutte sol/air avec missiles, canons et laser qui devront combattre les moyens de renseignement ennemis, limiter l’action des forces aériennes adverses, protéger autant que possible les PC et autres sites sensibles de l’action des drones. Ils devront être très mobiles et discrets, dispersés, autonomes et parfaitement camouflés.
Quant à l’artillerie, le Caesar et le HIMARS ont tous les deux donné une idée de l’artillerie du futur. Deux nouveaux vecteurs doivent être ajoutés. Les MTO CP (munition téléopérée courte portée) de front qui devront détruire les moyens feux ennemis en rodant sur les arrières et des missiles anti- navires pour bloquer une action navale. D’une portée de 50 à 300 km, l’artillerie devra désorganiser le second échelon ennemi et empêcher la manœuvre opérative ennemie. Il faut pour cela de la mobilité (sur axe et piste), du camouflage (camouflage en véhicule civil à imaginer) et de la coordination pour durer. Et leurs actions dépendront du renseignement fourni par les multi vecteurs de multi espaces (espace, aérien, terrestre, marin, sous-marin, cyber, électronique, humain)
C’est la capacité d’avoir ces informations, mais surtout de les exploiter qui peut changer la donne sur le terrain.
Le soutien lointain
Il faut développer ensuite des capacités de frappes dans la profondeurs. Missile lourd de 300 à 500 km de porté, de MTO LP qui devront saturer les défenses sol/air, neutraliser les PC, détruire les flux logistique, les base aériennes, les ports etc.
On pourrait aussi ajouté les moyens de lutte anti/navires longue porté pour frapper les flottes en profondeurs dans leurs ports.
Le domaine aérien
La dangerosité des frappes dans la profondeur pose la question de l’emploi des bases aériennes comme moyens de projection. Il serait intéressant que l’armée de l’air, pour compléter l’action des Rafale et remplacer les mirages 2000, reçoivent un chasseur léger de 5e génération. L’avion devra être capable de décoller d’une piste courte et d’agir le plus longtemps possible dans un environnement contesté (mais quand même à distance). En outre, il devra savoir exploiter au mieux les senseurs extérieurs pour ne pas être repéré. On peut imaginer alors un drone équipé d’un radar, un Rafale, une station au sol, ou un avion de surveillance aérienne guider l’avion dans son action, ainsi optimisant sa furtivité. Il porterait aussi des armements très complexes dont il n’a pas nécessairement pleinement les commandes. Par exemple, il lancerait une bombe qui serait guidé par un drone, un autre avion ou un opérateur au sol. Il n’aurait pas besoin d’être « sophistiqué » tout en ayant toutes les capacités possibles, comme le Rafale.
Dans le domaine naval
La destruction du croiseur lourd en Mer Noire fait prendre conscience d’une réalité de la guerre moderne : les navires sont des cibles. Même si en Mer Rouge, les Houthis ne sont pas parvenus à frapper un navire de guerre, rien ne dit que dans un avenir proche cela n’arrive pas. Une réflexion existe actuellement sur des navires de petite taille très rapides et surtout disposant d’une bonne autonomie, qui pourrait révolutionner l’art naval. En effet, leur vitesse, techniquement, les « immunisent » des drones navals. Leur taille et leur maniabilité les rendent difficiles à attaquer. Les navires ne sont pas obligés de disposer de moyens de renseignement propres et peuvent s’appuyer sur les autres senseurs multi milieux. Comme l’artillerie, ils seraient capable de s’adapter à la menace ou aux objectifs avec des containers modulables. Un navire porterait des missiles de frappe dans la profondeur, les autres des missiles mer/air, les autres des MTO etc. Retrouvant de la masse avec des petits navires, ils pourraient permettre une permanence à la mer plus pertinente et plus économique que celle obtenue par de plus gros navires. Cela est particulièrement vrai prêt des côtes ou dans des mers étroites comme la mer Rouge, le Golfe Persique, la Mer Noire , les Caraïbes la Polynésie etc.
En conclusion, je dirais qu’il existe de multiples solutions techniques et organisationnelles pour adapter notre armée aux menaces futures sans être obligés de se ruiner. L’adaptabilité de notre armée doit lui permettre de survivre au moment où les temps deviennent difficiles. Sans un effort d’imagination, nous risquons de partir en guerre avec les équipements de la guerre du passé et avec les conséquences que l’on connaît puisque nous l’avons déjà vécu. Je crains pourtant que, malgré la volonté affichée d’être prêt à toute éventualité, nous n’empruntions déjà cette voie vouée à l’échec.
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