L'évolution de la puissance de feu antichars sur le champ de bataille pose la question de l’adaptation de nos formations aux nouvelles menaces. L’évolution des pays qui sont actuellement en guerre, comme Israël, se porte sur le peloton à 2 chars.
En France, le peloton de chars était à 3 ou 4 chars pendant la guerre froide. L’évolution des menaces et des missions a obligé l’école de cavalerie à retranscrire le combat antiguérilla dans la doctrine et la formation du peloton char. De 4 chars, le peloton est passé à 3 chars 3 VBL comme la cavalerie légère. L’idée était de normer l’instruction des cadres permettant une plus grande souplesse de gestion humaine. En effet, un chef de peloton de chars Leclerc pouvait passer chef de peloton AMX 10 RC en n'ayant juste une formation technique.
Du 3 chars 3 VBL, le peloton de chars est passé à 4 chars 4 VBL. L’idée cette fois-ci était que le peloton de chars avait le même effectif que la section d’infanterie, ce qui facilitait le déploiement dans les missions Sentinelle. Cela permettait aussi au peloton de manœuvrer sur deux compartiments de terrain de manière plus homogène.
La difficulté de la formation est la charge cognitive demandée au chef de peloton. Dans les faits, celui-ci dispose de 8 pions qui, même organisés en binôme, restent difficiles à gérer. L’importance de la préparation de la mission est plus grande et impose plus de délais.
Il y a aussi la difficulté de gérer les feux sur un réseau unique, mais sur des terrains différents. Il faut aussi prendre en compte les conséquences des pertes des chefs dans les binômes ou, pire, la perte du chef de peloton. Si celui-ci est neutralisé et que le peloton se trouve sur deux compartiments (voire plus…), il sera difficile à l’adjoint de reprendre le commandement et de coordonner l’action du peloton, car il sera lui-même entièrement pris par le combat de ses deux binômes et de son char.
Cela ne se pose pas moins à 4 chars, parce que le peloton ne manœuvre pas. Le chef de peloton n’a « juste » qu’à adapter ses formations et diriger ses feux. Tout le peloton, alors, sait d’avance ce qu’il a fait et, en suivant le réseau escadron, il peut suivre le combat et savoir par où l’ennemi pourrait agir. Le combat est plus « simple » et plus fluide.
La puissance de feu des drones, de l’artillerie, des missiles antichars et des chars fait courir un risque très grand au peloton de chars. Avoir 4 chars dans un même compartiment est devenu trop risqué, comme on le voit en Ukraine.
L’action en binôme est la plus simple et la plus souple. Elle permet d’appliquer des formations simples sur une zone réduite. Plus petite, elle peut se coordonner avec d’autres binômes d’infanterie mécanisée ou de génie pour former un détachement interarmes.
Plus souple et moins « visible », le binôme de chars est devenu peloton en Israël pour cette raison. Le combat dans les zones urbaines ne permet pas une « manœuvre » du peloton de chars. Dans une rue, deux chars sont plus faciles à « manœuvrer » que trois chars.
En Ukraine, les pelotons russe et ukrainien sont, eux aussi, atomisés. Il y a souvent l’action d’un char dans le détachement d’assaut pour appuyer la progression. Dans l’offensive, le binôme est fréquemment utilisé, car plus souple et moins « visible » qu’une grosse formation. Les pertes en chars ont d’ailleurs souvent décapité le système de commandement classique. Ce qui reste des pelotons se réorganise au gré des pertes et des missions.
Le peloton à 4 chars 4 VBL n’est pas idéal en haute intensité. En premier lieu, les VBL seraient rapidement neutralisés. En Ukraine, le Tigre des Russes comme le Hummer des Ukrainiens n’ont pas montré de capacité de persistance sur le champ de bataille. Le VBL avait déjà été retiré d’Afghanistan en raison de son manque de protection ; il est certain qu’il ne serait pas en mesure de tenir longtemps en première ligne sur le front ukrainien.
En revanche, employé à l’arrière comme porteur de drones, le VBL pourrait trouver une nouvelle fonction. La question est de savoir si celui-ci devrait rester sous le commandement du chef de peloton char ou, au contraire, être servi seulement en peloton de reconnaissance et d’investigation.
Le peloton de chars alors perdant ses VBL se retrouverait à perdre sa disposition à la manœuvre, mais gagnerait à continuer à travailler en binôme pour couvrir toujours deux compartiments tout en étant moins exposé. Cette logique viendrait donc à créer un peloton à deux chars.
L’autre innovation serait le système de commandant. Le peloton de chars serait commandé par des sous-officiers et le détachement interarmes serait aux ordres d’un lieutenant qui commanderait à distance.
La raison de cette transformation est le coût et le temps de formation des officiers. La mortalité élevée et la complexité des actes de commandement, surtout avec un environnement 3D, obligent aujourd’hui à alléger le chef dans son action combat.
En Ukraine, les chefs de peloton ukrainiens ne sont plus en première ligne pour cette raison. Ils sont souvent avec les opérateurs de drones qu’ils utilisent pour suivre l’action.
La transformation du peloton de char et du système de commandement est une évolution qui va donc apparaître dans les armées modernes en raison de l’augmentation des menaces et des capteurs. Cette transformation va permettre de corriger les défauts de l’actuelle organisation et de redonner une souplesse tactique permise par les détachements interarmes.
Merci beaucoup pour ces réflexions. Je retiens parmi l'ensemble des propositions celle qui concerne la place du chef au combat. Je me suis souvent demandé en effet, dans ces guerres modernes, où il est bon que le chef se trouve. Dans la mesure où la plus-value de sa présence physique à un endroit du dispositif de la section / peloton est plus faible que par le passé en raison de l'atomisation du dispositif d'une part. Et d'autre part parce que les moyens de communication permettent de suivre, tant qu'ils fonctionnent, l'action tout en offrant le recul nécessaire à la collecte des compte-rendus et à leur exploitation en vue de la prise de décision.
RépondreSupprimerJe me souviens d'une manoeuvre de niveau GTIA où le chef de corps, souhaitant respecter la règle de la place du chef "au coeur de l'action principale", avait collé durant toute une phase offensive le SGTIA qui effectuait une percée, en "collant" le véhicule PC du capitaine commandant le SGTIA. Volonté de respecter les "abaques", manque de confiance dans le subordonné direct, atrophie de l'initiative, cela m'avait laissé songeur en cas de conflit réel. Ce chef de corps avait d'ailleurs été neutralisé au cours de l'action, sans que l'enseignement n'en soit tiré par la suite.
La transparence du champ de bataille nécessite de revoir la place du chef dans l'action il me semble, ce qui permettra peut-être de "redécouvrir" à quel point sa visibilité sur le terrain, ainsi que sa voix en radio, ont un impact psychologique qui importe bien plus encore que la plus-value tactique.