La dissuasion est nationale, elle ne se divise pas et ne se partage pas. Elle garantit la souveraineté nationale et la survie de la nation. Voilà en quelques mots les principes fondateurs de la dissuasion. La discussion lancée par le président de la République français à propos d’un possible partage de la dissuasion pourrait être perçue comme une hérésie à la fois doctrinale et même une forme de trahison intellectuelle à l’esprit de la dissuasion. Selon l’article 5 de la Constitution française :
« Le président de la République veille au respect de la Constitution. Garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire et du respect des traités conclus par la France, il est le seul à détenir le pouvoir de déclencher le feu nucléaire »(1)
C’est pour cette raison que le président de la République est élu au suffrage universel direct.
Il est pertinent ici de rappeler les raisons qui ont conduit la France à disposer d’une dissuasion nucléaire.
En 1940, la France subit sa plus grande défaite, elle s’est retrouvée toute seul après le départ des Anglais à Dunkerque. Après la défaite de la bataille de France, elle a eu le sentiment qu’elle risquait de disparaître. Sans la volonté de quelques hommes, cela aurait pu être vrai. Quand les Américains débarquent en Normandie, ils ont pour projet de coloniser la France avec l’Allied Military Government of Occupied Territories ou AMEGOT (2). Sans l’adhésion des résistances à la France Libre de De Gaulle et la volonté de celui-ci de ne rien céder, la France aurait été traité comme l’Allemagne.
En 1956, l’opération Mousquetaire à Suez se voit arrêtée par la pression des Américains et des Russes. C’est la fin de la notion de puissance coloniale. A chaque fois, la France se retrouve seule. Les partenaires ou les alliés font faux bond.
En cette fin des années 50, il est par conséquent nécessaire pour le pouvoir politique de se libérer un espace de manœuvre pour ne plus être dépendant d’autres partenaires.
La guerre en Algérie fait revenir le général de Gaulle. Il comprend que la puissance n’est plus l’infiniment grand mais, au contraire, l’infiniment petit, c’est-à-dire l’atome.
Il profite des travaux de la 4e République pour intensifier les travaux sur la bombe nucléaire. La première explosion a lieu en 1960. Suivra la mise en place d’une triade nucléaire. A partir des années 70, la triades est complétée par des moyens tactiques. D’abord considérées comme super artillerie, très vite, ces armes deviennent des armes préstratégiques d’ultime avertissement.
Pour le général De Gaulle, l’arme nucléaire est une arme de souveraineté qui impose à la France, pour qu’elle soit sûre de son emploi, une indépendance totale. C’est pour cela qu’elle sort du commandement intégré de L’OTAN. Celui-ci est aux ordres des Etats-Unis, ce qui aurait pu sous- entendre que les armes nucléaires françaises étaient au ordres des Américains.
La France reste dans l’OTAN et sait parfaitement que la menace la plus crédible est bien une attaque du pacte de Varsovie. A l’époque, la France est en deuxième échelon de l’OTAN.
C’est en regardant une carte que l’on comprend que lorsque De Gaulle parle d’une défense européenne, il parle de l’Europe de 1966 et pas de celle de 2025 ! La France en 1966 est physiquement au centre de cette Europe de l’ouest. Les pays tampons entre la frontière française et les communistes sont des zones stratégiques pour la France surtout quand la distance de la frontière avec les communistes est de moins de 300km.
Dans le cadre d’une défense en avant, le 2e Corps, en Allemagne, est en appui des armées alliées qui sont juste à la frontière. Le 3e Corps couvre la Belgique et la Hollande. Le 1er Corps est une sorte de réserve générale installée à l’Est de la France. Chaque corps a un régiment de missiles Pluton de 100km de portée. Il y a également la FATAC (Force Aérienne Tactique) qui dispose d’avions porteur d’armes nucléaires tactiques qui peuvent elles aussi intervenir.
En mer, la défense des côtes et de la Zone Économique Exclusive fait partie des missions des forces navales. Mais leur première mission est la protection des forces sous-marines stratégiques.
Dans le cadre des risques sur un partenaire éloigné au Sud de l’Europe, en Afrique ou au Moyen- Orient, la France possède la Force d’Action Rapide (FAR). Elle détient aussi d’une capacité de frappe nucléaire préstratégique avec les super étendards porteurs d’armes nucléaires à partir des porte-avions si une nation venait à menacer nos départements et territoires d’outre-mer.
Tous ces moyens doivent garantir l’intégrité territoriale. L’ensemble de cette doctrine s’appelle la dissuasion.
C’est cette mission que doivent garantir le chef de l’Etat et les forces armées. Mais les hommes politiques ne sont plus au fait de la doctrine de la Guerre froide, et ont, au contraire, détricoté la dissuasion. L’acte le plus problématique est le retour de la France dans le commandement intégré de l’OTAN qui nous lie, comme l’adhésion à l’Union européenne, aux alliés, créant un flou doctrinale croissant.
La perte d’indépendance de la France s’est accrue avec la mondialisation. Les bases industrielles ayant été délocalisées à l’étranger, la France se retrouve en difficulté pour trouver les matières premières ou les équipements pour sa dissuasion.
La réduction de la force conventionnelle ne permet plus la défense de l’avant. Cette force ne dispose plus du volume ni des moyens pour cette stratégie.
Sous sa forme actuelle trop réduite, la dissuasion n’est cohérent que dans le cadre de la défense des intérêts nationaux. Elle n’est nullement apte à la défense de l’Europe.
La survie de la France est aux mains du président de la République élu grâce et par la souveraineté nationale. Il est garant de l’indépendance nationale, de l’intégrité du territoire (1). L’idée de « souveraineté » européenne, souvent évoquée par le président, sous-entend que les peuples européens auraient élu un président pour garantir l’indépendance européenne et l’intégrité des territoires. Or cela n’est pas le cas.
Si d’aventure le président de la République venait à engager l’arme nucléaire pour protéger une nation étrangère, il risquerait l’intégrité territoriale puisque la France serait susceptible alors d’être la cible d’une frappe de représailles.
En aucun cas, le président de la République n’a le mandat politique ou constitutionnel pour un tel engagement.
Demander que la France mette sa dissuasion au pot commun européen est doctrinalement absurde.
Seul un changement de constitution pourrait autoriser une telle évolution de la doctrine. La question est de savoir si le peuple accepterait de payer la défense des autres tout en risquant de subir une frappe en représailles. De toute manière, le traité de non-prolifération nucléaire interdit à de nouveaux organismes de disposer d’armes nucléaires. Ainsi, la dissuasion nationale a de fortes chances de rester française encore longtemps.
(1) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/article_lc/LEGIARTI000006527459
(2) https://www.monde-diplomatique.fr/2003/05/LACROIX_RIZ/10168
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