Le Leclerc Evolution

 


En novembre 2024, le général Schill a déclaré au Sénat que le seul avenir du char en France était le MGCS (1). En effet, le général s’est mis d’accord avec son homologue allemand sur la fiche commune d’expression des besoins pour la poursuite de ce programme.

La déception d’entendre notre chef des armées s’enfermer dans cette politique mortifère pour notre industrie et pour notre autonomie reste à relativiser. Après réflexion, les problèmes pour notre défense vont se cumuler. Une crise politique et financière pourrait voir les budgets ponctionnés pour participer à l’effort collectif.

La réalité financière est le handicape majeur. Pour l’instant et sans changement politique, seul le programme MGCS est financé. Se lancer dans un autre programme actuellement, c’est devoir retirer des financements, soit à la rénovation des Leclerc, soit au programme MGCS. Pire, l’introduction d’un programme intermédiaire pourrait annuler le programme MGCS. Pour l’instant donc, il n’est sans doute pas envisageable de se lancer dans ce type de projet.

Pourtant, dans l’histoire récentes, il existe des exemples de programmes qui n’avaient pas rencontré les faveurs de nos autorités militaires et politiques et qui ont été ensuite des immenses succès. Je parle du SCORPENE, le sous-marin à propulsion classique qui à été vendu dans le monde entier. On peut parler aussi du Rafale qui, après bien des déboires, est devenu le plus gros succès commercial français depuis le Mirage III.

Et il y a naturellement le CAESAR, le nouveau canon porté par camion qui a été le canon le plus efficace du conflit ukrainien et reste un immense succès commercial.

Le CAESAR, au départ, n’avait pas été demandé par l’armée. C’est l’industriel qui, sur fonds propres, a mis au point le canon automoteur. L’armée n’était pas demandeuse, mais pour lancer les exportations du canon, elle a commandé une pré-série de 5 canons. A la surprise des militaires, le système proposé par l’industriel (GIAT Industrie à l’époque) s’est avéré être performant. De plus, le programme de remplacement de l’AUF1 était à l’arrêt en grande partie par manque de financement. Nous sommes dans la période des dividendes de la paix.

A mon sens, si nous voulons voir un jour un char intermédiaire être mis en service, il faudra qu’un industriel propose une solution sur fonds propres. Il faudra que cette solution apporte une plus value par rapport au Leclerc rénovation et qu’il obtienne rapidement les jalons de qualification.

Le Cheval de Troyes pour le MGCS : le canon ASCALON

Il n’y a pas que le CEMAT qui se pose des questions sur l’avenir de notre outil blindé. Il y a aussi la Commission de la défense au Parlement qui, elle aussi, a sa vision de l’avenir du char. Les parlementaires ont exprimé leurs inquiétudes face à la campagne commerciale de Rheinmetall pour le KF51 et surtout sur le canon de 130mm. Les parlementaires comprennent que le choix de l’armement futur du MGCS ne sera pas qu’une question de qualité et de performance, mais aussi une affaire d’influence.

En effet, les industriels allemands placent leurs billes sur le marché européen du blindé. Reinmetall se place ainsi actuellement en Italie, en Hongrie, en Angleterre en Ukraine et cela ne fait que commencer. L’entreprise allemande en profite pour placer la possibilité de remplacer les canons de 120mm par le 130mm.

Le canon de 130mm semble pourtant inférieur en qualité au canon ASCALON. La performance du canon français se porte sur plusieurs domaines. Le canon a un nouveau manchon anti-arcure plus performant, il est interchangeable en 30mn et peut passer de 120mm à 140mm. La munition de 140mm télescopique a une faible pression au moment du tir, tout en ayant une vitesse élevée en sortie de bouche. Cette faible pression laisse une marge de progression pour la création de munitions encore plus énergisantes. La nouvelle munition SHARK est, de plus, hautement performante. Le 140mm permet de construire des obus intégrant plus facilement de l’électronique. L’obus est, en outre, moins long, ce qui simplifie l’intégration dans un chargement automatique.

Le 130mm est, lui, déjà au maximum de ses capacités physiques ; ses capacités d’évolution sont plus faibles et les Allemands le savent. Pour gagner cette partie, il s’agit d’avoir le « coup d’avance », c’est-à-dire se présenter en premier pour que le calibre devienne standard.

Le canon du MGCS devrait être choisi après un concours comparatif dans lequel le meilleur sera sélectionné. Imposé sur le marché, son calibre, grâce à la vente de KF51 (ou autre), permettrait d’imposer le canon dans la compétition.

Les parlementaires ayant bien compris la manœuvre allemande, il y a aujourd’hui des discussions plus que sérieuses pour que le canon ASCALON soit intégré au plus tôt sur un véhicule en vue de ne pas se laisser dépasser par les Allemands.

Et quel char pourrait intégrer cette arme de manière optimum, si ce n’est le Leclerc évolution ? Loin d’être une simple rénovation, ce char apporte de nouvelles solutions au problème d’aujourd’hui. Le char dispose d’une nouvelle tourelle avec, en outre, le canon ASCALON, mais aussi un canon de 30mm qui lui permet de traiter les cibles moins blindées et les drones. Il dispose aussi d’une protection active de type Trophy. La guerre en Ukraine et au Moyen-Orient ont clairement montré que l’on ne pouvait pas se passer de ce type d’équipement.

Pour gérer la NEB et le canon de 30mm, le châssis a perdu son barillet à munitions pour un quatrième homme d’équipage. A l’image du Merkava, il y a un début de démocratisation des écrans.

Il reste beaucoup d’évolutions dans ce véhicule. Il y a la possibilité d’y intégrer un moteur hybride avec des réserves d’énergie suffisantes pour servir à l’emploi de la tourelle et du système à l’arrêt.

D’autre systèmes comme l’électronique, les systèmes de vision et de communication devront avoir été viabilisés en s’appuyant sur la technologie du programme SCORPION.

KNDS France devrait donc, à mon sens, proposer rapidement, sur fonds propres, un engin en essai « prêt au combat ». Après cela, suite aux essais initiaux qui devront montrer de réelles compétences, il sera possible d’imaginer que l’armée revienne sur sa décision et se décide à acheter une pré-série de quelques engins pour évaluation.

Le marché du char dans le monde est de 8936 engins (2) et offre donc des possibilités de ventes nombreuses.

Le prix des chars aujourd’hui en occident est, de plus, très élevé. Le Léopard 2 A8 est de l’ordre de 35 millions d’euros, 25 millions d’euros pour la dernière version du M1. Acheter un char « sur étagère » à ce prix n’est pas plus rentable que de le fabriquer soi-même.

KNDS devrait pouvoir reporter une partie de la conception de l’engin par le biais de la revalorisation Leclerc et du programme SCORPION. Proposer un char moins cher serait un argument commercial de poids sur un marché mondial aussi ouvert. Seul le K2 est actuellement compétitif. La maîtrise des savoir-faire technologiques et la possibilité de collaboration avec des partenaires étrangers pourraient permettre de maîtriser ces coûts.

La France a une vraie carte à jouer dans ce domaine, mais la question est de savoir quel est le degré de volonté des politiques, des industriels et des militaires à poursuivre notre aventure de chars entamé il y a plus de 110 ans.


(1) https://www.saumur-anorabc.org/actualites/senat-audition-du-cemat-larmee-de-terre-a-besoin-du-mgcs/


(2) https://meta-defense.fr/2025/01/18/leclerc-evolutions-8936-raisons-france/

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