Qu’est ce que l’Union Européenne ? Une union de nations, un pouvoir fédéral, un nouvel espace ultra nationale sans patrie ni frontière, ou un nouvel empire ?
Quel que soit la réponse, jusqu’à présent, chaque nation de l’UE était souverain pour tout ce qui concernait sa protection et ses armements. Les nations européennes dépensent collectivement plus que les Etats-Unis, mais individuellement par état cela ne représente presque rien.
Il est donc logique d’imaginer que la mutualisation des efforts permettrait d’améliorer le niveau et la quantité des équipements en service dans l’UE.
Un piège qui se met en place
Mais comment pourrait-on obliger les états à abandonner leurs prérogatives ? Dans un certain nombre de pays européens, il existe une industrie de défense plus ou moins performante qui arme les états. La France, comme l’Allemagne, dispose d’un ensemble d’industries qui lui permet de produire presque l’ensemble des armements qui lui est nécessaire.
Mais la défense a subi de grandes modifications depuis les années 90. La chute du Mur de Berlin a entraîné un transfert des budgets de défense vers d’autres secteurs de l’économie. La baisse des commandes a fait disparaître un certain nombre d’entreprises qui ont été rachetées. D’autre se sont associées pour devenir de plus grands groupes à même d’avoir les ressources pour tenir sur un marcher devenu extrêmement concurrentiel.
Si les états possèdent toujours une part de ces entreprises, beaucoup ont été partiellement ou totalement privatisées. Les modifications du règlement des marchés publiques autorisèrent les états à privilégier les entreprises nationales. Mais ces marchés ne suffisent pas à faire vivre les entreprises et beaucoup sont obligées de procéder à des plans sociaux.
Les entreprises vont donc perdre une grande partie de leurs ouvriers spécialisés comme d’une grande partie de leurs machines outils. Les commandes étant réduites, la production était au strict minimum pour garantir une activité.
Pour pouvoir innover ou proposer de nouveaux équipements, les entreprises ont besoin de capitaux d’états ou d’aides de banques. Le marché de l’armement a été stable pendant longtemps, ce qui fait que l’investissement était sûr.
Pourtant, de nouvelles directives européennes et la crise des dettes souveraines vont compliquer cette possibilité d’investissement.
La crise de 2008, puis les crises de l’Euro et des dettes obligent les états européens à restreindre fortement leurs dépenses. Quand enfin la situation s’améliore dans les années 2016/17, c’est la crise du COVID qui vient percuter les économies. Pour la France par exemple, c’est la politique du « quoi qu’il en coûte ». Pendant ces périodes, les dettes des pays ont enflé, voire triplé. La Banque Européenne a couvert les dettes des pays et injecté de la liquidité dans le marché européen pour maintenir une croissance minimum. La conséquence de ces mesures fut une inflation qui correspond au trop plein de liquidités qui sont récupérées de cette manière. Mais cela a fragilisé les économies et les capacités des états à investir.
Le Green Deal
La COP 21, puis les règlements européens qui en découlent, vont mettre à mal la politique d’investissement de la BITD (base industrielle et technologique de défense). En effet, pour des raisons écologiques, les banques se voient contraintes de limiter leurs investissements dans les industries non vertueuses écologiquement. La BITD naturellement en fait partie. Elle repose d’abord sur une industrie lourde dans le domaine de la métallurgie et de la chimie. Les entreprises ont, suite à cette nouvelle réglementation, eu beaucoup plus de mal à obtenir des fonds. La situation allait poser des problèmes graves lors la guerre en Ukraine.
La course technologique
En plus de tous ces éléments, la BITD s’était convertie à la haute technologie. Les Américains, en 1991, font étalage de leur domination militaire, non seulement dans les domaines tactique et opératif, mais aussi dans le domaine technologique. Ils vont alors imposer un standard à tout pays qui voudrait collaborer avec eux. Si vous n’êtes pas au niveau, vous passez au second rang. La France comme l’Angleterre et l’Allemagne, par exemple, ont donc investi massivement dans des équipements de haute technologique. En a résulté une augmentation du coût des équipements et une plus grande complexification de leurs productions.
Donc, la fin des arsenaux, la chute du Mur, la course technologique, la crise de la dette et les engagements écologiques vont saper les moyens de la BITD à être ce qu’elle doit être, c’est-à-dire une industrie à même de soutenir l’effort de guerre des états.
La réponse européenne
Les états ne pouvant plus compter sur leur économie pour soutenir leur BITD, ils ont cherché de nouvelles solutions d’investissement collectif avec, par exemple, l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAr). Un programme d’armement était financé et produit en commun comme l’A400M, le NH90 etc. Tout cela est fait dans l’espoir d’avoir un produit moins cher, mais dans la majorité des cas, l’équipement a coûté plus cher que si un état l’avait fait tout seul.
La guerre en Ukraine va donc mettre sous pression tout le monde et en premier les politiques. Ils s’aperçoivent que le sous-investissement les laisse désarmés face à la menace russe. La panique est accentuée par la situation politique dans chaque pays. L’ouverture à la mondialisation et surtout une immigration non consentie par les terres d’accueil accentue des sentiments nationalistes. Il existe une volonté des peuples à continuer d’exister en tant que tels. La menace russe et le discours agressif du pouvoir central de Bruxelles semblent contradictoires avec le discours européiste qui promettait que la zone européenne serait une zone de paix et de prospérité. La société européenne est devenue individualiste et il est beaucoup plus difficile de mobiliser les populations à une défense commune.
La Commission, et en particulier madame Ursula von der Leyen, sa présidente, a proposé de faire un pas de plus vers la fédéralisation de l’Europe en enlevant la prérogative de l’achat de l’armement des états pour la confier à la Commission. Pour cela, elle espère aiguiller 500 milliards d’euros vers un nouvelle organisation, l’European Defence Industry Programme (EDIP) qui sera une structure d’achat mutuel d’armement. L’organisation doit permettre de mutualiser les commandes et surtout de les augmenter.
Si la solution paraît d’emblée intéressante, la réalité est complexe, car elle cache sans doute d’autres objectifs moins avouables, comme la volonté de se substituer aux états dans la prise de décision en matière de défense c’est à dire à la fin de diplomatie.
Les
conséquences dangereuses
La première conséquence est d’abord pour les BITD nationales. En effet, créer à l’intérieur même un marché concurrentiel complémentaire risque de provoquer la disparition des entreprises les moins solides. En effet, il existe un grand nombre d’entreprises redondantes dans tous les domaines. Il est facile de comprendre qu’avec un tel système de mutualisation des commandes, un certain nombre vont disparaître.
Autre conséquence, la monopolisation de certaines entreprises. Moins d’entreprises, cela veut dire aussi à l’issue, moins de concurrence. On le voit aux Etats-Unis : avec Lockheed qui monopolise actuellement le marché de l’aviation de combat américaine, il n’y a plus de concurrence. L’armée américaine pourtant cherche un autre acteur pour faire pression sur Lockheed.
En Europe, il y a trois fabricants d’avions de combat et pourtant la majorité des pays européens achètent le F35 américain.
C’est ici le deuxième danger d’EDIP, : l’achat sur étagère d’équipement étranger. Pour l’instant non définie, il se pourrait que « l’urgence » du danger impose l’achat d’équipements comme les char ou l’artillerie. Pourtant, il existe, là aussi, des fabricants européens qui seraient aptes à fournir, mais comme on l’a vu, l’état des industriels ne permet pas cette possibilité.
Les Américains l’ont d’ailleurs bien compris. En faisant pression sur les Européens pour que les pays passe à 5 % du PIB dans la défense et que les fonds soit profitables à l’ensemble des partenaires de l’OTAN. ils veulent naturellement inciter à acheter américain. Depuis le début de la guerre en Ukraine, la BITD américaine a bien profité des finances européennes.
De plus, il y a des pays qui ne disposent pas d’une BITD importante et qui sont déjà dans une politique d’américanisation de leurs armements nationaux. Ils ne souhaitent pas d’une indépendance européenne face à l’OTAN et n’acceptent que l’hégémonie que des Etats-Unis.
C’est ici que l’on voit la force de l’Allemagne dans cette stratégie, car ce pays est le seul qui dispose d’une BITD presque complète, mais, en plus, elle dispose d’une économie qui est en mesure de soutenir l’effort militaire grâce à une dette maîtrisée. L’Allemagne a de nombreux partenaires réguliers en Europe. Il est un grand fournisseur d’équipements lourds comme les chars et les blindés en tout genre mais aussi l’électronique, le naval et l’aéronautique. Plus intégré au marché européen, l’Allemagne aurait donc en bonne place si l’EDIP était fonctionnelle.
Pour la France, cela pourrait être catastrophique, la France pourrait voir ses entreprises de la BITD être soumises à la concurrence presque déloyale. La France exporte majoritairement ses armements en dehors de l’UE et donc risque de se voir pénaliser en ne touchant pas les aides de l’UE. Mises de côté, dans l’impossibilité d’obtenir des subventions des banques et contraintes par les normes écologiques, les entreprises de la BITD française sans les commandes nationales risquent de disparaître.
Outre la BITD, c’est notre autonomie et indépendance que nous perdrions définitivement. En effet, si nous n’avons pas d’industrie pour produire certains équipements, nous dépendrons des fournisseurs avec des conséquences sur nos engagements diplomatique et militaire. Si demain, par exemple, la France soutenait les Grecs contre une attaque Turque, quelle serait la position européenne. L’Allemagne ayant des liens particuliers avec la Turquie, les Italiens et les Anglais ayant des relations économiques particulières avec ce pays, quelle sera la position de nos partenaires. Quelle pression subirions-nous de la part de nos partenaires s’ils ne souhaitent pas nous soutenir ? Pourraient-ils priver la France de fournitures ?
La même question est à poser sur notre marché d’exportation, l’Europe nous bloquera t-elle certains marchés ? Serions-nous encore vus comme un pays à part ayant un degré d’indépendance ? Quant à l’assurance due à notre dissuasion nucléaire, sans des moyens conventionnels pour la protéger et couvrir le spectre en dessous du seuil nucléaire, cette dissuasion n’est plus efficace.
Comme on le voit, ce qui paraît être une bonne idée pourrait se transformer en désastre pour la BITD européenne et en particulier celle de la France. Cheval de Troyes de la domination américaine sur l’UE, la nouvelle politique de défense européenne risque de faire plus mal que de bien. Sans une réaction de fermeté de la part des dirigeants français avec l’affirmation de notre volonté de rester libre de nos positions politiques, diplomatiques, nous ne serions demains plus qu’une province d’un empire sans grandeur et sans voix.
le cheval de TROIE et non de Troyes ...!
RépondreSupprimeroui!!! pardon
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