Occident contre monde : le nouveau jeu de Go

 

Le 22 février 2022, la Russie attaque l’Ukraine. Se faisant, non seulement elle déclenche le conflit le plus violent de ce siècle, mais elle bouleverse aussi l’ordre établi il y a maintenant 30 ans avec la victoire du capitalisme libéral occidental contre le communisme, suite à la chute du Mur de Berlin.

Cette attaque est la conséquence d’une longue dégradation de la puissance occidentale. Le restant du monde aujourd’hui regarde dans d’autres directions.

En 1989, le monde vit le plus grand bouleversement depuis la Seconde guerre mondiale et les accords de Yalta qui divisent le monde en trois. La chute du Mur remet en cause cet accord et l’on bascule dans un monde unipolaire dominé par l’occident, en particulier les États Unis. En l’an 2000, la mondialisation économique, avec surtout l’entrée de la Chine dans ce système, va provoquer la plus grande délocalisation d’entreprises de l’occident. La production de matières premières comme leur transformation sont maintenant transférés à des nations non-occidentales.

Grâce à cette mondialisation, les nations du monde entier deviennent de plus en plus riches, en particulier la Chine, la Russie, le Brésil, l’Afrique du sud, la Turquie, l’Inde, la Corée du Sud, l’Indonésie, l’Arabie Saoudite, les pays du Golfe, entre autres vont profiter pour faire croître leur richesse, mais surtout leurs forces armées.

Au même moment, les pays occidentaux ont décidé de profiter des dividendes de la paix. Réduisant leurs dépenses militaires, la supériorité technologique garantit leur supériorité.

Suite à la Guerre du Golfe et celle de Yougoslavie, le droit d’ingérence autorise les puissances occidentales à intervenir partout dans le monde contre toute menace à la démocratie, au nom de ce droit international arbitrairement défini par elles. C’est l’heure des opérations extérieures. L’occident subit sa plus grave agression le 11 septembre 2001 avec les attentats contre le World Trade Center à New-York et le Pentagone en Virginie. La lutte contre le terrorisme islamiste monopolisera l’occident pendant 19 ans.

Le départ lamentable des Américains de Kaboul en 2021 met fin, symboliquement, de manière temporaire, à ce conflit qui n’avait pas de nom. Stratégiquement, l’occident sort affaibli de la guerre contre le terrorisme islamiste. En effet, pendant cette période, l’effort militaire s’est concentré sur la lutte insurrectionnelle et non sur le combat de haute intensité. Le départ précipité des

Américains de Kaboul cache un autre échec occidental, celui de la défense du droit international. L’Irak passe sous le contrôle de l’Iran et des Kurdes. L’Afghanistan retrouve les Talibans. La Guerre en Libye en 2011 va enflammer toute l’Afrique saharienne. Le départ français, en 2022, du Niger est, lui, le pendant de l’échec de Kaboul.

Parallèlement, les inégalités économiques vont se niveler dans le reste du monde alors qu’au même moment, l’économie dans les pays occidentaux stagnait, voire régressait. Les différents traités d’échanges, loin de favoriser les économies européennes, ont, au contraire, encore amplifié un déséquilibre qui leur est néfaste. Se concentrant sur une économie de consommation, la France a, par exemple vu fondre ses capacités industrielles pour ne représenter que 10 % de l’économie.

Le décalage économique s’est accélérée en raison de ce déséquilibre et le même phénomène s’est déroulé dans le domaine de la défense. L’occident a assisté en spectateur au réarmement mondial. Les budgets mondiaux n’ont pourtant fait que croître. Certaines puissances montantes sont arrivées à un niveau d’équilibre avec l’Occident. Elles demandent maintenant à disposer des mêmes avantages et ont les mêmes besoins. Cet équilibre entraîne un risque de concurrence et de conflictualité. La peur d’affronter l’occident a diminué et les échecs en Irak, en Afrique et en Afghanistan ont montré qu’il pouvait être vaincu.

Mais cet équilibre n’a pas qu’armé la volonté à accepter la confrontation. De nouvelles revendications territoriales se font jour par ailleurs. Les conflits interétatiques qui avaient, un temps, disparu, reviennent, risquant d’enflammer de nouvelles régions. Les conflits régionaux pourraient avoir des conséquences sur notre économie. Une guerre faisant obstacle à la libre circulation des marchandises pourrait entraîner des crises économiques en occident devenu très dépendant des échanges commerciaux.

Autre nouveau facteur à prendre en compte : l’envie de revanche d’une partie du monde contre l’occident. En effet, le Traité de Tordesillas de 1494 divise le monde en deux parties entre le Portugal et l’Espagne. L’occident s’arroge ainsi le droit de décider de la marche du monde, droit qu’il continuera de penser exclusivement sien jusqu’à récemment. La partie du monde autrefois soumise ou non-alignée a aujourd’hui envie d’une revanche à travers la reprise en main de son propre destin. Ainsi, les BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) créés en 2009, deviennent BRICS en 2011 avec l’adhésion de l’Afrique du Sud (South Africa), puis BRICS+ avec l’entrée de l’Egypte, des Emirats Arabes Unis, de l’Iran et de l’Ethiopie en 2024. Ces pays représentent aujourd’hui près de la moitié de la population mondiale.

Ils sont aidés dans leur désir de revanche par l’occident lui-même. En effet, la société qui avait conquis le monde a complètement changé. Les mouvements initiés par les manifestants de 1968 avaient pour revendication la mise en place d’ une nouvelle société pour remplacer celle de la génération qui avait fait la Seconde guerre mondiale. Ils ne sont pas avides de nouvelles conquêtes, mais, ils veulent, au contraire, profiter du travail de leurs prédécesseurs. Une fois au pouvoir, rejetant la vie dure de leurs parents, ils ont décidé de se faire rentiers du monde précédent. Ne se reconnaissant pas dans « l’ancien monde », ils n’ont pas seulement refusé celui-ci, ils en ont fait le procès. La mise en avant de revendications anti-racistes, mais aussi la défense de minorités de toutes sortes face à la majorité créent des fractures et une archipellisation de la société. Une immigration ni choisie, ni contrôlée accélère ce phénomène. Les nouveaux arrivants originaires de pays de cultures, religions, us et coutumes différents ne s’intègrent plus et quelquefois même, importent leurs conflits sur les territoires d’arrivée. Les sociétés occidentales sont ainsi actuellement divisées en interne et la population n’est préparée à vivre aucune situation de conflictualité.

Dans ce contexte, l’affrontement en Ukraine a été le déclencheur d’une nouvelle ère dans les relations internationales. La Russie, en attaquant l’Ukraine, ne provoque pas seulement un conflit régional interétatique, mais le premier conflit indirect entre l’occident et une nouvelle puissance émergente. L’occident s’attendait à convaincre les autres pays du monde de condamner l’action russe. Or, à sa grande surprise, une grande partie des pays de ce qui est appelé aujourd’hui le sud global refusa de soutenir les résolutions de l’ONU contre la Russie. Pire, les Russes, subissant un embargo occidental, parvient à trouver des débouchés dans ses pays partenaires, principalement au Moyen Orient et en Asie.

Finalement, l’embargo anti-russe s’avère être moins efficace que prévu et avoir un effet boomrang beaucoup plus contraignant pour ceux qui l’ont mis en place. Les sanctions pénales contre le président Poutine ne semblent pas empêcher des pays de maintenir des relations avec lui ou de le recevoir.

Après l’échec des négociations pour un arrêt des hostilités en Ukraine de mars 2022, la poursuite de guerre est une surprise pour Poutine. Il se voit dans l’obligation de se réorganiser et de passer en économie de guerre. L’offensive ukrainienne d’automne 2022 met le pouvoir russe en situation de faiblesse. Les échanges entre Russes et partenaires de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) est froid, voire distant. Le changement de situation en 2023, mais surtout en 2024, restaure la réputation de puissance de la Russie. Cela redore l’image du pays à l’international et renforce les BRICS dans leurs politiques visant à s’émanciper de la tutelle occidentale. Ils veulent rendre les anciennes structures obsolètes et créer un monde indépendant qui s’émancipe du Dollar comme monnaie d’échange.

En octobre 2024, le Secrétaire Général des Nations Unies a même participé au sommet des BRICS de Kazan, en Russie, serrant la main au président russe, donnant l’impression de marquer volontairement un but contre son propre camp. Ce geste semble mettre en évidence le caractère caduque des résolutions de la Cour de Justice internationale (qui avait mis le président russe sous mandat d’arrêt international) et de celles des pays occidentaux de l’ONU à l’initiative des sanctions contre la Russie.


Le monde, aujourd’hui, sent la faiblesse occidentale et compte l’exploiter. La réaction de l’Azerbaïdjan face à la France en raison du soutien de celle-ci à l’Arménie en est une illustration. La conflictualité croissante due à une concurrence économique et diplomatique pourrait enclencher des conflits mineurs bien plus violents que par le passé. Les confrontations pourraient aller crescendo en raison de l’instabilité internationale. Le droit international, et surtout le droit d’ingérence vont être les premières victimes de cette transformation. L’occident devra réapprendre à s’adapter cette conflictualité sous peine de perdre toute influence dans ce monde en plein changement. Le problème est que l’occident ne semble pas être entré dans ce monde. Il reste convaincu qu’il a encore tous les instruments pour dominer ce monde. Il ne faudrait pas qu’il se réveille trop tard, découvrant que les autres nations du sud global ont pris le pouvoir nous faisant disparaître de la scène internationale.




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