La Commission défense vient, encore une fois, de repousser les propositions de la droite comme de la gauche de se lancer dans la fabrication d’un char intermédiaire en attendant l’hypothétique MGCS qui devrait arriver en 2040 (voire 2045 ou plus!) (1). Cette décision a sans doute plusieurs raisons.
La première est la peur de voir fondre les budgets alloués au MGCS, justement. Sachant que le budget n’est pas extensible, l’arrivée d’un véhicule intermédiaire risque d’empiéter sur les budgets alloués au programme franco-allemand.
D’autre part, le Chef d’état major de l’armée de terre a précisé qu’il estimait qu’un char intermédiaire n’était pas nécessaire et qu’il misait tout sur le MGCS (2).
La situation internationale n’a jamais été aussi tendue depuis peut-être l’année 1962 et l’affaire des missiles de Cuba. Le monde se divise en deux entre l’occident avec l’OTAN et le « Sud global».
De grandes puissances remettent en question, aujourd’hui, notre supériorité, qu’elle soit économique, diplomatique ou militaire. Nos adversaires n’ont pas attendu la guerre en Ukraine pour se préparer. La Chine, par exemple, a commencé son «grand bond en avant» dans les années 1970 avec pour objectif d’être le premier producteur de terres rares. Pour y arriver, la Chine a, par exemple, subventionné les associations écologistes européennes et américaines (3) qui sont ainsi devenus des alliés de circonstance. Le résultat a été de voir disparaître les productions européennes et de rendre ses pays dépendant de la production chinoise.
Aujourd’hui cette même Chine a construit patiemment sa puissance, aidée par l’avidité des marchés financiers trop enclins à s’enrichir sans s’inquiéter de la façon d’amasser de l’argent. Elle a profité de la guerre de l’occident contre le « terrorisme » pour monter lentement en puissance. Elle sera bientôt prête à affronter les États-Unis et elle le montre. Elle a mis en pratique les règles de Sun Szu sur l’art de guerre en cherchant à détruire l’adversaire sans combattre. Elle y est arrivée en neutralisant les économies occidentales et en la rendant dépendante de ses productions et services. Avec intelligence, elle s’est accaparé nos savoir-faire technologiques dans de multiples domaines techniques, quand ce n’est pas l’Occident qui les lui a volontairement servis sur un plateau (4).
Ce qu’a fait la Chine, la Russie l’a fait à sa manière. La chute du Mur de Berlin a été une catastrophe pour la Russie. Elle perdit une partie de son empire et presque toute son influence. Après un temps de rapprochement avec l’Occident, elle comprend que celui-ci ne souhaite pas en faire un partenaire d’égal à égal, mais de la vassaliser. Refusant cette option, elle choisis une nouvelle politique. Après une phase de modernisation de son économie, la Russie a lancé de grandes réformes de son institution militaire avec une volonté de modernisation de ses équipements.
Le rapprochement de la Russie et de la Chine, longtemps brouillées, est favorisé par la création des BRICS. Les deux pays ont une soif de revanche contre l’Occident.
La Chine se souvient encore des terribles guerres de l’opium qui va voir la puissance chinoise disparaître pendant plus d’un siècle. Pour les Russes, l’encerclement stratégique et la « défaite » stratégique subie avec la chute du Mur et les conséquences d’un capitalisme sauvage s’accaparant les richesses de l’ex-URSS ont marqué les dirigeants. Les deux nations se retrouvent donc à avoir des intérêts communs.
La guerre en Syrie permet à la Russie de s’allier de nouveaux partenaires. Il y a d’abord l’Iran qui aide, comme les Russes, le pouvoir de Bachar el Assad. Puis, il y a les Turcs suite à l’incident de l’avion abattu.
L’affaire Kashoggi (5), l’opposant assassiné, et la mise au ban, quoique très relative, de l’Arabie Saoudite par la communauté internationale isole quelque peu le roi saoudien. Seuls les Russes restent ouverts à la discussion. La Chine va alors arranger le rapprochement de l’Arabie Saoudite avec l’Iran (certainement avec l’aide de la Russie).
La guerre en Ukraine va accélérer le rapprochement de la Corée du Nord et de la Russie, mais sous l’égide des Chinois, cette fois-ci.
Toutes ces nations, autrefois ennemies pour de multiples raisons, et à cause de la position Américaine, se retrouvent aujourd’hui partenaires.
Ce phénomène va sans doute s’accélérer à l’avenir, puisque de plus en plus de pays dans le monde voient dans l’intégration aux BRICS un moyen de se soustraire à la domination occidentale. On le voit avec la demande de condamnation de l’attaque russe de l’Ukraine : à la grande surprise, une cinquantaine de pays ont refusé de prendre position (6). Actuellement, la situation bascule au détriment de l’Occident avec lequel des nations du Sud Global n’hésiteront pas à chercher la confrontation.
Cela est même en train de se précipiter. Les compétiteurs semblent avoir bien compris la faiblesse de l’Occident. La guerre en Ukraine n’a pas armé l’Occident, bien au contraire. Des milliards de dollars ou d’euros en armements sont partis en Ukraine. Loin d’apporter la victoire, cette aide n’a servi, pour l’instant, qu’à faire gagner du temps avant une défaite depuis longtemps annoncée .
Les usines d’armements en Europe, malgré les discours politiques, ne sont toujours pas entrées en économie de guerre. Les commandes ne sont pas là. Le plus grave est que les chaînes n’étant pas en production, même minimum , il sera difficile de les lancer en cas de danger.
Pour obtenir un équipement aussi complexe qu’un char, il faut d’abord qu’il y ait des bureaux d’études pour concevoir le véhicule. Ensuite, il faut des usines, de la matière première, des machines outils multiples et des ouvriers qualifiés pour le produire. De plus, tout cela nécessite des moyens financiers alloués de manière continue. Une fois que l’on a fait un prototype, il faut le tester, vérifier toutes les fonctionnalités (et quand il y en a beaucoup c’est long!). Enfin seulement peut être lancée la production. Toutes ce processus prend au moins 10 ans.
Alors, quand on ne fait pas de commandes ni de demandes de lancement d’une quelconque production, aucun engin ne peut être produit. Si soudain, une menace se fait pressante, il ne faut pas croire que l’on serait capable de sortir en un ans un char en urgence ! Les délais mettraient d’emblée en situation d’échec.
La solution européiste, c’est la coopération et l’achat sur étagère. Là encore, toute le monde semble avoir oublié l’histoire récente des masques anti-COVID 19. Lorsque que les besoins se sont fait sentir, cela a été chacun pour soi et Dieu pour tous, chaque pays faisant fi de la solidarité européenne pour obtenir au plus vite les masques en question ! (7)
L’Allemagne qui viendrait à produire les chars déciderait alors qui doit en recevoir et qui n’est pas prioritaire. Quand bien même nous passerions dans les premiers, reste à savoir à quelles conditions. On se heurterait rapidement à des réalité très terre à terre.
Pour rappel, la dernière fois que les Français ont fait confiance à un allié, c’était l’Angleterre en 1940. L’armée française, coupée en deux suite à la chevauchée des Ardennes, demanda le soutien de la Royal Air Force pour couvrir les troupes au sol. La RAF avait été l’argument de Pierre Cot (Ministre de l’air 1936-38) pour ne pas s’alarmer des retards de production de l’aviation française pendant cette période. La France croyait pouvoir compter sur la puissance de la RAF et de celle de la Marine anglaise alors qu’elle se concentrait sur les forces terrestres. L’histoire fit le reste : échec de la Marine anglaise en Norvège, échec de la RAF en France début mai 1940. La promesse de Churchill de fournir des escadrilles fut promesse de Gascon. Les escadrilles ne sont pas venues et la France a dû se battre toute seule.
Pour revenir à la décision récente de la Commission défense française, c’est encore une fois un général qui ne croit pas au char (et peut-être à la guerre future) qui est, au moins en partie responsable, du non lancement d’un char intermédiaire. L’armée aujourd’hui est tournée vers une transformation médium. Ainsi, le Griffon et le Serval remplaceraient un seul engin, le VAB, pendant que le Jaguar, lui, en remplacerait trois (l’AMX10RC, ERC90, VAB Méphisto) !? Tous ces véhicules qui arrivent pratiquement avec 10 ans de retard (on peut même presque dire 20 ans!) sont déjà inadaptée à la guerre du futur.
Enfin, et surtout, il faut être en mesure de définir la stratégie de la France. Le Président de la république a parlé d’envoyer nos soldats en Ukraine. Mais, imaginons que cela arrive, comment cela se ferait-il et avec quoi se battraient-ils ? Si l’on croit que des camions blindés sont la solution révolutionnaire pour progresser sur un front en haute intensité, si l’on pense qu’une brigade même équipée aux derniers standards (2) pourrait faire assurer la victoire face à un pays qui en a plus de cent trente, on risque de se tromper lourdement.
Pour l’instant, on a été pratiquement chassés provisoirement d’Afrique. Y reviendrons-nous comme avant ou au contraire restera-t-on à distance sans envoi de forces importantes ? La situation est tout sauf claire.
Le discours politique présente aujourd’hui la Russie comme notre principale adversaire. Si cela est vrai, alors qu’attendons-nous pour équiper nos soldats de chars, de VCI, de canons automoteurs , de lance-roquettes multiples, d’engins du génie d’assaut, de lanceurs missiles etc....Mais ce n’est pas ce qui est fait. Nous continuons notre transformation médium. Logique, les commandes sont effectuées et les chaînes de production correspondantes sont lancées. Il n’y aura donc pas de réévaluation de la menace et, donc, du risque. La transformation medium sera poursuivie peu importe si cela mène tout droit dans le mur de la réalité. Le monde pourra devenir éruptif que rien ne serait fait tant on ne veut rien changer. Or le risque est grand que l’argent d’un programme, une fois celui-ci annulé, s’envole ailleurs.
Alors on continue la production prévue. A l’image de nos chaînes de fabrication d’avions en 1940 qui a continué à fabriquer des avions dépassés parce qu’il fallait honorer les commandes.
Les généraux de l’époque, eux non plus, n’ont opposé aucune résistance à cet état de faits. Le général Gamelin fut, lui aussi, un partisan de l’infanterie tout en ayant conscience de l’avantage du char. Il se rendait bien compte de l’évolution de la guerre avec les comptes-rendus qui viennent d’Espagne. Il observait depuis longtemps les grandes manœuvres des forces blindées soviétiques avec leur doctrine basée sur la vitesse et l’attaque en profondeur. Il observa les Allemands en 1938 en Autriche et en Tchécoslovaquie. L’ attaque de la Pologne lui fit comprendre l’utilité d’une forte réserve en cas de percée ennemie. Et que fit-il ? A la mobilisation, il ordonne une faible attaque en Allemagne, puis au lieu d’entraîner son armée à la lutte antichar et anti aérienne, il ne fit rien ou presque. Il pensait que le combat était la meilleure formation !! Pour ce qui est du char, Gamelin empêcha la création d’une division cuirassés en 1936 mais il en créa 4 entre janvier et mai 1940 ! Naturellement, comme le reste, personne n’était entraîné.
L’histoire est connue : au lieu de garder ses réserves, Gamelin les envoya en Hollande pour faire plaisir aux Anglais. Les divisions françaises qui n’avaient jamais manœuvré ensemble furent écrasées.
En ne voulant pas réarmer les unités françaises de chars intermédiaires, le chef des armées et la représentation nationale se privèrent de capacité de production. Incapable d’avoir une stratégie claire, la France s’arma pour une guerre du passé, comme en 1870 avec des canons en bronze se chargeant par la bouche contre des canons en acier se chargeant par la culasse. En 1914, les soldats français ne disposent pas de canon lourd moderne car on ne croit qu’à la « furia francese » . Ce furent les canons de Bange qui nous sauvèrent.
Aujourd’hui, nous avons des Gamelin et des Daladier convaincus qu’ils font ce qu’ils peuvent, qu’ils n’ont pas d’autre choix et qu’ils font au mieux, aveugles et sourds aux réalités qui remontent des différents champs de bataille actuels (Ukraine, Proche-Orient). Tout cela n’annonce rien d’autre qu’un futur désastre. Les mêmes élites reproduisent les mêmes erreurs. Une des caractéristiques de ces élites, c’est d’avoir une confiance démesurée et erronée en leurs capacités (avec un raisonnement du type nous vaincrons car nous sommes les plus forts/les plus intelligents/les plus technologiquement avancés), une sous-estimation, voire une méconnaissance à la fois volontaire et involontaire (refus de voir) de l’adversaire et ses capacités. Et aussi un nombrilisme propre qui fait que chacun défend son idée, sa solution, sa vision personnelles, même à un moment où il faudrait savoir travailler ensemble. Oui, nous allons peut-être vers un nouveau printemps terrible comme en 1940. Je ne sais pas sous quelle forme cela se fera, mais, selon toute vraisemblance, nos concurrents (comme on les appelle), eux, se préparent à nous affronter pour remettre en cause notre domination. Malheureusement, je ne pense pas que nous serons prêts. Les mesures, comme a chaque fois, seront prisent mais trop tard. Trop tard, comme à chaque fois. A croire que c’est notre destiné.
(2) https://www.opex360.com/2023/05/05/le-general-schill-ecarte-lhypothese-dune-solution-intermediaire-pour-remplacer-les-chars-leclerc/ ; https://www.youtube.com/watch?v=4bNs3mHQ0Ec
(7) https://www.ouest-france.fr/sante/virus/coronavirus/coronavirus-des-politiques-europeens-pointent-le-manque-de-solidarite-sur-le-materiel-de-protection-6768364 ; https://alliancesolidaire.org/2020/04/02/covid-19-une-remise-en-question-de-la-solidarite-europeenne/
Commentaires
Enregistrer un commentaire