La guerre en Ukraine rappelle qu’il y a un prix à payer pour conquérir un espace contesté. La guerre globale, mis en œuvre pendant la Première guerre mondiale, voit les états-majors faire des estimations des pertes au vu du terrain à conquérir. L’espace de bataille était vu autant comme un espace de combat que comme un espace de mort dont la conquête ou la défense ne se ferait qu’au prix de vies humaines et de la capacité à produire les machines de destruction.
La Seconde guerre mondiale a vu l’augmentation de la domination de la machine sur le champ de bataille. Cela n'a pas rendu les batailles moins meurtrières, au contraire.
L’arrivée de l’arme nucléaire a changé l'équilibre de la bataille. La guerre atomique ouvre un nouvel espace d'équilibre mortel. Cela entraîne la nécessité de toujours plus « automatiser» l’homme dans des machines de guerre toujours plus puissantes.
La Guerre du Golfe de 1991 a ouvert un nouvel espace temps et de nouvelles perspectives où l’on peut faire la guerre sans en subir le coût humain. Cela donne l’illusion de la guerre « sans morts », qui a ouvert, dans le milieu politique, l’idée que l’on pouvait choisir les armes et la violence comme moyen diplomatique. Convaincu que cela serait toujours à l’avantage des nouvelles nations cadres (voire maîtresses), cela créait l’époque des opérations extérieurs, des interventions, du droit d’ingérence, etc.
Le retour de la guerre globale est dû, en partie, à un rééquilibrage entre l’occident et le reste du monde. Les compétiteurs des occidentaux n’ont, en effet, pas attendu pour augmenter leurs dépenses de défense. Au contraire, l’occident s’est enfermé dans la facilité des opérations dissymétriques dans lesquelles l’adversaire n’avait pas les moyens de mettre en danger la supériorité occidentale.
La Russie a compris, avant tout autre pays sans doute, que le retour de la guerre imposait de revoir la logique économique, politique et culturel d’un pays. La force de ce retour est dans la résilience de la Russie à résister à un rapport de force qui lui est, en théorie, défavorable. Cette résilience est possible grâce à un patriotisme traditionnel chez les Russes, leur fatalisme culturel, mais aussi grâce à un héritage économique, des ressources énergétiques et en matières premières qui permettent à la Russie de tenir presque seule.
La guerre entre Ukraine et Russie a commencé en 2014. Cette dernière était donc bien davantage préparée à l’affrontement avec l’occident que les pays occidentaux eux-mêmes. Les Russes semblent avoir intégré depuis longtemps que le retour de la haute intensité s’accompagnerait du retour de la guerre industrielle. Dés avant la réactivation du conflit en 2022, la Russie a préféré moderniser des chars anciens comme le T 72 et le T80 avant de se lancer dans la production du dernier char T14.
Puis la guerre en Ukraine a rappelé que, comme disait le Maréchal Pétain, « le feu tue », c’est-à-dire que la guerre entraîne des pertes en hommes et en matériels. Il suffit de voir les pertes, depuis deux ans, de part et d’autre, on se rend compte que la guerre meurtrière est de retour. Il est d’ailleurs intéressant d’observer les vieilles stratégies de la première et deuxième guerres mondiales être remises en valeur. Le temps de la guerre « zéro mort » est fini. Il faut ainsi s’adapter à ce retour de la violence meurtrière.
On pouvait s’attendre à ce que d’autre régions du monde voient également le rééquilibrage se faire. Récemment, au Sahel, l’on a vu les groupes djihadistes s’armer de drones FPV. Le Hamas est arrivé à endommager plus de 500 véhicules blindés lourds engagés dans la bande de Gaza. Ceci pose un problème tactique majeur. L’armée française n’a pas actuellement de capacité anti-drones en mesure de protéger l’ensemble de ses véhicules contre cette menace. Il apparaît donc que notre supériorité s’estompe à vue d’œil, même contre des menaces asymétriques. La question pour la France est de savoir si elle serait capable de subir de telles pertes.
Que retenir de tout cela ?
La première chose essentielle est qu’il faut de nouveau préparer nos soldats à la possibilité qu’ils meurent au combat. Cela n’est pas évident dans une société où l’espérance de vie a augmenté, où le niveau de vie est plutôt élevé comparé à d’autres pays, et où il est plus facile et moins dangereux de choisir une profession lambda que de s’engager dans l’armée. Cependant, sans ce retour de la mort dans le discours, dans les esprits, dans l’entraînement, une surprise stratégique en défaveur des armées françaises pourrait se solder par une défaite au premier combat.
Une grande réforme de l’outil industriel français est, par ailleurs, indispensable. Il faut se donner la capacité à produire un maximum sans être dépendant de fournisseurs extérieurs. L’exemple russe souligne le risque d’être dépendant d’autres pays et que cela pourrait entraîner.
Reprendre la production de munitions de gros comme de petit calibre est impératif. Il faut être en mesure de disposer de matière première de tous types et, en particulier, de terres rares et autres matières dites critiques. Rouvrir des mines est, de plus, indispensable pour s’assurer une autonomie.
Quant aux équipements, ils devront être plus simples, plus rapides à produire et à régénérer. Ils devront être produits en plus grandes quantités pour être aptes à subir les pertes imputables aux armes de l’ennemi. Si cela s’applique aux véhicules de tous genres, cela s’applique aussi aux armes de frappe dans la profondeur qui doivent être plus nombreuses pour noyer les défenses.
Mais il faudra aussi, par conséquent, imaginer des moyens de défense résilients à des attaques multiples.
Pour que de tels objectifs puissent être remplis, le pouvoir politique et administratif devra être formé à la conflictualité moderne. Il s’agira d’éviter d’être freiné ou bloqué par une administration pas adaptée au danger.
Du point de vue politique, une « union sacrée » moderne devra être adoptée dans le domaine de la défense, afin que soit possible un effort dans le temps peu importe la majorité politique au pouvoir.
L’apprentissage de la défense devra se faire dès l’école dans le cadre de la préparation morale et physique de la jeunesse. Les Journées Défense et Citoyenneté actuelles ne suffiront pas. Devront s’y ajouter des heures de cours pour comprendre les enjeux de la défense. Il faudra intensifier la place du sport dans la société avec une préparation physique militaire basée sur des activités sportives visant à renforcer l’état physique de la jeunesse.
Un renforcement moral et national global sera indispensable, et ceci à travers un discours plus optimiste et amoureux de la nation que devront tenir des media publics. Ceux-ci devront mettre en avant la grandeur et la beauté de la nation (contrairement à ce qui se fait actuellement).
Il faudra que la France revoie sa grande stratégie pour être capable de s’adapter au combat moderne. La nouvelle stratégie devra prendre en compte l’influence et l’informationnel, domaines dans les quels la France est très en retard. La prise en main de services d’influences cybernétiques visera à influencer des nations concurrentes. Cela passera aussi par de l’influence économique, sociétale et diplomatique.
La guerre est globale et, par bien des aspects, la France est déjà en guerre, sans peut-être le savoir. Chaque jour, les actions de nos compétiteurs visent à nous affaiblir (eg. influence décisionnelle américaine, guerre informationnelle chinoise, russe, turque ou des pays du Maghreb, influence azérie en Nouvelle-Calédonie, etc...) Il apparaît, comme Sun Tzu l’explique, qu’il est utile d’employer les traits de caractères des chefs et d’en tirer partie. En Afrique, les erreurs de protocoles et de discours du Président de la république ainsi que la méconnaissance des cultures nationales et locales ont vraisemblablement accentué le ressentiment anti-français. Il est important que la stratégie globale soit compris par tous.
L’occident et la France doivent prendre en compte ce retour de la guerre, celle qui peut tuer en masse. Il ne faudra une révolution intellectuelle dans notre pays pour prendre un tel virage. La Seconde guerre mondiale et les événements qui conduisent la France à la pire défaite de son histoire soulignent l’incapacité du pays à prendre les devants dans son histoire. La France devra malheureusement peut-être subir une défaite pour que son peuple et ses dirigeants se réveillent. Reste à espérer que cela ne soit pas, encore une fois, « trop tard ».
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