La Fin du Jaguar ?

 


La guerre en Ukraine révèle bien des aspects de la confrontation future. Le premier d’entre eux est la difficulté, aujourd’hui, de progresser, que ce soit à pied ou en engin blindé. Le renseignement et la collaboration multi-domaines rendent caduque une attaque surprise ou, du moins, ne garantit pas de grandes chevauchées victorieuses. Cela est dû à l’arrivée sur le champ de bataille d’une nouvelle technologie que personne, il y a encore 10 ans, n’avait envisagé : le drone.

Les conséquences pour les opérationnels occidentaux n’ont pas encore été pleinement prises en compte. Il existe encore une foi aveugle en la guerre mobile et aux profondes chevauchées. Beaucoup de chefs, n’ayant jamais eu à faire aux drones, sous-estiment ce type d’arme et pensent, à tort, qu’une parade rapide finira par entrer en service. Malheureusement, cette parade est partielle et coûte trop cher pour protéger toute l’armée.

Le changement vient de la profondeur et la vitesse des drones. Rapides, ils peuvent rapidement se porter à 150 km/h d’un point ou un autre du champ de bataille et jusqu’à 10km pour les FPV, voire maintenant plus de 50 km pour les plus gros. Ces distances et cette vitesse ne vont pas arrêter d’augmenter, rendant les drones toujours plus redoutables.

Une première conséquence tactique est, qu’actuellement, toute mission d’un véhicule sur le champ de bataille est détectée, souvent sur une profondeur de plus de 10 km, provoquant une riposte. Il est certain ensuite qu’une nuée de drones va agir, appuyée par de l’artillerie, voire des systèmes de minage longue portée. S’en suit alors l’attaque et souvent la destruction de tous les véhicules attaquant.

La doctrine française avait mis en évidence la reconnaissance en force réalisée par des engins puissants. Le principe était de détruire les éléments de tête ennemis pour rendre « aveugle » l’adversaire et ainsi le tromper sur nos intentions. Cette reconnaissance en force devait aussi permettre de prendre des points clés du terrain en vue d’accélérer la progression.

Au départ, c’est dans le manuel des grandes unités de 1936 que l’on retrouve cette doctrine établie par la cavalerie dans l’entre deux guerre. La réponse technique de l’époque a été l’AMD 35 de Panhard, AMD voulant dire Automitrailleuse de Découverte. Il s’agissait donc, dans la phase initiale du combat de rencontre, de « découvrir » l’ennemi en vue de se placer au mieux pour, ensuite, le détruire. Après guerre, c’est l’EBR et l’AMX10RC qui reçurent cette mission.

Malheureusement, l’AMX10RC engagé dans un combat de haute intensité n’a pas su tirer son épingle du jeu. La densité de feu, le mauvais emploi (souvent comme un char normal) et le manque de blindage a annulé l’efficacité escomptée de la manœuvre. Le Jaguar est l’ultime modèle de cette lignée de véhicules de reconnaissance au armes puissantes.

Le Jaguar est, actuellement, lui aussi du coup dans la tourmente. Loin des espoirs d’une manœuvre « info centrée » dans laquelle le véhicule peut jouir de la qualité et de la portée des armes couplées à un système de communication moderne, le Jaguar risque fort de devenir une cible comme les autres pour les drones, rendant sa manœuvre de l’avant impossible. La précision et la quantité d’armes qui peuvent attaquer le véhicule rendent une manœuvre offensive en première ligne suicidaire.

L’offensive réussie des Ukrainiens en Russie a été aussi une occasion pour les Russes de détruire un grand nombre de véhicules. Cibles des hélicoptères et surtout des drones, il semble que les Ukrainiens aient vu leur offensive s’essouffler rapidement en raison de lourdes pertes. Les Russes ont mis rapidement en place des moyens de frappes dans la profondeur qui on rendu complexe la remontée de renforts.

Nos Jaguars, quelque soient leurs qualités, auraient connu le même sort face aux drones, à l’artillerie et au missiles longues portés.

Le véhicule blindé est-il vraiment le véhicule le mieux adapté à la reconnaissance ? Là encore, les drones, les robots, les moyens satellites et électroniques donnent d’aussi bons résultats, surtout qu’en plus, ils évitent le risque de pertes.

Alors le Jaguar se contentera de la fonction appui feu avec les MMP. Mais il est certain qu’un autre porteur beaucoup moins cher ferait le même travail. Le canon de 40mm est polyvalent mais oblige à se mettre à distance de tir avec les risques que cela comporte. Les Américains l’ont constaté avec leurs M2 Bradley. Même s’ils restent résistants, les véhicules ont subit de lourdes pertes à cause des multiples systèmes armes en face d’eux. Les drones étant leurs principales menaces, les Bradley ont « brûlé», comme beaucoup de véhicules, sur le champ de bataille.

Il est moins compliqué d’accepter des pertes lorsque l’on produit des centaines ou des milliers d’engins que lorsque l’on en produit seulement quelque dizaine par an. La France n’est pas en capacité d’accepter des pertes importantes de matériels.

En conclusion, je dirais que le Jaguar est arrivé trop tard et va se retrouver en difficulté sur un champ de bataille en haute intensité. Le risque de voir des drones FPV se propager sur tous les continents et en particulier aux mains des mouvements terroristes conduira à un rééquilibrage de l’emploi de la violence sur les théâtres d’opérations. Cela posera la question de l’emploi de véhicules du type Jaguar.

Commentaires