/ Chars occidentaux : un moyen de changer la donne ? (rappel d'un article écrit le 08/01/2023)



De quoi parle-t-on ? Changer la donne, c’est  changer de façon significative la façon habituelle de penser ou d'agir. On peut dire que les HIMARS par exemple ont réellement changé les habitudes du champ de bataille. La question est de savoir si l’arrivée de chars occidentaux changera sensiblement la manière de faire la guerre.

Pour rappel, le char est une machine qui cumule trois caractéristiques de base : la mobilité sur la base d’un train de roulement chenillé, un blindage souvent passif et important et une puissance de feu avec un canon de gros calibre au minimum de 75mm.

L’interaction entre l’armement, la protection, la masse et la mobilité a rendu les chars occidentaux plus puissants et lourds que par le passé. Le canon de 120 mm impose une masse minimum à l’engin en raison du poids de l’arme et des effets du recul lors du tir. De plus, de nouveaux blindages lourds imposent des motorisations plus performantes. Les Occidentaux sont arrivés aux maximum de cette interaction avec des chars lourds ultra performants comme l’Abrams et le Léopard 2 qui font plus de 60 tonnes, 1500 chevaux pour le moteur, un canon de 120mm blindage composite. De plus, ces chars disposent  d’une conduite de tirs très performante, de moyens de communication numériques et de nombreux systèmes de protection passive ou active.

La contrainte technologique poussée à son extrême oblige à un soutien important pour s’assurer une disponibilité maximum. Ces chars sont extrêmement consommateurs en carburants et ils ont besoin de pièces de rechange en raison d’une mécanique soumise à un effort conséquent. Il faut aussi des moyens de transport stratégiques ou opératifs, de moyens de franchissement particuliers adaptés à leur masse.

Ces véhicules ont été conçus dans les années 1970 et mis en services dans les années 1980. Ils ne sont pas plus récents que les véhicules russes auxquels ils sont opposés.

Le T72 est un char conçu à la fin des années 1960 avec les progrès de la technologie de l’époque. La principale nouveauté est un système de chargement automatique monté en font de caisse. Il bénéficie d’un nouveau concept de blindage composite de première génération et d’un canon de 125 mm. Le T80 apparaît à la fin des années 1970 avec un nouveau blindage, une turbine comme motorisation, et de nouvelles conduites de tir. Dans les années 80, les Russes ont modernisé leurs chars avec la généralisation de la brique réactive et du laser comme moyen télémètre. Le T90 apparaît au début des années 1990. En fait, il s’agit d’une évolution du T72. Prenant en compte une nouvelle conduite de tir, de la protection passive, active et réactive, le T90 a évolué en 2014 avec une nouvelle version appelé T90M dotée de nouveaux armements,  bénéficiant d’une nouvelle évolution de la conduite de tir, de la protection et de la mobilité. Les Russes ont fait évoluer leurs chars en introduisant un nouvel engin tous les 10 ans.

Du coté occidental, si la base du M1 Abrams et du Leopard 2 sont restées les mêmes, eux aussi ont vu une évolution de leurs armements, de leurs protections, de leurs motorisations, de leurs systèmes de conduite de tir et  Ils ont intégré la numérisation de l’espace de bataille. Plus performants, ces engins sont tous au sommet de leurs capacités, et dans cette guerre d’Ukraine, il s’agit de savoir si les chars occidentaux vont réellement changer la donne.

La réponse vient d’ailleurs, elle vient des conflits au Moyen-Orient où ces chars ont été engagés. Certes, il ne s’agissait pas des derniers modèles mais le résultat n’a pas été très flatteur. Le Léopard 2 a connu le feu avec les Turcs face aux islamistes et à l’armée syrienne. On parle de deux douzaines de Léopard 2 détruits (au moins 10 de façon certaine).


Pour ce qui est du M1, lors de la guerre en Irak, les Américains ont eu 770 chars touchés de diverses manières dont 80 chars complètement détruits. Il n’y eut que 15 morts dans l’ensemble des équipages montrant la qualité de protection du char. Vingt chars furent perdus par les Saoudiens et une dizaine par les Irakiens. Globalement le char protège plus que correctement son équipage mais reste très compliqué à soutenir. La consommation en carburant est excessive ; le char trop lourd est fragile et a souvent des problèmes techniques.

La question est de savoir si ces engins apporteront vraiment un changement sur le champ de bataille ukrainien. Si on a vu des chars russes s’enliser dans la terre noire d’Ukraine, il est certain que les chars occidentaux auront le même problème, peut-être en pire. L’importance du soutien mettra sans doute l’armée ukrainienne en difficulté. Le feu dans la profondeur menacera la logistique et il y a grand risque de voir des chars abandonnés par manque de soutien ou problème technique.

D’autre part, les armes russes menacent également ces engins. La puissance de feu sur le champ de bataille ne laisse que peu de chances de survie. La protection des chars occidentaux devrait les aider à survivre sur le terrain, mais c’est leur capacité à durer et être performants dans le conflit qui pourrait poser problème. Il est également impossible de savoir quel comportement ces chars auront en situation de duel. La différence étant faible entre la dernière génération de chars russes et les chars occidentaux, il n’apparaît pas évident que ces derniers aient un avantage particulier sur les premiers.

Dans l’absolu, il semble que les chars occidentaux ne devraient pas faire une grande différence sur le champ de bataille. La principale différence  pour l’Ukraine serait une intégration plus avancée dans l’OTAN.

NB: en aout 2024, aucun char occidental n'a encore brillé au combat. La difficulté d'entretien et d'engagement de système très complexe a rendu l'engagement des ses engins difficiles. La protection de ses puissantes machines comme leurs systèmes de visées n'ont pas garanti une supériorité  par rapport  aux chars revalorisés russes. Au contraire, leurs mangues de mobilité, en raisons de leurs masses importante, les a cantonnés à des actions limités pendant la période d'été. 

Commentaires

  1. Bonjour Monsieur

    Je ne pense pas qu'une seule arme (char dans votre exemple, mais on pourrait dire pareil pour l'artillerie, les avions, les missiles, ...) puisse être un vrai "game changer". Si les ukrainiens avaient reçu 500 chars occidentaux, même les plus modernes, cela n'aurait pas servi à grand chose si en parallèle ils n'avaient pas des systèmes anti drones en nombre, une artillerie capable de frapper dans la profondeur, des avions pour assurer une couverture aérienne, une logistique adéquate, etc ... et je ne parle même pas d'une formation adéquate pour permettre à toutes ces unités de manœuvrer ensemble et de coopérer (ils semble à ce sujet que les ukrainiens aient fait de grands progrès, leur petite promenade vers koursk a montré une manœuvre inter armes plutôt efficace.
    D'ailleurs, dans les manoeuvres otan, l'intégration et la coordination de plusieurs unités différentes est privilégié (même si les tactiques otan sont très différentes de ce qui se passe en ukraine car elles sont basées sur une supériorité aérienne totale), d’ailleurs même l'armée francaise s'est re-organisée en ce sens, se basant sur des GTIA et non plus sur des régiments.

    Qu'entendez vous dans la phrase "La principale différence pour l’Ukraine serait une intégration plus avancée dans l’OTAN" ?

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    1. bonjour. Oui je suis globalement d'accord avec vous. La formation interarmes donne de bon résultat. Mais Je vous corrige juste, les ukrainiens ne font pas une promenade en Russie. Les rapports remonte des lourdes pertes en hommes et surtout en équipements. Ils ont bien réussi la phase initiale avec une attaque en souplesse dans la profondeur réussi avec un bon brouillage. Heureusement pour eux ils n'y avait presque rien en face. C'est l'art de la guerre donc bien joué pour eux. Par contre stratégiquement, c'est nul. Les russes attaquent partout et il n'y a plus réserves pour les arrêter car ils sont à Koursk.
      Attention avec le savoir faire de l'OTAN. Aucun pays membre n'a fait de guerre de haute intensité depuis la seconde guerre mondiale. Je pense que nos pertes seraient bien plus lourdes que j'estimais moi même il y a encore quelques moi. Le front est vraiment plus dure que ce que l'on pense avec ou sans aviation.
      pour la dernière phrase, l'intégration à l'OTAN serait un "game changer" pour l'Ukraine car l'OTAN ferait basculer la situation. Mais ne vous emballez pas: ça n'arrivera pas.

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    2. Bonjour Monsieur

      Vous parlez d'une intégration complète, ou de l'intervention des forces otaniennes ? (ce que je souhaite, il faut absolument une dé"faite sévère de la russie pour la sécurité future de l'europe). Autant je peux comprendre l'intervention de l'otan, autant je ne vois pas ce qu'intégration veut dire. Car faire adhérer l'ukraine à l'otan n'est pas possible, vu que les frontières du pays ne sont pas stables.
      Après, je suis d'accord avec vous, peu de chances que cela intervienne (intervention des forces de l'otan), mais après tout qui sait, il y a eu déjà tellement de lignes rouges franchies avec les livraisons d’armes ces 2 dernières années (on se rappelle des dirigeants occidentaux qui au début affirmaient tous la main sur le coeur qu'il n'y aurait pas de chars et d'avions occidentaux :)

      A propos de la "promenade" ukrainienne ...
      De lourdes pertes ukrainiennes à koursk :) D'après la russie, oui, mais étonnamment les ukrainiens restent sur place et détruisent les ponts de la rivière Sei (cela les protège très bien et j'ai adoré les images des obus à sous munitions qui frappaient tous les ponts mobiles que les russes essayent de mettre en place pour remplacer les ponts en dur). Et en face on ne voit pas grand chose, un amas de troupes ramenées d'un peu partout au plus vite, sans aucune coordination (on n'a toujours pas compris qui dirigeait, si c'était le FSB en tant qu'opération anti terroriste, l'armée qui a été chargée par putin de repousser les ukrainiens, ou le "comité de coordination" où putler a placé son ex-garde du corps)
      Vous m'avez accusé un jour d'être influencé par la propagande occidentale. En lisant certaines de vos positions, je vois que vous êtes plus qu'influencé par la propagande russe et la recopiez carrément :)
      VOus m'aviez écrit il y a quelques semaines que toutes les brigades ukrainiennes étaient au combat et qu'ils n'avaient plus de relève. Dans ce cas, d'où sortent donc les quelques 8 ou 10.000 hommes qu'ils ont envoyé à Koursk (à multiplier par 2 probablement pour tenir compte de toute la logistique derrière) ? Et en plus, ce sont leurs unités d'élite si j'ai bien compris et ce n'est pas un simple raid préparé sur un coin de table, mais une remarquable opération inter-armes, chose que les ukrainiens ne maitrisaient pas vraiment il y a quelques mois.
      Vous pensez sérieusement que les ukrainiens aient monté un telle opération (complexe) sans penser à des voies de repli et préfèrent sacrifier leurs meilleures troupes ??
      Et cela fait maintenant 1 mois que le territoire russe est envahi !!! Bravo au criminel de guerre du kremlin qui expliquait que le territoire russe est inviolable :) Un des objectifs de cette incursion était l'humiliation du satrape moscovite, et cela a bien réussi. La cote de putler a du encore monter auprès de ses alliés type chine, corée, iran, ... déjà qu'elle n'était pas au top après les 400 km de prigojine qui n'avait rencontré aucune opposition l'année dernière :)

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    3. Toujours sur l'incursion en russie ...
      Autre avantage, il n'y a manifestement plus d'obstacles à l'utilisation d'armes occidentales en russie même. On voit des Bradley, des VAB, des Marder, des Challengers, ... et cela ne choque plus personne, même le dictateur moscovite semble l'accepter. En attendant maintenant que les occidentaux livrent des armes longues portée à utiliser sur le territoire russe (on parle des JASSM aux US, ce serait pas mal !
      Et toujours dans la série des grandes découvertes suite à cette incursion, on ne manque pas de noter la réaction de la population russe locale. Quand l'ukraine a été envahie, on a vu partout des civils se constituer en milice d'auto défense, de fabriquer des cocktails molotovs, de venir aider l'armée ukrainienne et la renseigner, ... En russie, rien de tout cela, c'est la fuite éperdue vers les bus qui évacuent la zone :) Reportage d'ailleurs très intéressant (qui est passé sur la tv russe!) on voyait des réfugiés dans une bourse aux vêtements. Et ils disaient qu'ils cherchaient principalement des vêtements chauds car l'hiver arrivait. On sent tout de suite la foi dans leur armée pour reprendre la zone occupée :)
      Alors sans doute au bout d'un moment, la russie sera en mesure de repousser l'avancée ukrainienne mais chaque jour passée est une belle humiliation pour le neo tsar :)

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    4. bonjour. Il faut regarder les cartes. Il faut regarder l'échelle des événements. https://liveuamap.com/ par exemple montre les comptes rendus ukrainiens et russes des combats. https://storymaps.arcgis.com/stories/36a7f6a6f5a9448496de641cf64bd375. Ici vous trouvez les cartes d'ISW, institut américain qui suit la guerre en Ukraine et qui n'est pas pro russe. Mon compte rendu de situation (l'article précédent) est sourcé uniquement avec des sources occidentales. Je ne vous force pas à me croire, mais je ne crois pas à une information qui n'est pas croisée c'est a dire qui n'est pas vue par plusieurs sources.
      Je m'intéresse à la guerre depuis longtemps (presque tout petit) et j'ai été souvent surpris mais il y a des signes qui ne trompent pas. Le front est enfoncé dans cinq secteurs. Près de Kupiansk, de Siversk, Toresk, Pokrosvsk, Vulhedar. Dans tous ces secteurs, le front a été bousculé. Je me suis intéressé à la première guerre mondiale, à la seconde guerre mondiale et à un grand nombre de conflits divers et la c'est un classique. L'assaut ukrainien sur Koursk à été un cadeau pour les russes. Les 20 000 ou 30 000 hommes envoyé la bas manque aujourd'hui pour arrêté les russes dans le Donbass et ça, c'est un fait, pas un fantasme.
      "Connait ton ennemi comme toi même" Sun Tzi l'art de la guerre. Les Russes ont une nature fataliste, ils partent en vacances en Syrie en pleine guerre civile, ils sont sur les plages de Crimée et film les avions abattus en bronzant. Si vous croyez qu'ils sont traumatisés par la perte de 1300 km² alors que l'Allemagne NAZI a été à 22 km de Moscou, qu'ils avaient perdu 20000 chars et je crois 4 ou 5 millions d'hommes , pas grand chose ne le montre. Cette année les russes ont pris 1730 km² dont 477km² au mois d'aout signe que l'avancé s'accélère. https://lignesdedefense.ouest-france.fr/ukraine-en-aout-la-plus-large-conquete-territoriale-russe-depuis-octobre-2022/. Certes pas grand choses mais le double de l'année dernière et surtout, je rappelle que l'important n'est pas les batailles gagnés ou perdu , l'important c'est la destruction de la force morale de l'adversaire et là les russes marquent plus les ukrainiens que l'inverse. Reconnaissance dans le discours des Ukrainiens de la puissance de feu russe, d'un certain fatalisme sur le sort attendu en première ligne (c'est a dire la mort). Incapacité à garder les territoires et les villes les plus fortement fortifiées, le doute commence à habiter les ukrainiens (volonté récente de négocier pour Zelensky). ça, c'e n'est pas de la propagande, ce sont des faits.

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