Et si les Russes gagnaient !

 

Je sais qu’un certain nombre d’entre vous ne croit pas à cette hypothèse mais elle reste à prendre en compte. La question est alors de savoir quelles seront les conséquences d’une défaite ukrainienne pour la France.

D’abord, à quoi pourrait ressembler une victoire Russe ? Je pense, en reprenant les exigences russes, qu’elle concernera l’occupation complète des régions qu’elle a intégré lors du « referendum » de fin 2022. La seconde principale demande russe est la neutralité de l’Ukraine avec interdiction de posséder des armes nucléaires. Elle aura aussi interdiction d’entrer dans l’OTAN. Il semble que rien ne soit écrit en ce qui concerne une intégration à l’UE. Les Russes n’ont, semble-t-il, pas l’intention de geler le front comme en Corée et souhaitent que la victoire sonne la fin de la conflictualité entre les deux états. Cela nécessite donc un changement de régime en Ukraine avec des hommes politiques qui leur soient moins hostiles.

Pour les Occidentaux, le fait qu’une nation ait été contrainte par la force de choisir son destin est inacceptable. Même s’il faut oublier que nous avons quelque fois aussi contraint des nations à choisir un autre chemin (mais c’était pour la « bonne cause » c’est-à-dire la cause occidentale!). Le vrai problème est en réalité ailleurs. En effet, la défaite ukrainienne devient, d’une certaine manière, notre défaite aussi au regard de notre degré d’implication. Si les Américains sont déjà en train de tourné la page en envoyant leurs forces et leurs matériels dans le Pacifique, pour les Européens, c’est au contraire la fin d’une époque, voire un bouleversement complet.

En effet, l’Europe a été créée dans l’idée qu’elle devait éviter à ses peuples le retour de la guerre. Pour cela, elle explique depuis plus de 70 ans que l’Union Européenne est la garante de la paix et que toute conception politique, comme le patriotisme ou le nationalisme, ne garantit que la guerre. Mais voilà, cette Europe a montré dans cette crise une image impérialiste avec le retour d’un discours belliciste.

La volonté de s’engager de manière de plus en plus intense dans une « conquête » vers l’Est alors que nous savions que d’autres empires allaient bien finir par réagir est le signe de cet impérialisme. Pourtant, la réaction des Russes en Géorgie en 2008 aurait dû nous alerter mais, au contraire, nous avons décider de continuer à nous prépositionner sur la périphérie de la Russie. Ne pas définir de frontière à cette Europe est en effet un moyen d’avancer sans fin. Rêve d’un monde universaliste adhérent collectivement aux mêmes valeurs, les Européens ont avancé à demi masqués dans cette Ukraine qui n’était, et  qui n’est toujours pas prête à entrer dans l’Union.

Seulement, il semble se passer ici ce qui se passe partout dans le monde. Si les élites urbaines acceptent plus facilement ces idéaux, le peuple d’en bas, souvent rural ou industriel, est moins enclin à consentir à de tels changements et reste sur des postions conservatrices. Cela explique en grande partie que lors des élections, les régimes les plus durs ont une masse de votants qui leur soient favorables. C’est le cas en Russie, en Iran ou en Turquie.

La volonté de reprendre un langage propre beaucoup plus militariste entraîne l’Union Européenne sur un chemin beaucoup plus fédéraliste. Comme le croit le président Macron, ce sont les crises qui renforcent la cohésion et la nécessité de se fédérer. La défaite de l’Ukraine risque au contraire de confirmer que l’UE n’est pas prête à une telle transformation. D’où la question existentielle que pose cette guerre aux yeux des européistes.

Mais tout n’est pas perdu pour eux, la crainte d’une attaque russe sur un des pays européens justifiera un effort de coordination d’un point de vue industriel et militaire que l’UE pourra apporter.

Mais cela imposera aussi une guerre « froide » avec un nouveau mur construit cette fois-ci par nous. La question est alors de savoir si les peuples se contenteront de cette protection ou se retourneront de nouveau vers leurs nations respectives pour résoudre les problèmes. C’est le risque qu’introduit la Hongrie du premier ministre Orban, mais aussi la Slovaquie et bientôt peut être d’autre pays. Le retour de la paix et le besoin de commercer déclencheront certainement une rupture des sanctions et le retour à une certaine normalité. La vision de la menace risque de se diversifier dans l’UE par rapport à sa géographie, son histoire et sa politique.

La défaite ukrainienne n’entraîne donc pas une crise majeure en Europe mais sonne le glas des ambitions européistes à l’Est. La construction d’un nouveau mur marque notre ultime frontière.

En cas de défaite c’est l’occident global qui aura peut-être le plus perdu. En effet, celui-ci a été de 1991 à 2014 la police du monde. L’ère de la « Pax America » qui a assuré une certaine prospérité et une mondialisation en notre faveur sera définitivement terminée. Les BRICS ont profité de la crise provoquée par la guerre en Ukraine pour prendre une place de plus en plus importante. La position des non-alignés demain fera la force ou la faiblesse d’une intervention militaire. Les Nations Unies vont aussi redevenir un instrument d’influence et de confrontation. L’occident a fait l’erreur de les laisser à des puissances autres qu’elle. Demain, intervenir comme en Irak ou en Afghanistan sera beaucoup plus complexe avec un « droit international» qui risque fort d’être redéfini.

En conclusion, il y a de grands risques que l’humanité retrouve les armes pour se battre. L’histoire ne s’est pas arrêtée, les élites européennes et mondialistes comme les peuples redécouvrent le tragique de la guerre. Nous sommes en train de fermer une parenthèse historique qui ouvre sur un monde beaucoup plus incertain et violent. Il s’agit pour nous de redéfinir notre place et continuer à exister. Cela peut passer par l’UE mais aussi par un retour de la nation, organisation politico-sociale beaucoup plus adaptable et normative et qui fait adhérer plus facilement l’homme à la société. Les empires se sont toujours effondré en raison de leur absolutisme, leur gigantisme et la décorrélation entre le pouvoir central et les peuples qui composent l’empire.


Commentaires


  1. commentaire d'un camarade sur l'article

    Voici ma réaction à votre article sur la potentielle victoire russe.

    « Merci encore pour ces points de vue toujours originaux et qui obligent à changer de perspective. C'est enrichissant et cela force à plusieurs réflexions pour ma part :

    - il est étonnant de voir une société relativement ouverte ou souple comme la société occidentale avoir si peur du changement (ce "conservatisme" qui semble aussi lié au fait que nous vivons dans des sociétés libérales vieillissantes, capables d'élire des élites jeunes en âge mais peu adaptables et ne disposant pas des ressources suffisantes pour construire une vision d'avenir, donc possédant souvent les défauts du grand âge, sans malheureusement en avoir la sagesse)

    - la "paralysie du désir" : nous disons être angoissés ou inquiets en Occident, mais pourtant nous réagissons avec une inertie immense face à ce que nos dirigeants nous disent être des dangers majeurs. Alors pourquoi ? Par manque de perspective et de stratégie réelles ? Pour vouloir aller quelque part, il faut savoir d'où on vient. Difficile de vouloir construire l'avenir en reniant une part essentielle de notre passé ou pire, sans en avoir conscience. En réalité, que font nos états ou l'UE pour être gages de stabilité lorsque le discours médiatique se focalise sur l'incertitude liée au lendemain et le retour du tragique, qui sont souvent des lieux communs (le tragique ne disparaît jamais puisqu'il accompagne la condition humaine...et l'incertitude du lendemain...c'est un peu pareil, sauf à penser que c'est parfois un moyen de désespérer les plus faibles et de distraire les plus aisés)

    - la période actuelle ne nécessite-t-elle pas que les élites militaires se nourrissent de réflexions de fond concernant la dissuasion nucléaire d'une part (la crédibilité de nos hommes politiques, clef de voûte du  système de défense nucléaire, étant atteinte comme le montrent leurs hésitations dans ce domaine depuis deux ans et la situation parlementaire française) et les relations qu'ils ont à entretenir avec les dirigeants politiques d'autre part (toutes les crises françaises depuis 1914 montrent que le positionnement du militaire et du politique met du temps à être clair et efficace. L'accélération du temps réduisant les délais de prise de décision dans le monde contemporain, les délais d'hier ne peuvent clairement pas représenter un modèle d'inspiration pour demain).

    Dans une situation de remise en cause du principe même de nation par nos propres dirigeants, l'apanage traditionnel du militaire, dont l'obéissance permettait de garantir la continuité de l'Etat pourrait-il déboucher sur une situation inédite où le militaire préserverait la continuité de l'Etat tout en participant en parallèle à la dislocation de la nation ? »

    RépondreSupprimer
  2. je profite ici pour répondre a mon camarade. je pense que la société est faussement souple, on le voit avec le "dictat" des absolus sociale ( 35h, retraite a 60ans, fonction publique, l'égalitarisme etc). Il n'y a plus de dessein d'avenir ou de futur mais juste une volonté de tout garder . Le combat pour ce conformisme explique la politique européenne vers l'Est et la réaction face au russe.
    rien a dire de plus sur votre deuxième paragraphe. Le désir n'existe plus puisqu'il n'y a plus de d'espoir de meilleur. On ne peux désirer que ce que l'on ne possède pas. Mais la société actuelle est la plus "gâtée" de toute l'histoire de l'humanité. Le retour du tragique est donc un retour à l'incertitude et surtout du déclassement, que la pensé occidentale refuse d'où l'inertie.
    c'est la phrase de Clémenceau qui explique la place du militaire "la guerre est trop sérieuse pour la laisser aux militaires". l'histoire des généraux devenu empereurs hante toujours la république. Les militaires aujourd'hui sont condamnés à rester dans l'ombre en raison de ses craintes. Nous sommes conceptuellement condamné à être en retard d'une guerre en grande partie en raison de la nature de nos élites très individualistes et dirigistes qui ont ,par conception, peur de voir leurs subordonnés prendre leurs places.
    je crois personnellement que c'est le peuple (et l'histoire la prouvé) qui est le meilleur garant de la continuité de l'état. Le score des "nationalistes" de gauche comme de droite qui est croissant en est le signe. Les militaires ne pourront retrouver un rôle politique que si une guerre impose des hommes plus fort.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. 1) dictat s écrie diktat
      2) l état s écrie Etat
      3) que peut on faire avec une société d adolescents ou peuplé de jeunisme drogués aux smartphones ? Sachant que le retour à l ordre passe le rétablissement " du père " je parle psychanalytyquement .

      Supprimer
    2. merci pour les remarques. Je pense que vous avez raison mais je pense qu'il existe un mouvement de balancier dans l'histoire. Les virages de l'histoire sont 1940, 1968, 1981. Les jeunes (15-18 ans en 1940 vivent sous Vichy, à partir de 1945 font son programme (travail, famille, patrie) qui donne les 30 glorieuses , le babyboum, et se sont eux , en 1960 avec le général De Gaulle, qui vont faire la dissuasion . Leurs enfants font mai 1968. Ils veulent tuer leurs pères et y arrivent avec la fin du babyboum, la fin de la croissance industriel accentué par la crise de 1973 puis l'arrivé de la gauche en 1981. Regardez une manifestation de la gauche aujourd'hui, il n'y a pratiquement pas de drapeaux français (quand t' ils ne l'arrachent pas) . Il y a aujourd'hui un certain retour aux années 20 et 30. Donc pour moi, le retour du tragique va entrainer un retour du patriotisme et peut être d'une croissance nationale.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire