Des Changements nécessaires

 


Nous vivons dans un monde en plein changement. La guerre en Ukraine a délié les pays du sud global de leurs allégeances aux pays occidentaux. Pour la première fois, outre qu’une guerre est lancée pour des buts nationaux en dehors du cadre traditionnel du droit international, il y a une confrontation entre une puissance nucléaire et une puissance tiers soutenue par des puissances nucléaires. Les conséquences sont une friction que l’on n’avait pas vu depuis les heures les plus sombres de la Guerre froide.

Le monde bascule avec de nouveaux blocs qui sortent du cercle d’influence libéral occidental et qui revendique un retour impérialiste dans leur destin. Outre la Russie, la Chine, la Turquie et l’Iran, ce sont de nouvelles revendications qui ressurgissent dans le monde. L’existence de tensions territoriales et ethniques provoque le retour de tensions que la « pax america » avaient mis sous silence. Celles-ci ressurgissent encore plus fortement que dans le passé, d’autant que la puissance dominante est affaiblie. Le repli d’Afghanistan, une faiblesse face aux Russes en Ukraine , un échec relatif face au mouvement Houti au Yémen, le repli du Sahel sont les signes d’un lâcher-prise de l’occident.

Rien, à court terme, ne semble montrer un retour offensif de l’occident face aux nouvelles menaces. Pourtant, sans un regain de crédit auprès de partenaires du Sud global, l’occident risque fort de voir son influence s’effondrer pendant une longue période.

La première réalité à regagner est la crédibilité technologique et productif. Il n’y aura pas de retour de l’occident sans une révolution technologique et sociale qui engendre une nouvelle croissance. Malheureusement, l’occident ne propose rien de novateur dans ces domaines. La transformation, à court terme, ne sera donc pas innovante mais ce sera peut être une transformation structurelle.

Celle-ci doit passer par une volonté de changer de modèle économique dans lequel la croissance économique ne se nourrit pas que de la consommation de produits mais aussi d’un retour à une juste consommation. Le processus est déjà en cours avec la volonté de recyclage, de réparation et de réutilisation de produits. Ce processus pourrait s’amplifier avec le risque de blocage économique provoqué par des guerres sur les itinéraires commerciaux. Russie, Iran, Yémen, Ukraine, Turquie et, peut-être à l’avenir, Taïwan sont des points des passages obligés du commerce mondial. La guerre commerciale qui va précéder la guerre réelle montre la nécessité de changer.

La nécessité de s’adapter.

Or, 75 % des terres rares sont produites par la Chine. C’est-à-dire que tout notre économie émergente verte et décarbonée est dépendante de ces matériaux. En clair, si la Chine fait pression sur la fourniture de ses ressources, l’occident sera obligé de céder. Seule une politique plus réaliste et diversifiée permet d’éviter ce piège. La réouverture de mines de ressources en Europe, la récupération des matériaux existants déjà produits et en même temps la réouverture des usines de transformation rééquilibreront les échanges et les besoins.

L’équilibre pour l’heure largement en notre défaveur nous met dans une situation où, si nous appliquons les mêmes sanctions au Chinois qu’aux Russes, celles-ci causeraient plus de dégâts à notre économie qu’à celle de la Chine. Un retrait massif des avoirs chinois très importants en Europe pourrait couler l’économie européenne.

Retrouver alors une marge de manœuvre économique deviendrait un impératif national. C’est en cela qu’il faut réfléchir à une évolution stratégique.

Il y a aussi une privatisation de la puissance. Les satellites d’Elon Musk ont joué un rôle stratégique dans la survie de l’Ukraine. La richesse de certains milliardaires est supérieure à celle de bien des états dans le monde. L’influence des grandes entreprises de la télécommunications et du numérique pose un problème de la légitimité de certains états. Il faut prendre en compte le risque que peut entraîner l’influence de se genre de partenaires dans nos économies. La encore, il est important de sortir d’une certaine domination globale de l’influence que l’état ne maîtrise pas. Cela passera par un investissement nationale pas forcément dans des systèmes numériques mais par une meilleur utilisation des moyens de communications modernes.

On le voit avec le départ précipité de la France du Mali ou du Niger, le niveau de la guerre informationnelle menée par nos adversaires est bien supérieur a ce que la France peut aujourd’hui mettre en œuvre.

L’influence est une arme de combat que la France doit réapprendre à utiliser. La faiblesse française vient du manichéisme et de la vision libérale qui interdisent une certaine forme de tromperie . En réalité, au cours de l’histoire de France, bien des actions ont été menées, qui sortaient du cadre des « valeurs » aujourd’hui mises en avant. Mais aujourd’hui, la croyance en la vertu de notre combat nous prive de cet instrument. La peur des politiques que cette arme soit retournée contre eux a entraîné une défiance quant à son emploi.

Pourtant, là encore, de tels instruments sont indispensable pour contrecarrer les moyens d’influence de nos concurrents, mais aussi attaquer à notre tour.

Quels emplois de la force pour demain ?

Outre la nécessaire défense des intérêts vitaux français en Métropole et dans le monde, la Fance devrait assurer un espace de manœuvre diplomatique, politique, économique et militaire pour rester une voix d’influence. Pour cela, il faut être en mesure de crédibiliser un outil de combat à même d’être un instrument à part entière de notre diplomatie.

Si pour moi, l’Europe est politiquement « perdue » en raison de l’influence continue des États-Unis et de l’Allemagne, le reste du monde et, en particulier, le bassin méditerranéen, l’Afrique, le Moyen-Orient, mais aussi la zone Indo-Pacifique sont des espaces d’influence concurrentiels où il est possible de construire de l’influence.

Il faut trouver des partenaires fiables, garantir leur stabilité pour ne pas avoir de surprise stratégique comme en 2011 avec les révolutions arabes. Le retour d’un corps de diplomates beaucoup plus permanent et mieux formé aux coutumes des pays hôtes devrait limiter ce risque. Ce corps n’aura pas que la mission de faire de la diplomatie, mais les diplomates devront intensifier les liens particuliers avec les principaux dirigeants ou forces politiques à l’étranger. La formation, de l’éducation, des aides , de programmes communs constructifs doivent retisser des liens. Ils ne faudra surtout pas retomber dans les travers libéraux et universalistes qui nous pointent comme des « colons » modernes.

Recréer un tissu de pays avec lesquels nous serons en mesure de collaborer, mais surtout de peser sur la scène internationale. Cette place nous permettra aussi de contrer la place de l’Allemagne dans l’Union européenne.

Mais la France devra aussi être en mesure de défendre ses partenaires à travers une politique de défense mieux adaptée aux besoins. Par exemple, si l’opération Serval a été une réussite militaire, l’opération Barkhane s’est soldée par un fiasco global. Une mauvaise analyse du tissus politique et d’influence et une vision très parisienne de la situation nous ont conduit à cet échec.

Celui-ci relève l’importance des conseillers de terrain présents depuis plusieurs années, l’importance d’un commandement au plus près, et celle de ne pas apparaître comme une force d’occupation. Ce qui avait fait la force de la colonisation, c’est-à-dire la confiance des politiques dans les hommes de terrain, a disparu avec les nouveaux moyens de communication et une certaine arrogance propre aux élites.

Les forces françaises devraient donc être plus projetables, plus réactives et adaptables aux situations. La vitesse, la surprise et la brutalité doivent assurer un effet sidérant sur un éventuel adversaire pour obtenir un effet rapide. Il faut, dans la mesure du possible, éviter les opérations trop longues. Cela serait possible uniquement avec une empreinte faible et discrète.

En conclusion, les changements à venir peuvent nous amener dans deux directions. La première est l’enfermement stratégique dans le monde occidental où les Français auront du mal à imposer, voire exposer, une vision divergente d’une ligne venue d’Amérique, voire d’Allemagne. Le repli stratégique entraînera la France dans une course technologique pour être au niveau de notre partenaire principal, les États Unis. Cette vision condamnera le pays à une certaine disparition internationale.

La seconde direction est l’ouverture vers le Sud Globale avec une certaine neutralité. Puissance d’équilibre, la France est en mesure de rester, voire de devenir un partenaire à part dans ce monde de blocs. Reprendre une position gaullienne serait, à mon sens, plus profitable.



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