Manœuvrer pour prendre l’initiative

 


Les vidéos et les images qui remontent du Donbass permettent de se faire une toute petite idée de l’environnement dans lequel se battent les combattants de deux camps. Le champs de bataille est devenu très complexe car rien n’est caché à la vue de l’autre. Sur une profondeur de 10km, rien n’échappe à la vue des drones et autre moyens de renseignement.



Un moyen de percer avec un minimum de pertes est recherché par les belligérants. Dans le domaine stratégique moderne, on considère qu’il y a trois grandes stratégies pour provoquer la percée.



La première stratégie est le grignotage. Théorisée par le général Joffre puis surtout Pétain, cette stratégie consiste à lancer de multiples attaques limitées en vue d’user les forces ennemies. Le maréchal Pétain améliora la stratégie qui sera mise en œuvre par le maréchal Foch, l’attaque limitée. Le principe est de renforcer une armée avec un renfort de chars, d’avions, d’artillerie pour réaliser une attaque surprise plus discrète que les attaques préparées par concentration de force. Les attaques doivent se succéder jusqu’au moment où l’ennemi ne soit plus en mesure d’envoyer des réserves pour les repousser.



Lorsque l’ennemi n’est plus en mesure d’envoyer des renforts, des armées de réserve sont engagées pour se lancer dans la percée. La stratégie va entraîner en 1918 un repli allemand, mais la grande offensive qui devait voir l’effondrement complet des Allemands n’aura pas lieu.



La variante de cette stratégie est la variante soviétique qui concentre sur 20km de large une puissante offensive par des forces étalées en profondeur. La première attaque du premier échelon doit créer des fissures qui permettent au deuxième échelon de s’infiltrer. Une fois la brèche suffisamment large, le troisième échelon attaque et exploite.

La profondeur de l’attaque dépend de la capacité des réserves de l’adversaire à monter et contre-attaquer.

Une fois cette réserve fixée, une seconde attaque est lancée sur un autre point du champ de bataille qui fixe encore une fois une partie des réserves. La troisième attaque perce et est la plus dévastatrice car il n’y a, en général, pas de réserve ennemie en mesure de contre-attaquer.

Les soviétiques ont amélioré la tactique à la fin de la Seconde guerre mondiale avec la création de Groupe Opérationnelle de Manœuvre (GOM).



Ce GOM installé juste derrière le premier échelon doit, une fois la brèche ouverte, s’y infiltrer et « foncer », sans se laisser distraire, sur l’objectif stratégique à atteindre. La doctrine soviétique parle d’attaque à plus de 500km dans la profondeur de l’ennemi.

En général, le GOM est une brigade, mais plus une division renforcée d’avions, d’artillerie et qui doit être autonome a minima dans le domaine logistique.



L’emploi de l’arme nucléaire devait accélérer la progression des forces soviétiques dont il était prévu qu’elle progresse de 100km par jour en moyenne.



La troisième stratégie est l’attaque brusque sur un point plus connu sous le terme de « Blitzkrieg » ou guerre éclair. Cette tactique théorisée par les Allemands dés 1919 avec le général Von Seekt et son armée de métier motorisée. Cette doctrine donnera lieu à la création de la ligne Maginot. Dans les années 30, Guderian et un certain nombres d’officiers vont optimiser la doctrine avec la mécanisation d’un corps de bataille, son intégration interarmes et interarmées grâce à la radio, et la modernisation de la logistique.

La surprise de l’attaque sur un point faible très étroit (de 1 à 5 km) doit entraîner une pénétration et surtout une exploitation dans la profondeur. L’attaque menée sur d’autres parties du front doit permettre de créer des « chaudrons » dans lesquels l’ennemi est encerclé.

Mais une simple pénétration et surtout exploitation jusqu’à un centre stratégique ennemi peut suffire.



Dans la guerre en Ukraine, il semble que le choix des Russes se soit porté sur la stratégie du grignotage ou d’usure qui impose des efforts aux Ukrainiens. A l’image de l’offensive de Kharkiv, les Russes ont imposé aux ukrainiens de faire remonter leurs réserves aux Nord, allégeant leur front au Sud. Les Russes en ont profité alors pour lancer des offensives dans la région d’Adviidka et sur Chasov Yar bien moins défendu.



L’usure du champ de bataille n’est possible que si l’on est capable de manoeuvrer et percer les défenses ennemies. La puissance des défenses passives (ville fortifiée, fortification de campagne, minage, fossé etc) se cumule avec des armes toujours plus réactives, précises et meurtrières. L’artillerie, par exemple, ne tire pas seulement dans la profondeur. Elle peut tirer dans la largeur et donc une pièce d’artillerie comme le Caesar peut couvrir 80km de front.



Les tirs sont devenus métriques et ne laissent que peu de chances à un objectif détecté. Les drones FPV, dont j’ai déjà longuement parlé, sont devenus un énorme problème tactique. En Ukraine, les Russes ont choisi d’effectuer des attaques multiples sous un feu d’artillerie massif appuyé par l’aviation. Consommatrice en munitions, en hommes et en matériels, cette stratégie pour l’instant ne montre pas d’effet visible. Mais une analyse plus poussée montre une autre lecture de la situation.



En effet, l’armée ukrainienne qui est entrée en guerre avec une excellente formation initiale, a vu ses effectifs fondre depuis deux ans. Le niveau d’encadrement des premières unités n’est plus aussi performant aujourd’hui. La raison en est la neutralisation dans les combat de nombreux cadres, ce qui a obligé les Ukrainiens à mettre en retrait leurs officiers.

La motivation des premiers combattants et des réserves engagées dans les premiers mois a fondu avec les pertes et les désillusions. Les nouvelles recrues sont beaucoup moins motivées et formées que les précédentes.



Les pertes en matériels se font aussi ressentir. Un certain nombre de chars, de pièces d’artilleries en tout genre, de véhicules divers détruits sont actuellement difficilement remplacés par les stocks occidentaux. On connaît les difficulté à fournir les obus d’artillerie, mais il y a aussi les missiles sol/air, les aéronefs, les blindés, l’artillerie etc. La question est aujourd’hui de savoir qui des deux protagonistes va « craquer » le premier.



A l’heure actuelle, il n’y a pas de signe clair d’un changement d’initiative à l’avantage des Ukrainiens. L’initiative est aux mains des Russes. la Russie est, pour l’instant, capable de compenser ses pertes. Beaucoup d’experts estiment qu’elle sera capable de le faire au moins pendant deux ans encore. La question est aussi de savoir si la stratégie mise en place par les Russes va entraîner l’effondrement des forces ukrainiennes ou si l’aide occidentale arrivera à retourner la situation avec l’apport de nouvelles armes et un renforcement de l’instruction.


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