Regard sur la situation des armes de la France

 

Je l’ai souvent expliqué, il n’y a pas de char sans une doctrine qui corresponde à une stratégie. J’ai proposé trois axes stratégiques possibles.

Le premier axe est européen, ce qui impose la consolidation de notre outil de défense pour que la France soit apte à un conflit de haute intensité. Le second est la position actuelle qui consiste à être bon à tout, mais qui ne donne pas de réelle capacité de tenir dans la durée dans un conflit de haute intensité. La troisième stratégie est de se tourner de nouveau vers la mer et de se limiter à la protection stricte du territoire national.C’est la stratégie à la fois la moins populaire de nos jours et celle qui signe un repli stratégique.

Pour choisir, en essayant d’être le objectif possible, une bonne stratégie (même s’il y en a sans doute plusieurs d’ailleurs), il faut au minimum faire le point sur plusieurs facteurs clés de la stratégie que sont le politique, le sociale, le diplomatique, l’économique, les ressources, pour finir par le militaire.

Le politique est aujourd’hui peut-être en train de vivre une bascule. Après les années sociales démocrates 1960-80 , le monde a basculé dans le libéralisme. Dans les années 2000, les crises économiques et la montée en puissance de nouveaux empires n’ont pas encore touché notre monde politique. La bascule politique pourrait faire ressurgir des clivages beaucoup plus francs dans le pays, ce qui risque de provoquer des tensions politiques plus fortes.

Cela se répercute socialement avec « l’archipellisation de la société » en groupes vivants côte à côte (voire face a face) avec une incompréhension croissante du sens de la nation. Là encore, la notion de France n’étant pas la même pour tout le monde, le pays ne montre pas actuellement une solidité sociale forte. L’individualisme étant roi, le sens de l’intérêt commun est pour l’instant peu exprimé dans notre société.

La volonté actuelle de dissoudre la France dans un état fédéral européen s’est accentuée avec l’effondrement de l’école et de la diplomatie à la française. Le manque de connaissances des politiques ou diplomates dû à un désintérêt pour les autres cultures ou peuples, principalement pour des raisons politiques, engendre des séries d’échecs en Afrique actuellement. Cela n’est que le résultat d’une vision libérale du monde et des hommes. Hommes considérés comme « interchangeables » et mobiles au gré des intérêts de chacun avec, en parallèle, la croyance que les valeurs occidentales sont universelles et souhaitées par tous. Les échecs politiques et diplomatiques, plus que militaires, auraient dû alerter nos hommes politiques sur leurs erreurs. Mais pour l’instant, rien ne semble indiquer une amélioration de la situation.

L’isolement promis aux Russes suite à leur attaque en Ukraine a fait montré qu’il existe aujourd’hui un autre monde qui n’a plus peur de ne pas être en phase avec l’occident. Cette situation risque de s’accentuer au fur et à mesure, enfermant la France dans le monde clos de l’occident ou de l’OCDE.

Le choix, dans les années 80, d’abandonner notre industrie pour diriger notre économie vers des métiers de services se paie aujourd’hui. Représentant 10 % de notre puissance, le secteur industriel n’a jamais été aussi dépendant des importations. Cela a pour conséquence notre soumission aux pays fournisseurs avec le risque de nous voir dans l’incapacité de réagir et encore moins de tenir lors d’un conflit de haute intensité. Cela pourrait limiter de fait nos capacités militaires.

Cela est d’autant plus grave que, actuellement, il n’est pas possible d’ouvrir des mines pour exploiter les ressources nationales (pour des raisons écologiques) . Ouvrir une mine ne peut se faire, de toute manière, que dans un délai si long que même une guerre ne permettrait pas d’accélérer le mécanisme. Pourtant, la France dispose sur son sol et sur ses territoires d’outre-mer des ressources encore non exploitées.

Dans le domaine technologique, globalement, elle maîtrise un grand nombre de technologies, ce qui lui donne un certain degré d’autonomie. D’autre part, la France dispose de personnels qualifiés et d’ingénieurs mais le secteur de la défense reste un secteur de niche. Augmenter la production est un processus long et complexe et le pouvoir politique n’est pas en mesure, au moins à court terme, de relancer rapidement ce secteur.

Tout cela a un impact sur notre défense. Si globalement, elle est bien vue dans le pays, elle n’attire pas massivement la jeunesse, bien que un jeune sur deux de moins de 25 ans se dise intéressé par l’armée. Les équipements sont de qualité mais pas assez nombreux. Il n’est pas actuellement envisagé d’augmenter les forces armées malgré de nombreux manques. Au contraire, le choix a été fait de ne pas remplacer des départs dans certains secteurs pour créer d’autres postes dans d’autres domaines (principalement le cybernétique et les drones).

Seul vecteur stable de notre politique stratégique, la dissuasion a été toujours maintenue à un niveau acceptable et crédible. Un effort constant a été entrepris, quelque soit le parti au pouvoir, pour garder cet outil en état de marche. La « stratégie de la dissuasion » reste l’outil militaire auquel l’ensemble de la classe politique adhère.

Cependant, le monde politique français pourrait bientôt être déchiré par de dissensions plus importantes encore que par le passé. Le pays est fracturé et manque de cohésion. Le monde change avec de nouveaux rapports de forces et la volonté de s’émanciper de la tutelle occidentale et donc française. La société individualiste et divisée n’est pas capable de fournir un assez grand nombre de volontaires de qualité. Si notre outil économique est bon, il reste sous-calibré par rapport à un besoin militaire croissant. La non-exploitation des ressources et le besoin de ressources étrangères nous rendent dépendants d’un marché qui peut être capricieux (cf le manque de masque durant le COVID ou le manque de certains médicaments). Notre armée est le fruit de tous ces éléments. Il faut que soit prise en compte l’impossibilité à court terme de reconstruire une armée puissante aux effectifs pléthoriques sans de nombreuses réformes politiques , économiques et sociales. Il se pourrait même que les réformes indispensables ne soient jamais faites.

Comme on le voit, une analyse, certes incomplète et succincte, donne à voir un pays complexe, avec de nombreuses qualités et faiblesses qu’il faut savoir gérer dans la perspective d’un avenir positif.

En attendant, la France devra faire avec ses moyens. La conséquence stratégique est déjà inscrite dans le choix du modèle d’armée. Nous ne serons pas en mesure de faire la guerre seuls, mais seulement avec une coalition. Nous ne serons pas non plus en mesure de tenir dans la durée si la guerre est de haute intensité. Il faut donc penser à une stratégie jouable pour avoir une chance de gagner. Pour cela, il faut définir ce qu’est la victoire et ensuite comment l’obtenir. Il serait sans doute moins hasardeux de se lancer dans une nouvelle stratégie tournée vers la mer que de se lancer dans une confrontation directe de haute intensité en Europe.


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