Mal se préparer à la Guerre

 

En 1868 , la France avait la « meilleure » armée d’Europe selon de nombreux experts. Cette évaluation partait d’un constat pragmatique sur l’efficacité au combat de l’armée française. La France avait engagé son armée dans le monde entier du Mexique, à l’Indochine en passant par l’Algérie, l’Italie, la Crimée etc. Fière d’une expérience opérationnelle riche et de la réputation de ses chefs, la France s’engagea confiante dans la guerre contre la Prusse. « Il ne manquait pas un bouton de vareuse » à cette armée. Mais dés le départ, la guerre ne fut qu’une série d’échecs. Finalement, une partie de l’armée est encerclée à Metz et l’autre est vaincue à Sedan.

Comment se fait-il que cette armée si puissante a été écrasée aussi rapidement ? Diverses analyses de la réalité, bien après la guerre, révélèrent que l’armée française, loin d’être parfaite, avait vécu sur une image surfaite en raison de victoires sur des adversaires bien moins puissants qu’elle. A l’époque, l’Autriche et la Russie ne furent vaincues qu’avec l’aide de l’Italie et de l’Angleterre. Les chefs étaient nommés au grade les plus élevés surtout en raison de leur courage personnel et de la chance qu’ils avaient eue (d’ailleurs, c’est ainsi que furent nommés beaucoup de généraux sous la Révolution ou l’Empire) plus que pour leurs compétences à gérer, organiser, planifier, commander les armées qu’il leur étaient donné de diriger.

L’armement étaient moderne et même novateur (comme la mitrailleuse Reffye), mais les personnels n’avaient pas su l’exploiter comme ils auraient dû le faire. Le manque d’exercices de l’état-major, de manœuvres réelles ainsi que le manque de capacités de mobiliser et d’équiper les mobilisés, firent que l’armée française fut écrasée. La réalité était très simple : les réformes engagées arrivaient trop tard, et l’armée n’était pas prête à faire la guerre.

En 1913, la situation de l’armée est presque la même qu’auparavant : il n’y a pas d’artillerie lourde, des « influenceurs » de l’époque critique la mitrailleuse pour sa trop grande consommation de munitions. Mais la France et son armée était ouvertes aux nouveautés et, malgré des dogmes dits républicains, les hommes peuvent communiquer. Après de nombreux déboires et les offensives catastrophiques du début de la guerre, l’armée française remplace plus de 40% de ses chefs. Des mesures rapides et surtout un énorme effort de remontée d’expérience par la base et par les chefs font que l’armée va se réformer pendant toute la guerre pour, en 1918, être une armée redoutable, impeccablement équipée et entraînée qui va remporter la victoire que l’on connaît, mais à quel prix.


Aujourd’hui, quel est l’état de l’armée française ? Notre armée est de nouveau qualifiée de « première armée d’Europe » grâce à sa grande expérience opérationnelle. Mais la France n’a pas vécu de conflit de haute intensité ou, du moins, contre un adversaire symétrique, depuis la guerre du Golfe de 1991. L’armée a été engagée sur de multiples théâtres, mais toujours contre des adversaires asymétriques. Etant donné l’effort financier, les résultats sont moyennement satisfaisants. La France a dû abandonner l’Afghanistan ; le Mali, le Niger et le Burkina Faso l’ont chassée de chez eux.

L’armée française est organisée et équipée pour la guerre asymétrique. Les véhicules du programme SCORPION sont protégés contre les IED, les mines, les tirs d’armes légères. Les soldats français sont habitués à s’installer dans d’immenses camps fortifiés ; le camouflage et la discrétion sont pour beaucoup encore des vues de l’esprit. La logistique française se déplace en long convois sans crainte de menaces aériennes. Enfin, il n’y a pas de discrétion électromagnétique ni de brouillage.

De plus, les soldats signent encore des contrats pour le « métier des armes » : dans l’esprit, presque un 35-heures,temps de sortie sur le terrain inclus. L’administration et le règlement régissent toutes les activités : pas de munitions, ni de terrain, ni de manœuvre sans que de multiples demandes administratives et autres doivent être faites en bonne et due forme. Ainsi, pour les soldats, la mort est une idée lointaine ou n’est réellement envisagée que dans la mesure où elle frappe l’ennemi. Il n’y a aucune préparation mentale, ni physique, à l’horreur de la guerre. Les grandes manœuvres comme ORION 2023 n’ont été que des révélateurs des lacunes. Ce sont des manœuvres où tout est planifié d’avance et où, souvent, en fin compte, l’ennemi fait ce qu’on lui dit de faire, garantissant la victoire. De toute façon, même en cas d’échecs, il n’y a pas de sanction. L’image que l’on renvoie à soi-même et aux autres compte presque plus que la réalité. Non, nous ne préparons pas à la bonne guerre.

La réalité est, comme souvent, plus complexe. L’effort financier et politique, certes important, ne suffit pas. En outre, il faut se poser la question de ce que l’on veut réellement faire. Il est à noter qu’actuellement, l’armée française se prépare, non pas à se battre dans les plaines d’Ukraine, mais à assurer la sécurité des stades olympiques. Les politiques se bercent d’illusions lorsqu’ils croient que l’on peut défendre de grands objectifs stratégiques sans les moyens idoines. Si on veut être le leader des pays de l’OTAN et de l’UE, il faut un outil militaire crédible qui puisse appuyer cette politique.

Or, les hommes politiques veulent tout pour pas cher : ils veulent des soldats et des moyens pour Sentinelle, des soldats pour la Police en Afrique et dans le monde, des soldats et des moyens pour montrer notre « détermination » pour la « défense de nos valeurs » à l’Est de l’Europe, des soldats et des moyens pour sécuriser les Jeux Olympiques et tout cela en n’y consacrant que 2 % du budget national.

Il faut donc être réaliste. Avec seulement 2 % du budget national, on ne peut pas tout avoir : soit on se prépare à faire la guerre, soit on continue à être une force de police. La question est de savoir quel chemin sera choisi et sans un chemin cohérent, nous irons tout droit dans le mur.




Commentaires

  1. Je pense que la 1è question à se poser est de savoir à quoi nous sert notre armée. Faire des opérations extérieures, type mali ou niger ? Être capable de mener (dans le sens être un outil principal pas uniquement d'accompagnement) une guerre haute intensité aux cotés de nos alliés de l'otan ? Les 2 ?
    (je retire volontairement de l'équation la surveillance des JO ou sentinelle, qui sont du "temporaire" et en accompagnement des forces de l'ordre)
    En fonction de cette réponse, on définit des moyens. Basiquement des gtia "légers" pour les opex avec relativement peu d'hommes et du matériel léger et des capacités de projections, dans le cas de guerre ouverte, des groupements "lourds" avec chars, avions, artillerie en nombre. (je simplifie volontairement)
    Ensuite on pourra définir le budget nécessaire (2%, moins ou plus). Maintenant il faut bien voir la contrainte budgétaire existante dans nos pays. A part les pays concernés (pays baltes et plus généralement ex pays de l'est), le reste des européens ou occidentaux ne se sent pas vraiment impacté, qui qu'on en dise (les dividendes de 70 ans de paix). Donc dire qu'il faudrait passer un budget de la défense à 3, 4 ou 5% va provoquer pas mal de ressentiment. Je rappelel que la priorité chez nous (en europe) c'est le social et le bien être des gens. En france, 60% du budget de l'état est consacré au social et à la santé. Alors quand on devra annoncer qu'on supprime 10 ou 20 milliards de ces budgets pour les consacrer à l'armée, j'imagine sans peine les réactions (voir ce qui s'est passé pour la réforme des retraites, qui était plutot "simple"
    Pour conclure, un petit aparté sur la guerre dite haute intensité: je crois qu'aucune armée au monde n'y est prête, tout simplement car personne n'a rien vu de tel depuis des décennies ! Même les armées russes (et ukrainiennes) n'y étaient pas prêtes en 2022, mais nécessité fait loi et elles ont du s'adapter en fonction des évènements. Si il existait une machine à remonter le temps et que l'on proposait au dictateur expansionniste du kremlin de revenir en février 2022, pas sur qu'il accepte de rejouer le match, vu les dégâts que cela a causé dans son pays et ses gains en 2 ans de guerre

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    1. bonjour, je vois que votre analyse est le même que le miens et que vous n'apportez pas plus de réponse. C'est normal car nous n'avons pas fait une chose essentielle, nous n'avons pas fait d'étude stratégique sérieuse. Sans stratégie, pas de doctrine, pas de doctrine pas d'armée cohérente. La stratégie de la dissuasion était cohérente avec une défense d'un "pré carré" en Afrique pendant la guerre froide. Cette stratégie a été mis a mal par 30 ans de dénis stratégique. Il faut définir une stratégie cohérente après une analyse pragmatique de la situation. Sans cela, nous n'atteindrons aucun objectif. Mais je compte écrire dessus.
      Merci de vos commentaires.

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