Ce texte comprend 4 idées maitresses :
Le mieux est l’ennemi du bien
L’instruction est plus importante que la technologie
Que le char a perdu sa capacité à détruire son agresseur.
Que son plus grand atout et la polyvalence de son armement.
Tous le monde (ou du moins les hommes) a rêvé un jour
d’avoir une belle voiture de sport. Quoi de plus beau qu’une Lamborghini, une
Ferrari ou une Porsche pour aller « frimer » le long des quais de St Tropez
ou de Cannes. Et pourtant, nous roulons tous dans de la voiture grand publique,
certes confortable et spacieuse mais qui n’est pas, au vue de tous, du même
standing. Même si par envie, vous vous payez une Mégane RS ou un autre bolide, ce
n’est parce que vous avez une voiture de sport que vous maitrisez la conduite
sur piste de course, sans formation et des heures d’entrainement, vous serez
jamais un champion.
Pour les chars, mon idée ici est de dire qu’il existe le
même genre de dilemme.
Pour comprendre cette problématique ; il faut d’abord
définir deux concepts de char.
Le char de supériorité :
Le char de supériorité est un char supérieur au char de même
génération dans les domaines de base du char, à savoir la protection, le feu et
la mobilité. Ces chars paient ces choix souvent par un coût élevé, une prise de
masse et des fragilités techniques.
Le char de manœuvre d’ensemble :
Le char de manœuvre d’ensemble, lui, s’inscrit dans la
manœuvre globale des forces interarmes en privilégiant la mobilité opérative et
stratégique ainsi que la polyvalence des armes à la protection et au feu. Ces
chars sont plus légers, moins bien protégés et quelquefois moins bien armés
mais sont plus mobiles et coûte moins cher.
La Seconde Guerre mondiale
L’affrontement commence dès le début de la Seconde guerre
mondiale. Les forces allemandes dotées de chars légers mobiles plus ou moins
bien armés et protégés, vont affronter les forces blindées alliées. Les chars
alliés, eux, sont mieux armés et blindés, comme le char B1bis, ou le Matilda 2.
Pourtant, les Panzer divisions allemands vont prendre le dessus et réussir à
couper les armées alliées en deux.
Les Allemands ont optimisé la fonction interarmes de leurs
unités en optimisant un combat collaboratif
et, en particulier, le « moteur combattant », c’est-à-dire la
manœuvre rapide d’éléments mécanisés appuyé par l’aviation. C’est l’heure de
gloire de la « guerre éclair» ou la concentration des efforts en un point
pour optimiser la surprise, la percée et surtout l’exploitation.
Les armes antichars jouent alors à armes égales avec les
armes des chars, voire leur sont supérieures (utilisation des canons
anti-aériens de 88 mm comme armes antichars), ce qui optimise encore plus
l’efficacité de l’interarmes allemande.
L’autre grande différence vient de la formation tactique,
les allemands ont pratiqué des heures d’entrainement pour maitriser leurs
tactiques. Au contraire, les forces alliées ne se sont pas entrainé. La DCr (division Cuirassiers), division
blindés Française ne s’est constituée
qu’au printemps de 1940. Elle n’a jamais effectuée de manœuvre constitué.
La tactique allemande fonctionne si bien que les alliés ne se sont pas
adaptés avant 1942, ils mettent au point alors de nouvelles doctrines et
l’avantage change de camp.
En 1943, les chars ont déjà évolué. Du côté allié, la
nécessité de reconquérir les territoires perdus impose des chars qui privilégient
la percée et l’exploitation. C’est le retour d’expérience allemand vu des américains de la campagne de Pologne et de
France. La mission alors du char est le combat contre les fortifications,
l’infanterie et des armes antichars.
Le M4 Sherman est le char conçu pour cette mission. Il ne
dispose que de 50mm de blindage, roule à 48 km/h et un canon de 75 basse vitesse qui est
très efficace dans l’attaque de l’infanterie ou des fortifications de campagne,
mais beaucoup moins dans la lutte antichar. Côté russe Il en va de même avec
par exemple l’IS2 qui est équipé d’un 122 mm. Celui-ci n’arrive pas à percer le blindage des chars
allemands avant 1944 (perte de qualité de l’acier blindés en raison du manque
de Manganèse), mais arrive à casser une tourelle rien qu’avec la force de
l’énergie de l’obus. Le canon, par contre,
est redoutable contre des fortifications.
Du côté allemand, au
contraire, il faut détruire les chars
ennemis pour limiter la mobilité de l’adversaire. Les Allemands équipent donc
les chars de canon long équipés d’obus perforant à grande vitesse.
Ces choix sont logiques, en particulier, du côté
anglo-saxon. La trame antichars, en effet, est basée sur l’action de
l’artillerie, de l’aviation et ensuite d’unités antichars, avant le combat de
chars.
Pour justifier ce constat, il faut mettre en perspective les
causes de destruction de chars, à l’exemple des chars britanniques de 1941 à
1945. On constate que 22 % de ces destructions sont causés par les mines,
30 % par les canons antichars, 25 % par les chars, 13 % par les
canons automoteurs antichars, 6 % par lance-roquettes et 4 % par d’autres moyens.
Ces pourcentages varient selon le théâtre d’opération et les
moments de l’engagement. On s’aperçoit, par exemple, que le pourcentage monte à
14 % en Europe du Nord et 22 % des pertes de tankistes pour les
roquettes antichars, ce qui explique la hantise
sur le Panzerfaust. Mais sur le même théâtre, seulement 14 % des
pertes sont dues aux chars. La raison en est simple : les Allemands
n’arrivent pas couvrir l’ensemble du front de chars, en particulier, de Tigres
et de Panthères. Ceci laisse plus d’espace de manœuvre pour les chars alliés.
En 1940, la Panzerwaffe traverse les Ardennes en 3 jours et
atteint la mer en 10 jours, coupant les armées alliées en deux.
En 1944, la « charge » de la 3e armée de Patton
traverse la France et ne s’arrête qu’en raison des difficultés logistiques
liées à l’allongement des voies de ravitaillement. Mais l’armée avait mené 57
jours d’attaques continues. La mobilité du char M4 Sherman a permis cette
action, non seulement en raison de sa fiabilité, mais aussi en raison de la
facilité d’entretien du char. La force de la logistique américaine, c’est
d’avoir su calibrer les équipements pour les rendre redondants. Les pièces de
camion peuvent servir à la réparation de char. Tout est calibré pour optimiser
l’action d’ensemble, comme les LST qui sont taillés pour le M4.
Les Américains, qui vont perdre leur port artificiel en
raison d’une tempête le 19/20 juin 1944,
utiliseront ces LST pour transborder plus de matériels que le port artificiel
anglais.
On voit ici une différence très marquée entre le char de
supériorité et le char de manœuvre d’ensemble. Le premier, comme le Tigre ou le
Panthère, est une juxtaposition de supériorité technique comme un meilleur
armement, un meilleur blindage. Mais les Allemands vont le payer par une
complexité logistique qui va minorer les avantages.
Pour comprendre, il faut savoir qu’il faut environ 4000
heures pour construire un Panthère, c’est-à-dire le même temps qu’un T34.
Pourtant, les Panthères n’ont pas submergé le champ de bataille car ce char était
plus complexe à construire et nécessitait une main d’œuvre hautement qualifié
pour sa production. C’était exactement tous l’inverse pour le T34 et les russes
ont fabriqué d’immenses arsenaux pour en produire le maximum. Là où la
production d’acier allemand était consacrée aux
fortifications, les russes le consacraient aux chars.
De plus, les derniers modèles allemands étaient difficiles à soutenir en raison de nombreuses
fragilités (boîte de vitesse, train de roulement) cumulées à une consommation
de carburant importante. Ces chars arrivent au moment même où les gisements
pétroliers sont neutralisés ou tombés aux mains de l’ennemi.
Les russes ont produit 120 000 chars et en perdent
91000 pendant la guerre, les Allemands en produisent 50 000. Les derniers
T34/85 ont combattu en 1999 au Kosovo et le Laos l’utilisait encore en
2015.
Le M4 a été produit à 49000 exemplaires et formera l’ossature de l’armée Israélienne en
1967 et 1973. Il combattra encore dans les années 80 au Liban et en 1999 au
Kosovo. Les alliées perdront pendant la campagne à l’Ouest de 1944 à 1945
environ 4000 chars.
Les écarts de pertes sont dus en grande partie au niveau de
formation tactique des belligérants. Le M4 est rapide de prise en mains et
toute personne qui sait rouler une voiture c’est piloter le char. La formation
peut donc se focaliser plus la tactique que sur le technique. C’est l’inverse
pour les chars allemands ou l’apprentissage technique est important en raison
de la fragilité des machines. Mais les allemands s’appuient aussi l’immense expérience tactique des cadres
apprise au combat. Pour les russes, la formation est médiocre, le char a
l’avantage de pouvoir être servi par n’importe qu’elle paysans des font des
steppes. Cela explique en grande partie les pertes énormes. La différence se
fait dans l’art opératif russe et le nombre.
Autre point de détail, les équipages de Panzerwagen IV sur le front russe en 1944 infligeaient plus
de pertes à l’ennemi que le Panthère. La raison était simple, pour compenser
leurs méconnaissances tactiques, les jeunes équipages étaient monté sur
Panthère alors que les plus ancien (et donc les plus entrainé) étaient sur
l’ancien Model.
La Guerre froide
L’arrivée de la bombe atomique et la fin de la guerre va
ralentir les développements. Le char va vite retrouver une place dans la Guerre
froide, car la guerre conventionnelle va vite reprendre sa place dans les
relations internationales. Le char a des atouts, il est le plus adapté au combat en
environnement NBC et il est aussi le plus apte à la lutte antichar.
En effet, la principale arme antichar à la disposition des
armées d’après-guerre est le canon sans recul. Si le canon est performant, il a
deux défauts majeurs. Le premier est la courte portée efficace du tir qui
tourne autour de 1500 m, ce qui donne l’avantage au canon de char. Le second
défaut est le gaz éjecté lors du tir qui révèle la position de la pièce.
Rapidement repéré, le canon devient une cible pour les chars.
La Guerre des 6 jours va voir la « guerre éclair »
mise en pratique par les Israéliens et, là encore, l’avantage sera au char de
manœuvre d’ensemble comme le Centurion. Appelé Shot en Israël, le char est un
mélange heureux entre le Sherman et le Panthère. Il est bien armé et protégé
(moins qu’un char lourd de l’époque) et reste rustique et facile d’entretien
(il n’y a que deux clés pour tous ouvrir).
L’aviation israélienne va détruire les avions arabes au sol,
ce qui va leurs donner la supériorité aérienne. Les chars, eux, vont s’enfoncer
dans des défenses statiques rapidement contournées.
Les Israéliens disposent de grandes compétences tactiques et
techniques qui valorisent leurs attaques et leurs victoires rapides sur les
Arabes. Ils combattent tête dehors et maîtrisent le tir à longue distance grâce
à un entraînement poussé.
Le peu de profondeur du champ de bataille permet des
attaques audacieuses dans la profondeur. Les bataillons de chars ont attaqué à
grande vitesse dans le désert pour atteindre les cols stratégiques qui
bloquaient le Sinaï. Le rôle de la logistique dans cette campagne a été très
limité, mais il n’en sera pas de même dans la suivante.
Un petit point de détail, le Centurion conçu en 1944 a été produit à plus de 5000 exemplaires, le
T54/T55 rentré en service à partir de 1949, a été produit à 100 000
exemplaires. Les deux sont encore en service et le T55 a été engagé par les
russes en Ukraine.
Les chars de supériorité, comme le M 103, le Conqueror ou
T10, ne brillent pas à cette époque. Leur coût élevé et la puissance des
charges creuses annulent l’effet du blindage. La puissance de l’armement est
relativisée par l’apparition d’une nouvelle arme, le missile antichar.
Dans les années 70, il existe déjà un grand nombre de
missiles de première génération comme l’ENTAC ou le SS11. En Egypte, ce sont les
missiles antichars AT3, missiles
filoguidés, qui vont faire payer aux Israéliens leur trop grande assurance lors
de la Guerre du Kippour de 1973. En 100 minutes, la 14e brigade de chars perdra 85 chars sur
100. Le char a besoin de nouveau de travailler avec les autres armes pour
espérer reprendre l’avantage sur le champ de bataille.
En 1982, lors de l’invasion du Sud Liban, les Israéliens
vont mener des opérations interarmes dans lesquelles les actions des chars, de
l’infanterie mécanisée, de l’artillerie se complètent. Les chars profitent
aussi d’une des faiblesses des missiles qui est l’obligation pour le tireur
de pointer l’objectif (voire, d’amener
le missile sur sa cible sur les premières générations) tout le temps du trajet
du missile. Un tir dans la direction permet souvent de faire échouer la visée
et un tir précis, après avoir pris un poste, peut être fatale au poste missile
et à ses servants.
Les conséquences de la guerre au Moyen Orient vont toucher
l’Occident. Pour rappel, la France a eu le char AMX30 qui est un bon exemple de
char de manœuvre d’ensemble.
Intégré à une armée mobile qui devait être la réserve
stratégique de le l’OTAN, le 2e corps en Allemagne servait de réserve aux
unités allemandes et américaines dans le secteur sud (la trouée de Fulda). Le 3e corps était le
2eme échelon du dispositif Nord qui couvrait la Hollande
et la Belgique. Le 1er groupe était la réserve générale et ultime défense. Pour
toute ces missions, les corps devaient être les plus autonomes et mobiles possible.
La mobilité de l’AMX30 permettait cela. Sa polyvalence lui permettait de
combattre contre diverses menaces comme les hélicoptères, les chars ou les
missiles antichars.
La grande différence aussi est mise sur la formation
tactique. Le retour d’expérience israéliens montre bien l’importance de la
formation des équipages, celle-ci peut faire la différence même contre un
ennemi plus nombreux ou mieux armée. Les chefs sont rompus à l’exercice de
commandement interarmes, à la manœuvre en environnement NRBC. La qualité de nos
forces sont reconnu pour leurs rusticités, leurs endurances, leurs
combativités. La guerre contre nos armées n’aurait pas été une partie plaisir.
En 1979, le GIAT présente un char prévu initialement pour
l’exportation l’AMX32. Le char, dans une de ses versions, avait un canon de 120
mm. Un tel char nous aurait permis de disposer d’un véhicule apte à affronter
plus efficacement les dernières générations de chars russes. Mais la peur de
handicaper le programme EPC (futur Leclerc) a guidé nos opérationnels à choisir
une revalorisation de l’AMX30 : l’AMX30 B2.
Les Guerres du Golfe
Pendant la guerre du Golfe, en 1991, un char de supériorité
va vouloir devenir un char de manœuvre d’ensemble.
En effet, le M1, le char principal américain est le char le
plus performant de son temps. Il dispose du meilleur blindage, du moteur le
plus puissant, de l’électronique le plus performant et de l’armement le plus en
pointe du moment.
Ce n’est pas la seule révolution du champ de bataille. C’est
aussi le premier engagement d’un VCI moderne de dernière génération, le M2/M3
Bradley. Il y a aussi l’hélicoptère Apache, le missile Hellfire, le MLRS, M712 Copperhead (le prédécesseur de
l’obus Excalibur de 155mm).
Durant le conflit, l’aviation va détruire la moitié des
véhicules perdus par les Irakiens. Le VCI Bradley va détruire au moins autant,
voire davantage de chars, que le M1 Abrams (il n’y a pas de chiffres précis
actuellement). Les optiques thermiques et les missiles guidés vont prendre le
dessus grâce en particulier à leur longue portée (3700 m).
S’il y a une différence technique indéniable, la différence
tactique est encore plus grande. La qualité de la formation tactique des
équipages et chefs permet à certain militaire américains de dire aujourd’hui
que s’il avait été équipé de T72, le résultat final aurait été identique.
Les Américains ne peuvent pas poursuivre leurs offensives
vers Bagdad en raison de l’état de leurs équipements. Un grand nombre de chars
ont des problèmes de turbines encrassées par le sable. Le besoin en carburant
est également prohibitif en raison du grand nombre de chars. Il n’était
simplement pas possible d’aller plus loin.
Le constat, donc, pour le char M1 est à relativiser. L’AMX30
de la division Daguet réalise une mission sans faute en couvrant le flanc Ouest
des forces de la coalition. Les véhicules AMX 10RC vont permettre à la division
d’accomplir sa mission en surprenant l’adversaire par la vitesse d’exécution et
la précision des feux.
Si l’AMX32 était entré en service à cette époque, la vision
de nos alliés aurait bien été différente (Américains et Anglais ont des chars
lourds dotés d’un canon de 120mm). Si les Américains avaient été équipés d’un
char de type AMX32, les tankistes auraient obtenu le même résultat sur le champ
de bataille (peut-être avec quelque perte en plus). Mais surtout, ils auraient
pu imaginer une manœuvre offensive plus rapide (moins de contraintes
logistiques) et surtout ils auraient pu poursuivre vers Bagdad.
La guerre, et donc l’histoire, aurait alors été toute autre.
En 2003, les chars US envahissent l’Irak et détruisent ce
qui reste de l’armée irakienne. Le choix américain d’une invasion terrestre met
en évidence la nécessité de calibrer le nombre de chars à la juste capacité
logistique. Les Américains ne feront donc pas la même erreur que lors de la
première guerre du Golfe. La guerre qui va suivre mettra encore en évidence
qu’il impossible, quel que soit l’effort, de garantir la survie d’un char au
combat. Près de 80 chars M1 seront détruit par l’action de l’ennemie preuve
s’il en était que même le meilleur char du monde n’est pas invincible. Mais les
Etats unis peuvent absorber ses pertes car le pays est riche.
La Révolution dans les affaires militaires.
La puissance de feu
américaine pendant cette guerre sera totale. La révolution dans les affaires
militaires RAM n’a jamais autant influencé les militaires. La croyance en la
force de l’information comme facteur essentiel de la guerre va singulariser le
choix américain d’un nouveau concept : le Futur Combat System. Le char est
le fruit d’une famille de véhicules légers (18 tonnes) à moteur hybride. La
volonté d’avoir un char de manœuvre d’ensemble à travers ce système va échouer
à cause d’une surestimation des capacités technologiques et une sous-estimation
de la menace.
La révolution dans les affaires militaires des années 90 va
voir de nouvelles menaces pour les chars. D’abord, les missiles tir et oubli,
comme le Javelin, limite l’exposition des servants. Les drones et bombes
guidées commencent à proliférer. Pendant l’opération Harmattan en 2011, les
chars libyens sont détruits à 50 km par des bombes guidées tirées d’avion. Les
obus Excalibur de 155mm ont une précision métrique et sont en mesure de détruire
les chars postés ou roulant grâce à un guidage laser.
Pour la première fois, le char perd sa capacité à riposter.
La nature même du duel change et est à l’avantage de l’épée.
La guerre du Haut Karabagh révèle la puissance des drones
kamikazes et du guidage de l’artillerie par drone. 69% des chars sont alors
détruits par l’artillerie mais seulement 1 % en combat de chars.
La guerre en Ukraine révèle cette tendance avec en plus 15 à
20 % des destructions par drones antichars (FPV kamikaze, et autre). Les
Ukrainiens, eux, estiment que seulement 5 % du combat d’un char est contre
les blindés.
Selon les Russes, 98 % de l’action d’un char consiste à
de l’appui feu (direct ou indirect). Les pertes en chars des deux côtés sont
élevées (presque 3000 chars perdus pour les Russes).
L’arrivée d’une nouvelle génération tir et oubli, avec les
MMP et SPIKE, modifie encore la nature du duel. Les missiles tirent au-delà de
la vue directe, ce qui rend même impossible la détection du lanceur.
Les drones en Ukraine sont venus compléter cette action
antichar. Les FPV attaquent en profitant de tous les défauts de l’armure. Ils
ont comme avantage d’être moins coûteux et d’être très précis. Ils offrent la
protection des opérateurs et sont difficiles à intercepter. L’ultime évolution
du drone est le filoguidage par de la
fibre optique optimisant une liaison vidéo de très bonne qualité et qui ne peut
pas être brouillée.
Les Chars aujourd’hui
La Russie, pour la première fois, fait le choix d’un char de
supériorité. Elle a développé un nouveau char bien plus performant : le
T14, le char plus évolué actuellement. Il est doté de protections actives,
d’une tourelle télé-opérée et d’une capacité à être robotisée. Mais les Russes
ne vont pas l’engager en Ukraine. Au contraire, ils vont rouvrir une chaîne de
production pour le T80.
Le T72, qui est le
principal char russe, a été produit à
plus de 30 000 exemplaires. Actuellement les russes produisent au environ
de 130 chars par mois dont presque une centaine de T72 B3 M2022 ultime rejetons
du T72.
Le choix russe questionne sur nos propres choix. Si les
chars ont eu comme mission la lutte antichar, cela n’a pas été en fait leur
mission principale. Que ce soit dans le Pacifique entre 1941 et 1945 ou
sur de multiples théâtres d’opérations d’après-guerre, le char combattra
souvent en appui feu.
C’est d’ailleurs sa qualité principale. Le témoignage de
soldats ukrainiens qui défendaient l’aéroport de Donetsk en atteste. L’obus
d’artillerie siffle lorsqu’il tombe (sauf pour la personne qui va recevoir
l’obus), ce qui prévient de l’arrivée du tir. Par contre, le tir de char étant
horizontal, aucun signe ne l’annonce. Il est très précis et la puissance de
l’obus permet de neutraliser efficacement un groupe de combat.
Russes et Ukrainiens, malgré leurs pertes, demandent toujours
plus de chars, car c’est la machine de guerre le plus à même de neutraliser une
position par un feu puissant. Le char est aussi un adversaire contre les autres
blindés. Un char suffit souvent à arrêter une attaque par le seul danger qu’il
représente. Le char T80 qui dispose d’une discrétion sonore, grâce à une
turbine, est le spécialiste de l’attaque à l’aube ou le soir, au soleil
couchant. Il attaque et frappe à courte distance et se replie aussi vite.
Le char est, en effet, l’arme des 1000 derniers mètres. Que
ce soit dans le Golfe en 1991 et 2003, aujourd’hui en Ukraine, le char a eu à
combattre à courte, voire à très courte distance. A ces distances, le canon est
l’arme la plus efficace grâce à sa vitesse de mise en œuvre. Or, le seul
porteur de canon est le char.
Au-delà, de 2000m, le missile a un avantage : il peut
changer d’attitude. A deux seconde de vol, une munition flèche peut rater sa
cible avec un simple coup de frein ou un changement d’altitude de la cible. De
plus, sur un théâtre de type centre Europe (mélange de zones urbaines, de bois,
de rivières, de petites ou grandes collines), il dispose d’abris ou de masques
permettant de soustraire à la vue et souvent au feu. De plus les nouvelles
générations d’armes antichars s’affranchissent de ces obstacles.
Le char, dans cet environnement, doit se consacrer au combat
courte portée et profiter de la polyvalence de ses munitions pour apporter un
panel d’effets dans l’environnement de combat.
Le char de supériorité, s’il doit être une machine lourde,
hautement protégée, complexe, et uniquement axée sur le combat antichar restera
dans les garages car le prix à payer pour le posséder et l’utiliser sera trop
élevé. La protection ne garantira pas son invulnérabilité aux frappes. On l’a
vu avec les chars M1 détruits par des roquettes et des drones.
Sera-t-il envisageable d’accepter la perte d’un engin de 9 à
12 millions d’euros détruit par un engin qui ne vaut pas 10000 euros. La
spécialisation antichar limite le périmètre des capacités tactiques de l’engin
et, en fin compte, est en contradiction avec l’emploi réel du char sur le champ
de bataille moderne.
De plus, sa mission peut être remplie par de multiples
systèmes avec autant, voire plus d’efficacité, et souvent à un coût inférieur.
Or, il est difficile, vu la taille de l’armée française, de
se permettre d’avoir un engin qui ne serait pas utilisé. Il faut donc, au
contraire, un engin conçu pour le combat de courte distance ayant un grand
panel de choix de munitions. Il faut que celui-ci dispose d’une protection qui
n’entraîne pas une surcharge du véhicule et qui lui garantit une mobilité
tactique, opérative. Ainsi, il faut bien un char de manœuvre d’ensemble.
Le MGCS et l’idée même d’EPC (engin principal de combat)
sont donc condamnés, à mes yeux, car ils sont la quintessence du char de
supériorité. A l’image du Leclerc, ils ne trouveront que rarement un
environnement favorable à un engagement optimum. De tels véhicules seront
sous-employés et critiqués en raison de leur coût.
Cela me rappelle ma Ferrari, très belle et performante qui
ne s’exprime que sur de belles routes larges et dégagés. Mais quand n’avez pas
le budget d’une star de cinéma mais plus celui d’un honnête fonctionnaire, la
Ferrari (achetez d’occasion) a plus de chance de rester au garage (à part le
W-E pour promener « madame » et encore) pendant que la semaine vous
utiliser le bon vieux monospace simple, pratique, et à prix abordable.
C’est ce qu’a fait la France depuis l’arrivée du Leclerc, le
Char à passer plus de temps dans les garages ou à faire un peu de figuration
qu’à briller dans de terrible duel de char. Au contraire, l’AMX 10 RCR a été
engagé sur pratiquement tous les théâtres ou l’armée Française a été projetée.
C’est pour cela qu’il faudrait réfléchir à un char appartenant
à un ensemble et servant à apporter un effet
. Il serait abordable, polyvalent et disposant d’une
mobilité en cohérence avec la manœuvre opérative, voire stratégique. Un châssis
plus léger serait la monture de nombreux systèmes comme les véhicules de dépannage,
d’artillerie, de génie, de franchissement, de défense sol-air, de frappe à
longue distance etc.
Il permettrait aussi de pouvoir de nouveau acquérir un
entrainement plus poussé des équipages. Plus facilement employable, les
équipages passeraient plus de temps à s’en servir. Les chefs eux acquerraient
un savoir tactique et opératif nécessaire à la manœuvre d’ensemble grâce à des
exercices réalistes. Grâce à la technologie, on acquiert 20% de supériorité sur
l’ennemi, grâce à l’entrainement c’est 100% de supériorité.
Une manœuvre de projection autonome d’un corps de bataille à
même d’intervenir au profit de nos partenaires européens ou au Moyen-Orient
permettrait à l’Armée de Terre de disposer d’un outil stratégique capable de
peser dans les décisions politiques.
Commentaires
Enregistrer un commentaire