Réflexion sur la technologie nécessaire

 


Six millions d’euros pour ne même pas tirer un coup de canon, voilà le constat amer des Ukrainiens suite à la première intervention des Léopard 2 A6 sur le champ de bataille. La grande réponse des écoles d’application de l’OTAN fut d’expliquer que l’engin avait été employé dans un cas non conforme. Cependant, on peut se demander si la notion de « cas conforme » est pertinente sur un champ de bataille où, par définition, il faut être prêt à toute éventualité, quelques soient les matériels à disposition. La guerre ne se déroule pas toujours selon le plan défini d’avance par l’un ou l’autre des belligérants ou les « cas conformes » envisagés par ces derniers.


Lors de la terrible défaite française de 1940, des chars ont du être engagés dans des cas dits non conformes. Les chars Somua manquaient d’obus explosifs et n’ont pas pu combattre l’infanterie ennemie. D’autre part, les chars légers R , H et FCM n’avaient pas un armement antichar adapté et manquaient d’obus de rupture. Dans la doctrine, c’est le canon de 25mm tracté qui devait « prendre en caponnière » les chars allemands. Les équipages de char ont donc dû se jeter dans la bataille avec les mauvais armements et la mauvaise doctrine.


Aujourd’hui, les chars, en occident, se focalisent sur la fonction antichar et le meilleur à ce jeu est le char Leclerc qui allie toutes les qualités. Vitesse, protection armement système de vision et de communication, chargement automatique font du Leclerc un redoutable prédateur sur le champ de bataille.


Sauf que les guerres récentes en Ukraine, au Haut Karabagh et au Moyen Orient ont montré que les chars n’étaient plus utilisés pour le combat antichar mais le plus souvent en arme d’appui. Le point particulier étant que le char a su garder sa place dans le combat justement grâce à la polyvalence de son armement.


Autre leçon de la haute intensité : les armes modernes détruisent avec une précision et des portées jamais vus. Il est impossible de se soustraire à l’attaque une fois que l’on est repéré. Selon cette logique, la durée de vie d’un matériel sur le champ de bataille est de plus en plus réduite. En conséquence, la capacité de réparer et de renouveler les véhicules est essentielle en haute intensité.

Cela est toujours le cas dans un combat de haute intensité symétrique. Pour donner une image de l’effort à consentir, je rappelle que, selon les derniers chiffres disponibles en source ouverte, les Russes ont produit 120 000 chars pendant la seconde guerre mondiale et en ont perdu 91 000.

Disposer de machines high tech très chères avec de multiples spécifications au vu de la dangerosité du champ de bataille ne garantit pas ni la survie, ni la victoire. L’histoire militaire fournit des exemples : lors de la Deuxième guerre mondiale, jamais les Allemands n’ont pu retourner la situation malgré l’arrivée des chars Tigre, Panthère ou autre Me 262.

C’est la capacité à se régénérer qui compte le plus. On le voit aujourd’hui en Ukraine : les Russes disposent d’une industrie de production qui leur permet de remplacer les pertes. Le fait d’avoir des machines outils avec des ouvriers qualifiés est une plus-value pour les Russes. Second avantage, toute les chaînes de production étaient en activité avant la guerre, ce qui leur a permis une grande réactivité.


Quelles leçons en tirer.


La première leçon est qu’il faut produire des machines beaucoup plus rapidement que par le passé. Pour cela, il faut éviter les sur-spécifications qui compliquent la mise en service des nouveaux équipements. En second, il faut redéfinir où doit se trouver la technologie. Par exemple, dans le domaine des blindés, la nécessité de disposer d’un engin intégrant de multiples complexités ne facilite pas la production rapide en grande série. L’AMX 30 était produit au maximum à 20 chars par mois là où le Leclerc ne dépasse pas le 2 ou 3 engins par mois. Une telle cadence de production est incompatible avec le niveau de pertes qui pourrait être atteint en zone de combat.


Pour que la production en soit plus simple, il faut qu’un char ait moins de spécifications et que l’on se contente d’aller à l’essentiel. Il faut abandonner une complexification sur certains segments mais savoir garder une modernité sur des segments particuliers.


Prenons l’exemple des hélicoptères d’attaque.

Aujourd’hui, les hélicoptères d’attaque sont équipés d’un blindage et de protections actives pour se protéger des missiles sol air et autres tirs du sol. Mais les combats en Ukraine (en Irak aussi d’ailleurs) ont montré la fragilité des machines face aux tirs venus du sol. Les hélicoptères privilégient aujourd’hui beaucoup plus le tir long distance. La question est alors celle de l’utilité du blindage et de la protection active à longue distance quand, doctrinalement, l’hélicoptère ne s’expose plus.

On peut imaginer alors un hélicoptère plus léger porteur d’une arme longue portée et d’un optique performant permettant de traiter des cibles à longues distances.

Pour exemple, un Gazelle doté d’une caméra thermique peut repérer une cible à 15km. S’il disposait d’un missile ayant cette portée , il pourrait neutraliser en toute sécurité ses cibles sans risques d’être menacé.

La plus-value technologique serait alors non pas sur le porteur, mais sur le capteur et le missile.


Cette thèse est aussi applicable pour des avions de combat. Les avions de chasse opèrent dans un système collaboratif avec les avions de veille aérienne ou des stations radar au sol qui indiquent à l’avion la cible à détruire sans qu’il n’est même besoin d’allumer son radar. Il est même possible que le missile tiré du chasseur soit directement en liaison avec les autres systèmes et que ceux-ci le guident vers sa cible. Se faisant, le chasseur lui, n’a donc plus besoin d’être très performant car il est juste un porteur d’arme.

Cette réflexion permet d’imaginer une autre armée moins coûteuse qui permettrait à la fois d’augmenter le volume et le niveau technologique.

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