A quoi va ressembler ce char de combat de contact ?
Naturellement il va jouer sur les trois fondamentaux du char que sont la
protection, la mobilité et la puissance de feu. Mais, il devra s’appuyer aussi
sur la communication et la production.
On peut pratiquement tout produire aujourd’hui. La
technologie informatique et les progrès technologiques donnent la capacité de
construire des machines d’une complexité sans égal par rapport à celle du passé.
Mais je trouve que paradoxalement, faire simple est ce qui semble le plus
difficile aujourd’hui.
La technologisation de l’esprit des hommes d’aujourd’hui
rend plus complexe la réalisation de choses simples et pratiques. Les armes
font partie des « objets » que l’on doit absolument rendre plus
complexes sous peine de ne pas être modernes. Le paradoxe est que souvent, ce
sont les équipements les plus simples qui sont les plus appréciés. On peut
parler de la kalachnikov ou du T55, mais aussi du M109, du M113 ou du B52
(maintes fois modernisé). Au départ, leur longévité est en partie due à une
bonne base technique, une fiabilité éprouvée et rassurante et une rusticité
bien souvent salvatrice.
Bien des engins plus complexes sont apparus et ont disparu
des arsenaux mondiaux (F104, BF50, char S etc...). La longévité n’est pas un
gage d’efficacité mais est le signe d’une certaine confiance en ces équipements
pour faire le job. De plus, pour expliquer cette longévité, il faut aussi
prendre en compte le grand nombre d’équipements produits.
Que retenir de cette situation ? L’important est, à mes
yeux, de pouvoir produire rapidement et avec des moyens existants, un grand
nombre de véhicules. Pour cela, il faut simplifier le degré de complexité
inhérent à la conception, l’élaboration et la production d’un engin. Une technique
novatrice est appelée le double virtuel. Grâce à une base de données communes
dans un espace numérique, tous les interlocuteurs du programme peuvent
intégrer, en temps réel, les éléments à l’équipement. A un certain degré, la
quantité de données déjà existantes lors de précédentes expérimentations permet même de tester l’engin avant que le
premier prototype soit produit.
Le choix de matériaux et de composants facile à produire
doit garantir une autonomie de production. Le contre-exemple a été la
difficulté des Russes à trouver des composants électroniques pour leurs
armes, la première année de la guerre en
Ukraine. Le monopole de la Chine sur les terres rares pose actuellement un vrai
problème stratégique en cela pour
l’occident.
Le progrès de la productique, en particulier celui lié à
l’amélioration de la cadence par automatisation, mais aussi par l’utilisation
d’imprimantes 3D, a ouvert le champ vers de grandes productions d’équipements à
des coûts maîtrisés. Faut-il encore que la recherche en technologie et en développement
ne « plombent » pas le budget.
Le choix de la haute technologie est-il toujours le
bon ? Des armes complexes, même performantes ou fiables, peuvent être
difficiles à soutenir dans le temps long. La nécessité d’effectuer des périodes
d’entretien complique la mise en œuvre des équipements, particulièrement sur un
théâtre ou l’équilibre des forces engendrent des frappes dans la profondeur du
champ opérationnel. C’est alors que la rusticité donne l’avantage aux engins les
plus simples. Cela est encore plus vrai dans le temps long.
Imaginons-nous maintenant en 2030. Deux armées s’affrontent.
L’une est dotée d’armements complexes mais très performants venus du monde
occidental tandis que l’autre a à sa disposition des armements plus rustiques
mais fiables à dominante orientale.
Dans le premier temps du combat, il est fort probable que la
supériorité technologique donne un avantage initial aux armements occidentaux.
En effet, les capacités supérieures donnent l’avantage et provoquent de lourdes
pertes chez l’ennemi. Mais, si celui-ci a des pertes, il arrive aussi à
infliger des coups qui, quoique moins nombreux, sont plus remarquables.
En effet, la haute technologie limite la production
quantitative en raison du temps, des matériaux, des technologies, et des compétences nécessaires pour une
production de masse. La difficulté à trouver des ouvriers qualifiés a été une
des raisons de l’échec du lancement de la
production de guerre avant 1940.
Les équipements étant plus rares, chaque fois que l’un
d’entre eux est détruit, la capacité globale est réduite. En plus, les
équipements détruits sont plus complexes à remplacer. Il se passe alors un
phénomène de dé-mécanisation de l’armée. Cela a déjà été observé dans l’armée
allemande sur le front soviétique entre fin 1941 et 1945. Les pertes de l’armée
allemande entre juin et décembre 1941 et surtout, l’incapacité de les combler
va appauvrir la capacité offensive globale de l’armée. Celle-ci fait alors le
choix de concentrer ses efforts sur quelques divisions blindées. Le restant ne
recevant pas la totalité de ses besoins, il représentera une faiblesse que les
Soviétiques vont exploiter à partir de 1943 et jusqu’à la fin de la guerre.
Soit dit en passant, il semble actuellement se passer la
même chose dans la guerre en Ukraine, ce qui me fait douter de la capacité des
Ukrainiens à faire basculer la situation en leur faveur.
Donc, après un début victorieux, si le combat vient à durer
pour une raison quelconque, c’est la capacité industrielle qui va faire la
différence. L’armée de type occidental va devoir ralentir le rythme de ses
opérations et ses pertes vont devenir croissantes. Ceci créera un deuxième
facteur de complexité qui est celui du renouvellement de la troupe.
En effet, morts ou blessés, les soldats professionnels
doivent être remplacés. Ils le sont, dans un premier temps, par des réservistes
plus ou moins expérimentés. Mais ceux-ci ne vont déjà plus faire fonctionner
les armements complexes de la même manière. Le degré de sophistication impose
des heures d’entraînement dont les professionnels bénéficiaient, mais pas les
réservistes. Et cela va aller en s’empirant quand ce sera au tour des
réservistes d’être remplacés par des soldats mobilisés avec peu ou pas de
connaissances militaires.
Disposer d’un service militaire plus ou moins long garantit
de disposer d’un vivier de combattants ayant une connaissance minimale des
équipements et de leurs services. Si de plus, ces équipements sont faciles
d’emploi, on pourra consacrer plus de temps à la tactique qu’à la technique.
Comme le prouvent les conflits
israélo-arabes, c’est la qualité des hommes qui fait la différence (les
équipages israéliens servant des M4 M51 en 105 mm --une version ultime du M4 Sherman de la
seconde guerre mondiale-- tenaient à distance les M48 et autres T62 arabes
grâce à leurs qualités tactiques).
Au final, si la guerre n’est pas gagnée au plus vite pour
l’armée occidentale, dans un conflit prolongé, elle sera vaincue. A l’exemple
de l’armée allemande sur le front soviétique, des Etats-Unis au Viet Nam, la
guerre longue finit toujours par une défaite occidentale.
Pour changer cela, il faut, même en temps de paix, mettre en
place les équipements simple d’emploi et facile à produire par une industrie
performante. Mais il faut aussi imaginer des stocks de matière première, identifier
les usines ayant des capacités duales et les personnels qualifiés apte à servir
les machines de production. Plus cela est pris en compte, plus on limite le
risque de rupture stratégique.
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