la 3e ligne

 

LA 3e LIGNE

La réflexion stratégique produite par notre pouvoir politique mène à une erreur stratégique qui nous égare dans des doctrines incohérentes qui ne produisent aucun résultat. Comme je l’ai déjà expliqué, mettre la dissuasion, la « souveraineté européenne » et l’OTAN dans le même concept est une erreur.

La dissuasion est un concept basé sur la souveraineté nationale (la seule réellement existante) (1). En effet, le président élu au suffrage universel direct c’est-à-dire par le peuple met en œuvre les armes qui assurent la survie (ou la mort) de la France. La légitimité de l’emploi des armes nucléaires vient de ce suffrage direct qui crédibilise le droit du président de la république à utiliser ces armes (2). C’est pour cela que ces armes ne servent qu’à protéger uniquement les intérêts vitaux nationaux.

La souveraineté européenne n’existe pas, car il n’y a pas ni de nation européenne ni un vote au suffrage universel direct pour élire un représentant ayant le monopole de l’emploi de l’arme nucléaire pour l’Europe. Cette invocation n’est que purement théorique et politique. Mais dans la bouche du chef de l’état, elle sous-entend que l’on pourrait risquer la survie de la France pour la protection d’un état tiers autre que le nôtre. Cela est juste une contradiction totale avec le concept de dissuasion.

Quant à l’OTAN, cet organisme fait des peuples de ses pays membres politiquement et militairement des tributaires de décisions supra nationales, ce qui, là encore, est contraire au concept de la dissuasion qui impose une autonomie décisionnelle et de l’indépendance économique, politique, diplomatique et militaire la plus poussée.

L’incohérence est donc de mise dans une vision stratégique, principalement par le manque de connaissance et une volonté plus politique de mettre des concepts complètement différents dans un même ensemble. Cela s’inscrit dans une volonté non délibérée d’effacement national par manque de confiance dans notre pays et de payer la facture de défense la plus basse.

Paradoxalement, la France se trouve physiquement, pour la première fois de son histoire, bien loin de menaces qui pourraient mettre en danger sa survie. En effet, la fin de la Guerre froide et la chute du Mur de Berlin a éloigné de notre territoire les menaces directes.

En réalité, nous sommes en 3e ligne de défense alors que devant nous, d’autres états ou espaces géographiques doivent être traversés par un éventuel ennemi avant d’arriver à nos frontières. Cela change complètement la donne pour nos forces armées. La France doit, en effet, faire un effort de projection de puissance avant de pouvoir agir sur un quelconque adversaire. Cette contrainte est vraie pour nous, mais aussi pour ce potentiel ennemi.

Il lui faut pouvoir traverser des espaces fluides (aériens, maritimes, spatial, cyber, informationnels) avant de pouvoir nous toucher. Il est donc nécessaire pour nous de pouvoir maîtriser ces milieux pour nous défendre mais aussi pour pouvoir frapper nos adversaires de la meilleure façon qui soit.

La France et ses chefs militaires moins adeptes des grandes théories ont, pour leur part, adhéré à un concept stratégique davantage au niveau des menaces qui nous concernent et de nos capacités. La France garde une dissuasion suffisamment crédible pour rester un acteur particulier sur la scène internationale. Elle met en œuvre une politique qui cherche à crédibiliser un outil de défense conventionnel apte à mener un conflit dans des milieux fluides et solides, et ce avec un minimum de crédibilité.

Mais le conflit ukrainien rebat les cartes d’un monde changeant. Nos compétiteurs nous menacent avec de nouvelles technologies (informationnelles, cyber, balistiques) et nous menacent sur nos zones d’influences. S’appuyant sur nos faiblesses doctrinales, politiques et diplomatiques, nos concurrents nous évincent de nos zones d’influence traditionnelle.

Leurs capacités économiques, démographiques et culturelles nous font chuter des podiums des grandes puissances. Grâce à la mondialisation, ces puissances ont pu faire basculer le rapport de force à leur avantage.

Si ces pays ont bien pris en compte cette situation, la France vit toujours dans une idéologie libre- échangiste ne voulant pas voir les dangers qui s’amoncellent devant nous. Elle est aujourd’hui dans une position de déclin voulu et initié par le pouvoir politique comme quelque chose de normal et logique. On ne croit pas à un sursaut possible et seuls, pour une partie des hommes politiques, l’Union Européenne et la mondialisation sont des solutions.

L’histoire nous apprend pourtant que la mondialisation n’est un gage de sécurité. Fin du XIXème-début du XXème siècle, des libéraux pensaient d’ailleurs que l’économie et l’interdépendance des états étaient des gages de paix (3). On sait tous ce qu’il en adviendra… Quant à l’union, là encore, l’histoire nous montre des états puissants comme l’Autriche-Hongrie ou l’empire Ottoman ont explosé suite à des conflits d’intérêts contradictoires. La volonté des peuples est plus forte que celles de ses élites.

Il est donc nécessaire pour la France, tout en continuant de partager avec des partenaires, de définir une stratégie cohérente en phase avec la réalité de notre monde.

Il faut d’abord s’atteler à la défense du territoire national et des zones économiques exclusives, en second, à la stabilité dans l’espace proche et la sphère d’influence traditionnelle. Telles sont les garanties des ressources nécessaires à notre autonomie économique, diplomatique et politique.

Pour y parvenir, il y a actuellement un effort à mener dans le domaine de la domination des espaces fluides plus que dans celui de la domination de l’espace solide. Nous devons contrôler nos espaces et nous protéger des menaces avant même d’être capables d’attaquer. C’est dans la maîtrise des milieux fluides que se dessine une éventuelle victoire future.

La France a l’avantage de disposer de plus de profondeur stratégique que d’autres pays. Cela peut aussi entraîner une modification de nos armées en vue d’un type de conflit nouveau où il sera moins important d’occuper une crête ou une ville que de pouvoir convaincre que l’inutilité de la lutte.

Apte à ce combat, la France pourra de nouveau jouer un rôle dans le concert international et faire entendre sa voix partout où ses intérêts le porteront.

(1) https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/souverainet%C3%A9/74000

(2) https://revue-pouvoirs.fr/La-dissuasion-nucleaire-et-le/

(3) https://www.cairn.info/revue-politique-etrangere-2014-1-page-55.htm



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