Le champ de bataille moderne est devenu extraordinairement
compliqué pour les chars de combats. En effet, jamais il n’y a eu autant de
systèmes d’attaque antichars en service. Que ce soit les roquettes courte
portée, les mines, les missiles, les obus, les bombes, toutes ces armes ont
aujourd’hui des degrés de précision et d’efficacité rarement atteints.
Employées selon les doctrines les plus savantes pour optimiser leurs effets,
ses armes rendent impossible la survie d’un char sur un champ de bataille
moderne.
Pour beaucoup d’experts, l’Ukraine sonne le glas du char de
bataille moderne. L’impossibilité de percer les défenses de plus en plus
complexes et les frappes des regroupements dans la profondeur ne permettent
plus d’apporter les effets de masse blindés, c’est-à-dire la concentration des
efforts, de la surprise, de la vitesse
et de la brutalité engendrant la percée et l’exploitation.
Pourtant, le char va peut-être connaître un renouveau avec
l’arrivée de nouvelles machines. La première d’entre elles est le char T14.
Véritable petite révolution dans le monde des blindés, ce char fait partie du
programme Armata comprenant pour l’instant un char, un VCI lourd, un char de
dépannage, puis plus tard un canon automoteur et certainement un véhicule de
génie.
Beaucoup de choses ont été déjà été écrites sur le T14. Je
rappelle les grandes lignes. Il s’agit d’un char à tourelle télé opérée, qui a
donc la particularité d’avoir l’équipage dans une cellule à l’avant du châssis.
Il est armé d’un canon de 125mm 2A82 plus long et plus performant que les
précédents modèles de canon, car celui-ci dispose d’une chambre plus longue
permettant d’introduire des munitions plus puissantes. Il dispose d’une
mitrailleuse 12,7mm montée en parallèle du viseur panoramique du chef.
Le pilote dispose de moyens d’observation optiques, mais
aussi d’un système vidéo qui lui permet d’observer devant le char. Il a aussi à
sa disposition une caméra de recul. Pour la première fois sur un char russe, la
direction est robotisée rendant le pilotage confortable. L’espace de l’équipage
permet à celui-ci de vivre correctement dans la cellule.
La vraie particularité du char repose sur son système de
détection et de protection. Ce dernier dispose de multiples couches intégrant
des APS hard et soft kill, du blindage réactif et passif. Les forces du système
sont les radars et les optiques d’alerte et de détection montés tout autour de
la tourelle. Ceux-ci permettent de détecter les systèmes agresseurs comme les
missiles et les obus, mais il pourrait
permettre la détection des véhicules ennemis, leurs télémétries et leur
poursuite en mouvements. Couplé aux moyens de visée optique vidéo, le système
peut se passer d’un opérateur pour
effectuer la détection et la visée. Ainsi équipé, le char peut se
robotiser en déportant l’équipage à distance. Ce mode est particulièrement
utile dans les zones dangereuses.
Autre avantage de la tourelle télé opérée, c’est sa
légèreté. Ne nécessitant pas le même niveau de protection que lorsque
l’équipage était à son bord, la tourelle ne porte que les éléments nécessaires
à son fonctionnement, ce qui lui permet d’être plus rapide en rotation.
J’ouvre ici une parenthèse sur la masse du char. Un débat
est toujours en cours en occident sur la masse réelle de l’engin. En effet, la
présence de 7 galets et d’un moteur très puissant oscillant entre 1200 et
2000ch laisse à penser que le char pèse aux environs de 57 tonnes. Sauf que ces
deux arguments ne sont pas probants. En effet, d’autres véhicules bien plus
légers ont aussi 7 galets, comme le VCI
CV90 ou l’ASCOD. La raison principale est le confort de conduite et la
baisse de la pression au sol permettant de passer sur des sols mous ou neigeux.
En Russie, comme dans un certain nombre de pays environnant, les sols sont
gras, voire marécageux. Au nord, la
toundra et la neige limitent le déplacement des forces si celles-ci ne se sont
pas adaptées à l’environnement.
La motorisation élevée est justifiée par la polyvalence de
la plateforme. Les Russes avaient déjà eu des difficultés à intégrer la
tourelle d’artillerie du 2S19, obligeant les concepteurs à fabriquer un châssis
particulier ayant comme base le T72. Avec la sur-motorisation, la plateforme
peut intégrer n’importe quel équipement plus facilement. De plus, le besoin en
énergie de la tourelle du T14 équipée des radars et autre systèmes de
protection active est extrêmement important. Disposer d’un moteur puissant
permet de fournir ce besoin.
Le dernier point porte sur le rapport entre la masse de la
tourelle et celle du châssis. Ce rapport est de 1 pour 2 dans la majorité des
chars. Les 18 tonnes de la tourelle Leclerc donne 36 tonnes pour le châssis et
donc 54 tonnes en tout. La tourelle du T14 est beaucoup plus légère car elle ne
dispose ni de gros blocs de protection, ni de nuque de tourelle importante. La
masse de celle-ci ne paraît pas dépasser les 15/16 tonnes au maximum (pour moi,
elle doit même être en dessous de 13 tonnes). Ce qui fait en théorie un engin
de 45/ 48 tonnes, ce qui est plus conforme aux engins russes et à leurs
infrastructures.
Comment l’engin va bouleverser le combat.
Si toutes les options du char fonctionnent correctement, le
char pourrait réellement changer la donne. En effet, la machine commencera par
être plus furtive que les engins précédents. Le montage de « cape
d’invisibilité » thermique et radar couplé aux formes et aux matériaux
furtifs du véhicule rendent le véhicule beaucoup plus difficile à repérer. Il
est possible d’imaginer un retour de la manœuvre par une action basée sur la
surprise. Grâce à une mise en place discrète, le char pourrait effectuer une
infiltration en solo ou en binôme vers la ligne de contact. Il pourrait ensuite
se concentrer pour l’action en vue de réaliser une percée, puis une
exploitation. La vitesse du véhicule peut alors faire accélérer le rythme de la
manœuvre et bousculer l’ennemi. Cette capacité réduit aussi le risque d’une
attaque en profondeur de systèmes d’artillerie de la part de l’adversaire.
Sur la ligne de contact, le véhicule va se faire attaquer
par les missiles et autres roquettes guidés ou non. Le véhicule peut éliminer
ces menaces grâce aux systèmes soft et hard kill montés sur le véhicule. Les
écrans de fumigènes rapides masquent le véhicule au missile frappant par le
toit. La cape d’invisibilité et la furtivité des matériaux rendent complexe la
détection des têtes chercheuses, des missiles ou de mines. La vitesse élevée de
la tourelle permet une attaque efficace des missiles et des obus en mode hard
killer.
Difficile à voir et à détruire, le char est cependant
toujours soumis au risque des mines. Mais là encore, il semble que les Russes
aient monté un dispositif électromagnétique déclenchant les mines magnétiques à
distance. De plus, le pilote, grâce à ses optiques vidéo (dont une caméra
thermique) pourrait détecter les mines posées au sol. Pour l’instant, les
capacités anti-drone aérien ne sont pas connues. Il est possible que les radars
d’alerte puissent détecter cette menace, mais il n’y a rien de connu là-dessus.
La capacité d’agression du char est, en théorie, aussi
renforcée. Le canon peut tirer des missiles à 12km. Il peut, comme tous les
chars russes, effectuer des tirs indirects comme une pièce d’artillerie. Pour
l’instant, on ne connaît pas la portée dans ce mode d’action. Couplant capteur
et armement, le char peut agresser rapidement tout objectif qui viendrait à
apparaître. Il pourrait rapidement, par exemple, ouvrir le feu sur un poste de
tir missile ou le char qui viendrait à le prendre à partie.
De plus, le véhicule pourrait être commandé à distance. Dans
une phase de combat dans une zone extrêmement dangereuse, l’équipage pourrait
commander à distance dans un autre véhicule. L’intérêt est aussi
psychologique : l’équipage se permettrait des actions bien plus
audacieuses en ce sachant en sécurité loin de la zone de risque.
Le T14 doit, en théorie, travailler en réseau avec les
autres véhicules de l’unité. La numérisation du champ de bataille et la liaison
courte distance entre véhicules du peloton ou du détachement doit optimiser
l’action collective. Le renseignement et les menaces pourraient être partagés
par les systèmes et répondre de manière collective. Améliorant la coordination,
la NEB optimiserait l’action offensive ou défensive.
La coopération interarmes avec le VCI lourd T15, par
exemple, doit permettre une interaction redoutable en zone complexe (urbaine,
boisée, montagneuse). Réagissant par automatisation des défenses, les
concepteurs ont imaginé la création d’une bulle collective optimisant la
protection des engins du détachement par une interaction collective. Le
véhicule qui détecte n’est pas forcément le véhicule visé mais il peut alerter
le véhicule ciblé ou optimiser l’action hard killer d’un autre véhicule plus à
même de neutraliser la menace. Pour cela, il est nécessaire de disposer d’une
intelligence artificielle permettant de gérer extrêmement rapidement la prise
en compte de la menace.
Reste à savoir si le char T14 va effectivement entrer en
service actif ou s’il va être une vitrine technologique dans laquelle d’autres
engins plus simples et plus rustiques vont puiser des briques technologiques.
La difficulté liée à la production du moteur (un 12 cylindre en X), l’embargo
sur les composants électroniques plus un coût trop élevé va peut-être mettre
fin au programme.
L’histoire du char ressemble à celui du T64. En effet, ce
char était aussi une vitrine technologique avec un nouvel armement et un
nouveau blindage. Mais à sa sortie, son moteur et son système de chargement
rencontrera quelques difficultés. Lui aussi était handicapé par un coût trop
élevé. La réponse fut, en 1971,
l’arrivée du T72. Celui-ci dispose d’un chargement plus simple, d’un moteur
dérivé du T62 (c’est-à-dire une version remise à jour du moteur du T34 !),
mais aussi d’un blindage plus facile à produire. Moins cher que le T64, le T72
deviendra le char standard de l’armée du pacte de Varsovie et d’un grand
nombres de pays alliés.
Le T14 pourrait connaître le même destin, avec un concurrent plus simple et moins cher. Celui-ci viendrait donner au corps de blindés russe le volume nécessaire mais à un coût maîtrisé et sans dépendance aux composants étrangers.
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