Que dire de la dernière « prestation » des Russes
à Vulhedar ? Des colonnes de chars et de VCI repérables de loin sur un
terrain plat se font détruire par l’artillerie ukrainienne. De nombreux experts
ont défendu l’idée que cela ne pourrait arriver à des troupes françaises.
Malheureusement, quelques années d’expérience me permettent de douter du
bien-fondé du propos.
La réalité est qu’il est aujourd’hui difficile de de se
retrouver sur un champ de bataille en étant certains que tout se passera comme
prévu. Les organisations militaires en Europe se sont beaucoup entraînées en
virtuel, mais rarement en réalité, contre un adversaire de même niveau. Les
postes de commandement, les convois logistiques, le déplacement de troupes se
sont toujours réalisés sans menace directe d’un adversaire disposant de feu
dans la profondeur. De plus, la troupe a pris ses habitudes, souvent
mauvaises, de sécurisation. Les contraintes techniques dues au déplacement
d’une importante force cumulées à une menace aérienne ou artillerie font qu’il
est impossible d’assurer la sécurisation totale des troupes.
La présence en première ligne de champs de mines,
d’obstacles divers, de tranchées, est une redécouverte. La pression exercée par
la menace des mini-drones est un nouveau facteur de stress pour le combattant.
Pour les chars, l’utilisation de missiles tir et oubli type Javelin ou de
missiles frappant le toit des véhicules complique la mission au contact de
l’ennemi.
L’utilisation de
drones bouleverse la sécurisation du champ de bataille. Auparavant, la zone
arrière était une zone de repos et de sûreté minimale. Il y avait bien un
risque aérien, mais une défense sol-air sérieuse limitait les risques.
Aujourd’hui, il n’y a plus de zone sûre. Tout est zone de combat. L’artillerie
est passée des 20 km d’effet à 40km pour les canons et à plus de 300 km pour
les roquettes. Tout cela est guidé par satellite, par la guerre électronique et
les drones. La question n’est pas de savoir si l’on va être touché mais quand.
Le cas de l’artillerie est le plus préoccupant. En effet,
les pièces modernes ont deux caractéristiques en plus de leur précision.
La première est leur très longue portée et la seconde est leur très grande
mobilité. Les tirs n’ont pas encore touché leur cible que les véhicules ont
déjà quitté leurs positions. La contre-batterie organisée aujourd’hui est, pour
l’instant, incapable de répondre à cette menace. Il faudrait, dès le départ du
premier coup, repérer la position de tir et répondre instantanément avant que
le véhicule ne quitte sa position. Sachant qu’il faut également prendre en
compte le temps de vol des munitions de contre-batterie, il faudrait une
réaction instantanée…
Les obus utilisés sont plus précis. L’obus BONUS détruit
deux chars, même mobiles, en une fois. Les obus guidage laser ou GPS rendent la
prise de position fixe dangereuse. Il n’y a plus ni masque ni abri qui ne soit
exposé.
Ce qui n’est pas détruit par l’artillerie est maintenant
détruit par les drones. Lançant des bombes ou des grenades, ces machines
altèrent la vie des soldats qui ont souvent du mal à les repérer avant attaque.
Les drones plus lourds, comme le TB2, attaquent dans la profondeur immédiate du
champ de bataille. Ils renseignent et frappent des cibles non protégées. Les
moyens de détection montés à leur bord repèrent des cibles à plusieurs
kilomètres.
Les moyens de renseignement sont devenus tellement nombreux
et divers qu’il est impossible de masquer complètement une manœuvre. Pourtant,
comme c’est arrivé près de Kharkiv, l’erreur humaine ou l’incompétence de
l’adversaire peut créer les conditions du succès. A la guerre, les erreurs se
payent cash et peuvent avoir des conséquences catastrophiques.
Une concentration de moyens accumulés à un endroit, comme
sur la vidéo montrant la destruction de véhicules russes, est suicidaire. Cela
pose la question même de l’organisation des troupes et de leur montée au front.
Au vue de ces nouveaux facteurs, il s’agit de redéfinir comment monter au
front, comment avancer dans les défenses, comment exploiter, comment
ravitailler la progression et comment la diriger.
La vitesse, surprise,
brutalité
Imiter son adversaire est souvent une chose à faire pour
gagner une guerre. Les djihadistes utilisent des méthodes pour limiter les effets de la puissance de
feu des armées occidentales. Cette tactique s’appelle le «swarming ». Elle
consiste à s’éparpiller sur une grande surface, puis se concentrer soudainement
sur un point pour une action surprise rapide et très brutale. En général, les
djihadistes emploient, pour « ouvrir la porte », un véhicule suicide
chargé d’explosifs pour provoquer le désordre.
Pour les forces françaises, savoir s’éparpiller et de se
camoufler est à réapprendre. Le déplacement dans plusieurs directions, de
manière aléatoire, complexifie la perception de la menace par l’adversaire.
Cela doit être favorisé par la NEB. Des moyens de renseignement doivent
identifier un point d’attaque favorable où l’ennemi peut être rapidement
défait.
Une fois le point
transmis, il faut choisir les moyens à engager et le moment de l’action.
Ensuite, il faut agir avec rapidité, c’est impératif : les véhicules
doivent arriver à l’endroit de l’action au fur et à mesure en vue de produire
son effet sur l’ennemi ou sur le terrain. La surprise étant maximale, l’ennemi
n’a pas le temps de réagir et subi l’action.
Les drones
renseignent sur l’ennemi avant et en court d’action. Pour l’attaque d’une
position très bien défendue, il est intéressant d’utiliser un appui aérien. Une
bombe guidée peut assommer l’ennemi au départ de l’action entraînant sa
fragilisation. Il faut aussi neutraliser les drones et les moyens de
communication utilisé par l’ennemi.
Puis l’action dynamique de l’artillerie, des blindés et de
l’infanterie pénètrent la défense et crée le chaos. Désorganiser, désemparer,
le front est percé. D’autre unités arrivent alors et exploitent immédiatement
la faille.
Une fois la ligne traversée, il s’agit d’aller très vite. Il
ne faut pas laisser le temps à l’adversaire de se ressaisir, mais au contraire,
conquérir et pourchasser l’ennemi le plus loin possible.
Les moyens de commandement et la compétence des personnels
sont indispensables pour réussir une telle opération exigeant énormément de
coordination. Pour de telles opérations, la formation, l’entraînement virtuel
et réel sont nécessaires. Les systèmes de commandement comme le SICS sont une
aide, mais il faudra lui adjoindre, dans un avenir très proche, l’intelligence
artificielle.
L’idéal est d’attaquer les positions les moins bien
préparées de l’ennemi ou de l’attaquer lorsqu’il est en déséquilibre,
c’est-à-dire en contre-attaque. La recherche de renseignement, le traitement de
l’information et la vitesse de distribution de celle-ci aux échelons concernés
sont essentiels pour une préparation des ordres puis leur exécution rapide.
Dans ce domaine, l’intégration dans un réseau commun prenant
en compte l’interarmes, le cyber, l’espace permettra d’optimiser les faibles
moyens à notre disposition. On peut
imaginer un radar naval détectant un aéronef qui sera détruit par la
coordination entre la défense sol-air basse altitude de l’armée de terre et un
avion Rafale. Il y a beaucoup d’autres solutions de coopération possible comme
le tir d’une LRM placé sur le pont d’un navire, sur un objectif ciblé par un
avion ou un satellite.
Une telle intégration n’est pas seulement un gadget, mais,
bien au contraire, essentielle pour pénétrer des défenses de plus en plus
complexes.
#etudetactique #guerre
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