Le discours politique est semble-t-il souvent écrit par des
communicants qui ne cherchent qu’à trouver les mots qui parlent aux élites
comme au peuple. Si cet exercice fait partie de la vie politique, il engendre
malheureusement quelque fois des incohérences qui, dans le domaine de la
défense, suscitent de l’incompréhension par rapport à la vraie politique menée.
Ainsi, les hommes politiques peuvent perdre la cohérence de
la doctrine stratégique. Mêlant conformité politique, vision diplomatique et
socio-culturelle, le discours politique sur la vision stratégique s’est
transformé en plaidoyer d’un monde occidental libéral loin de la cohérence du
concept initial.
Ce discours reprend trois éléments contradictoires. Le
premier est la dissuasion nucléaire
nationale, établi à partir de 1960 par le Général de Gaulle, doctrine qui régit
nos forces. Elle se caractérise par la notion de défense de notre territoire
national ou de ses intérêts vitaux. Pour assurer sa crédibilité, elle impose une
indépendance des gens qui doivent la mettre en œuvre, mais aussi des
technologies qu’elles impliquent.
Elle oblige aussi à disposer d’une
armée conventionnelle qui doit protéger ses forces nucléaires, assurer la
défense contre toutes les menaces intermédiaires qui ne nécessitent pas le feu
nucléaire, et soutenir nos alliés. Le choix de la dissuasion entraîne aussi
pour la nation la réduction de l’effort militaire. Il n’est pas nécessaire, en
effet, pour assurer notre sécurité, de disposer de milliers de chars, de canons
ou d’avions. C’est pour cela que nous pouvons nous permettre d’avoir une petite
armée conventionnelle.
La particularité de la dissuasion, c’est qu’elle ne
fonctionne que pour la protection du territoire national. En effet, définir une
protection plus vaste à allouer à nos partenaires peut avoir de graves
conséquences stratégiques. Déclencher des feux nucléaires pour protéger un de
nos alliés serait pendre le risque d’une frappe vengeresse de l’ennemi
entraînant la possible destruction d’une ou plusieurs villes de notre pays.
C’est tout simplement inimaginable.
Et c’est là que vient se superposer le deuxième
concept : la souveraineté européenne. La définition de la souveraineté
selon le Larousse est : « Pouvoir suprême reconnu à l'État, qui
implique l'exclusivité de sa compétence sur le territoire national
(souveraineté interne) et son indépendance absolue dans l'ordre international
où il n'est limité que par ses propres engagements (souveraineté
externe) ».
Selon cette définition, il faudrait reconnaître la
souveraineté européenne comme « supérieure » à la souveraineté
nationale. Cela pourrait donc rendre intellectuellement tolérable la perte
d’une ville de notre pays. Mais le problème prioritaire pour cette souveraineté
européenne est la taille de notre armée.
En effet, si notre armée est calibrée pour notre dissuasion
nationale, elle n’est pas calibrée pour une dissuasion européenne. Il nous
faudrait constituer une armée conventionnelle bien plus importante. Notre armée
est un « fusil a un coup » à la capacité limitée qui laisserait rapidement à nos dirigeants une
seul alternative, c’est-à-dire la frappe nucléaire. Seule la constitution d’un
vrai corps de bataille conventionnelle pourrait alors nous permettre d’assurer
ce concept.
Sauf que, là encore, il y a beaucoup de désaccords au sein
même de l’Union Européenne. Les pays en faisant partie, et en particulier les
plus petits, ne veulent pas voir l’émergence d’une puissance dominante au sein
de l’Union. L’Allemagne joue pour l’instant ce rôle mais la fronde politique se
fait de plus en plus sentir (1). Le seul élément rééquilibrant est l’OTAN.
Beaucoup de pays trouvent justement le bouclier américain bien plus rassurant
qu’une éventuelle puissance européenne (2). De plus l’organisation et la
domination américaine empêche la montée de puissance en interne. Mais l’OTAN
oblige aussi ses membres à suivre la politique diplomatique des Etats Unis.
Cela est en contradiction avec la doctrine de la dissuasion et de la
souveraineté européenne.
En réalité, au regard des moyens financiers et matériels
alloués à notre défense, il n’y a que la dissuasion nationale qui est prise en
compte. Pourtant notre discours politique s’égare dans des concepts certes
« attrayants», mais dont il ne se donne pas les moyens. La cohérence est,
à mon sens, en particulier l’élément le plus important. Partir dans des
stratégies « théoriques » peut entraîner de l’incompréhension et des
doutes autant pour la France que pour nos alliés.
(1) https://www.lexpress.fr/monde/europe/france-allemagne-quand-la-mecanique-senraye-MSO6KKNPMZFSXIX4N4XF4X3C6A/
(2) https://theconversation.com/ukraine-war-is-blurring-the-lines-between-nato-and-the-eu-on-defence-policy-200849
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