Changer
La Loi de programmation militaire est sortie et, pour
l’instant, les hommes politiques ne semblent pas avoir pris en compte la
nouvelle situation stratégique. L’occident, et les Etats-Unis en particulier,
sont remis en cause comme leaders du monde. Les Russes, en attaquant l’Ukraine,
ont remis en cause le monde unipolaire.
A la surprise générale, des pays n’ont pas condamné la Russie, ou ne se sont
pas alignés sur l’occident. De nouveaux blocs se sont créés. La guerre
d’influence et de pouvoir pour la domination du monde a commencé. Elle va voir
de nouveaux acteurs se disputer pour la place de l’occident sur l’ensemble du
spectre de la conflictualité.
Dans cette compétition, les politiques ont donc fait le
choix de rester sur la ligne établie avec le Livre blanc de 2013. Cette ligne
progressive prévoit un conflit majeur aux alentours de 2040. Sauf que cela nous
laisse 17 ans pour remonter en puissance. C’est comme si nous nous retrouvions
en 1933 et que l’on nous disait que notre remontée en puissant ne sera
effective qu’en 1950. Or, durant cette période, il y a eu la Seconde guerre
mondiale et le début de conflits coloniaux. Durant cette même période, on est
passé de l’avion à hauban à celui à réaction portant une bombe nucléaire !
Si l’on ne peut pas définir aujourd’hui les évolutions qui peuvent apparaître
en 17 ans, il est fort possible que de nouvelles technologies viennent
bouleverser nos forces armées.
La nécessité d’investir massivement n’est pas le chemin
pris. Mais cela ne veut pas dire que rien n’est fait. Les armées continuent de
renouveler leurs équipements et la force nucléaire stratégique va voir ses
composantes être modernisées. Un effort sera entrepris dans le cyber, la guerre
informationnelle, le génie, la robotique, les drones et le
sol-air.
Notre pays est au croisement de multiples routes. Le retour
de la conflictualité a recréé des clivages, même au sein de l’Union européenne.
La confiance envers les Etats-Unis est, elle aussi, fragilisée après la
politique beaucoup plus isolationniste du président Trump suivi par celle
beaucoup manipulatrice de la présidence
Biden.
Les nouveaux blocs qui se constituent ne sont pas automatiquement hostiles. Il faut voir au cas
par cas les partenariats possibles entre pays car les relations se
complexifient. A l’image de la Turquie qui est, tantôt un allié dans l’OTAN et
des Ukrainiens, tantôt un négociateur partageant des intérêts communs avec la
Russie.
Le partenariat économique avec la Chine est, lui aussi,
devenu problématique car nous ne pouvons pas actuellement nous passer des marchandises
venues de ce pays. La menace de déstabilisation de la zone indo-Pacifique
pourrait entraîner une crise économique d’une échelle sans précédent. Dans cette
régions du monde, les fournisseurs de biens de consommation et d’énergies y font transiter toutes leurs marchandises sur
des voies maritimes et aériennes d’échangent intercontinentales.
Le risque d’instabilité de cette région, en continuité avec
la crise ukrainienne, est un facteur de risque majeur, autant d’un point vu
militaire qu’économique. Les deux cumulés pourraient entraîner un échec global
de l’occident.
En effet, l’occident s’est globalement désarmé au moment où
nos compétiteurs se réarmaient et se retrouve à devoir rattraper 20 ans d’un
démantèlement d’un outil industriel. N’étant pas engagée dans un conflit majeur
contre un adversaire paritaire, ni ne subissant une menace directe contre sa
souveraineté, la France est encore plus éloignée de risque majeur.
Ne disposant pas d’un outil militaire autonome, la France
n’a pas tous les moyens pour agir militairement. Elle s’est tournée vers la
coopération dans le cadre de l’UE ou de l’OTAN pour combler ces manques.
Si cette solution est acceptable dans le monde du droit
international et des opérations de police, le retour de la haute intensité et
du conflit existentielle change les besoins de chaque nation. Les états se
tournent vers leurs industries de
défense pour leurs efforts nationaux. La coopération s’efface au profit de
nouvelles concurrences pour prendre une place plus importante dans la lutte
contre les nouvelles menaces.
La montée, au sein de l’Union Européenne, de nouveaux
acteurs de la défense, comme la Pologne et les Pays Baltes, rééquilibre le jeu
de puissance de l’Allemagne. Celle-ci se réveil et se montre un partenaire peu
fiable. En effet, au lieu de privilégier le couple franco-allemand, l’Allemagne
se tourne vers les Etats-Unis ou Israël pour avoir des équipements au plus
vite. Pour la première fois depuis la Seconde guerre mondiale, elle revendique
même l’ambition de devenir la première puissance militaire européenne.
En France, la déchéance
annoncée par le discours pro européen et otanien oblige encore plus le pays par
rapport à ses partenaires. Cet état de fait accélère le déclassement du pays au
lieu de le ralentir. La France pourtant voit bien tous les dangers. Les hommes
politiques, suite à la crise du COVID, se sont bien aperçus des limites de la
mondialisation. Il ne suffit pas de commander et de payer pour avoir les
produits que l’on commande. Si elle fait un effort de financement et de
modernisation autant de sa BITD que de sa défense, la France est pourtant en
déclin par rapport à sa place traditionnelle.
Historiquement, cette période ressemble au plan de 14
milliards du Front Populaire de 1936. La France avait un vieil outil industriel
non modernisé en raison du coût des réparations de la 1ere guerre mondiale et
de la crise de 1929. L’argent du plan va servir en majorité à moderniser
l’industrie aéronautique et à faire des stocks de matières stratégiques.
L’effort principal ne viendra en réalité qu’à partir de 1938 et l’affaire des
Sudètes.
La question est de savoir si la France aura le temps de
s’adapter ou pas. Nous ne savons pas encore quelle sera la menace la plus décisive
pour nous. Il faut donc de s’en prémunir, reste à savoir comment.
Cette menace ne sera peut-être pas existentielle, car pour
l’instant, personne ne menace de manière directe la souveraineté nationale, du
moins dans l’idée d’une confrontation d’état à état. Par contre, les vagues
migratoires peuvent créer des conditions de troubles ou de déstabilisation. Les
diasporas turque ou algérienne, par exemple, influencent déjà la politique
française, à l’image du président Erdogan qui incite la diaspora turque en
France à influencer la politique du pays (1).
Alors, que faire ? Le retour d’une position plus nationale
est aujourd’hui nécessaire. Investir pour un minimum d’autonomie peut nous
permettre de retrouver une marge de manœuvre diplomatique et militaire. Ce
changement serait possible dans une société qui serait prête à investir plus
dans sa défense. Il faudrait augmenter les budgets. Mais, dans une nation qui
ne sent pas le danger, ce genre de mesure risque de crisper. Sans un changement
de discours politique et éducatif, il n’y aura pas de modification de la
situation.
Il faut redéfinir nos ambitions car on ne peut pas couvrir
toute les menaces dans le monde. Il faut faire des choix sur le degré de
couverture des théâtres. Pour tenir dans la durée, il faudrait ajuster la
nature de nos forces et faire évoluer nos stratégies.
Il faut également faire un choix technologique à l’image des
moyens financiers disponibles. Pourquoi vouloir l’avion ou le char le plus cher
quand on ne dispose pas des budgets pour les payer ? Pourquoi avoir la
meilleure technologie, si c’est pour détruire un pick-up dans le désert ?
Le coût de l’élimination d’un taliban était évalué au environ de trois millions de dollars. Il faut
faire autrement et surtout moins cher.
Sans ces réformes, à court et moyen termes, la France risque
de disparaître dans un monde en changement rapide. Ces réformes sont possibles
même dans le cadre de l’OTAN ou de l’Europe. Sans elles, La France ne retrouvera
pas une place de premier rang dans le monde, et l’effort qu’il faudra consentir
pour retrouver une place sera bien plus important que de réformer maintenant.
(1)https://atlantico.fr/article/decryptage/provocations-a-l-encontre-de-l-europe-l-influence-insidieuse-et-le-chantage-de-recep-tayyip-erdogan-aupres-des-pays-europeens-allemagne-belgique-france-turquie-menaces-dangers-communaute-turque-troubles-ankara-franck-papazian
Commentaires
Enregistrer un commentaire