La Réalité des prix
Ecrire sur de multiples solutions technologiques pour un
« futur char » est l’activité préférée de beaucoup d’internautes
(dont moi-même…). Mais malheureusement, tous ces « merveilleux projets»,
aussi bien « ficelés » soient-ils, s’effondrent naturellement face à
une réalité difficilement perceptible. Très souvent, en effet, des solutions a
priori bonnes s’avèrent ne pas être pertinentes
lorsqu’il s’agit de blindés. La raison en est très simple : les
moyens financiers.
Toute idée a un prix et ce prix est mis en concurrence dans
un rapport efficacité-utilité. Amateurs éclairés ou spécialistes se
souviendront de la mitrailleuse télé-opérée montée sur la version export du
Leclerc et qui ne verra jamais le jour sur la version française du char. L’idée
était bonne mais la réalité financière a eu raison du système.
Aujourd’hui, à l’heure du retour de la guerre en Europe (de
l’Est), ceux qui se considèrent comme spécialistes, dont moi-même, reviennent
pour proposer moult « bonnes solutions » pour l’avenir de du parc de
chars français. Mais la réalité des prix est passée par là. La loi de
programmation ne finalise la livraison du dernier XLR qu’en 2035… Que se
passe-t-il donc dans les arcanes du palais pour que notre « fleuron
national » soit modernisé avec un tel retard alors que le monde est si
instable ?
Je pense que la réalité se situe entre l’industrie, les
finances et le politique. La base de défense industrielle ne fabrique plus de
chars depuis les derniers chars Leclerc produits en 2008. Seul sont mises en
œuvre des actions de maintenance ou de rénovation effectuées par l’industriel.
Si les machines-outils de production existent, rouvrir une chaîne de
fabrication aujourd’hui est complexe, surtout que l’industriel s’est reconverti
dans la construction du segment médian SCORPION. Le savoir-faire est, par
contre, en train de disparaître, ce qui est bien plus problématique. Des
ingénieurs seraient sans doute capables de concevoir et construire un char,
mais il leur faudra réassimiler un certain
nombre de connaissances avant d’arriver à produire un système performant.
Malheureusement, les équipements français arrivent en fin de
vie, tous au même moment. Cela est dû à des retards de programmes de
remplacement d’équipements échelonnés dans le temps. C’est le cas du programme
des véhicules du segment médian. Cela fait au minimum 10 ans que ces véhicules
auraient dû être changés (voir plus !). La raison du retard est
financière. Le budget de défense a, de longue date, été une variable
d’ajustement. Mais, à cause de la réforme des armées de 2008 cumulée à la crise économique qui a
suivi, le caractère de variable d’ajustement atteindra un niveau inédit. La
réforme de 2013 cloue les armées définitivement. L’armée n’est plus qu’une
« force de police » pour régions du monde instables. Elle devient
incapable de toute autre type de mission.
Le réveil de 2014 et la première guerre d’Ukraine appellent
à un sursaut bien tard et trop modéré. L’augmentation continue des budgets
depuis cette époque ne fait que réparer une armée et une industrie en mauvais
état. Aujourd’hui, le rattrapage de tous les retards de programme et de
remplacement d’équipements arrivent au même moment. Mais là encore,
malheureusement, les moyens financiers n’y sont pas. Trop étalée dans le temps,
avec une augmentation importante après 2027 (c’est-à-dire après l’élection
présidentielle), la loi de programmation ne répond pas aux besoins des
ambitions des armées.
La raison est toujours politique. A chaque fois, ce sont des
choix politiques qui privilégient d’autres postes budgétaires. La réalité, très
terre à terre, est que la défense ne se voit qu’à l’aune d’un danger réel et
éminent. Malheureusement pour nous, construire un char ou un avion ne se fait
pas en 1 ou 2 ans. Il faut du temps, beaucoup de temps, et il ne reste dans
l’urgence que l’achat sur étagère. Alors que l’on sait de manière sûre que
l’industrie de défense rapporte plus que cela coûte. les politiques faisant des
choix à court terme, condamnent notre outil et notre armée à avoir une guerre
de retard comme en 1940, comme en Indochine, comme en Algérie. Une guerre de
retard, car nos merveilleux engins médians dotés du merveilleux système
SCORPION risquent fort de servir de tombeau pour des malheureux soldats à leur
bord touchés par un drone kamikaze, un missile antichar ou un tir d’artillerie.
La guerre de haute intensité tue et nous n’aurons sans doute pas les bons
équipements pour la faire.
Alors, que faire dans un tel contexte ? La solution à
ce type de problème vient souvent du passé. En 1960, la France se dote de
l’arme nucléaire et se lance toute de suite dans la construction d’une triade
nucléaire crédible. L’armée française est alors engagée dans une guerre qui
n’en porte pas de nom en Algérie, tout
en faisant face à une offensive du pacte de Varsovie.
L’armée française va se transformer, durant la décennie,
pour devenir, durant les deux décennies suivantes, une armée moderne et
adaptée. Durant cette période, l’armée va voir introduire l’AMX30, le VAB,
L’AMX10, puis l’AMX10RC, l’ERC90, l’AUF1, le ROLAND, le CROTALE, l’EXOCET, le
MIRAGE III puis F1. La France va également avoir 2 porte-avions (légers par
rapport au contemporain) et voir l’arrivée de SNA et de SNLE.
Elle va disposer d’un corps de bataille capable d’intervenir
en centre Europe et crédibilisera la place de la France au sein de l’OTAN
(alors qu’elle était sortie du commandement intégré). La création de la Force
d’Action Rapide va fournir un instrument qui permettra à la France de garder
une place de premier ordre tout en dépassant à peine 3% du PNB à la
défense.
Alors quelle armée française pour demain ? Les
programmes d’armement français devront peut-être être moins ambitieux. On a vu
des Rafales tirer des munitions de quelque centaines de milliers d’Euro détruire
un pick-up et trois djihadistes… Alors l’armée de demain devra être moins
ambitieuse et avoir l’armement ajusté à ses besoins. Il faudra réapprendre à
faire la guerre à bas coût avec des équipements plus simples, à accepter le
duel et le risque dans le combat.
Trois programmes seraient peut-être à revoir.
Le premier d’entre eux est le SCAF qui, certes, nous
mettrait au même niveau que les Américains. Mais être au même niveau que les
Américains est-il vraiment indispensable ? Disposer de certaines technologies
(la gestion des drones par exemple) peut être utile, mais la masse de l’avion
pose problème.
Le second programme est un porte-avions de 75000 tonnes (le
PANG) que nous ne pourrons certainement pas doubler. En revanche, un avion de
la masse du Rafale (un super Rafale) intégrant une partie des nouvelles
technologies de 6e génération nous permettrait d’acquérir deux porte-avions de
40000 tonnes.
Le troisième programme est le MGCS, ensemble de systèmes
hautement technologiques et inter- connectés, qui doit être un super char apte
à détruire 3 T14 en duel (comme le Leclerc en son temps...). Mais voilà,
n’est-on pas en train de construire, de nouveau, un char
« inemployable ». Là encore, un programme moins ambitieux pourrait
faire largement le travail car en réalité, il y a très peu de risques de se
retrouver face à une horde de chars russes à nos frontières. Globalement, être
moins ambitieux technologiquement pourrait permettre de disposer d’une armée,
certes moins moderne, mais beaucoup plus employable.
Si la technologie n’est pas la solution choisie,
l’entraînement avec équipements pourrait nous permettre de crédibiliser, auprès
de partenaires ou de concurrents, une armée plus efficace. Cela vaudra bien
mieux que la présentation en salon de technologies toutes plus formidables les
unes que les autres mais surtout à budget contraint. Sans cette logique de
l’efficacité préférée à la technologie à tout prix, qui peut s’appliquer à bien
d’autres programmes, il est vain d’espérer garder une place et une armée
crédible.
Commentaires
Enregistrer un commentaire