Histoire de la stratégie en France

 

Histoire de la stratégie en France

La stratégie est le domaine le plus politique de l’action militaire. Elle est la résultante de la volonté politique qui s’applique à l’environnement géopolitique. La France a une histoire longue dont il est difficile de définir le vrai début. Si la République a considéré la période gauloise comme le début de cette histoire, on peut aussi estimer que c’est la période de la fin de Guerre de cent ans qui est le début de ce que l’on entend aujourd’hui par « France ».

1)      Une Ambition de conquête européenne.

 

En 1445, le roi Charles VII crée les Compagnies d’ordonnance, prémices d’une armée régulière. Pour la première fois, l’Etat royal mettait en place les moyens de son action politique. Cette armée donnera naissance à la nouvelle armée française qui va, cependant, encore souvent utiliser des mercenaires et des troupes étrangères pour ses guerres. Cette nouvelle armée ainsi qu’une meilleure gestion de l’argent grâce à une gestion des impôts plus efficace, donneront à la France les bases d’un Etat solide. La révolution de l’imprimerie et celle de l’artillerie changent radicalement l’art de la guerre. C’est une période d’aventures et de découvertes. La fin du Moyen-Age signifie la fin de la féodalité. Incapable de payer la fabrication de nouvelles armes, seul un Etat prélevant l’impôt peut financer une armée régulière avec une artillerie moderne.

Ce sont les guerres d’Italie qui vont inaugurer les guerres européennes. La France va chercher, après avoir vaincu les Anglais, forte de sa nouvelle armée, à se lancer dans une politique expansionniste. Ces guerres vont voir l’affrontement de la France de François 1er au nouvel empire espagnol de Charles Quint. C’est aussi le début de la guerre contre les Habsbourg.

La France sera battue à Pavie et se retirera d’Italie. Mais c’est lors de ces guerres que le l’on va, pour la première fois, employer la stratégie de la prise en tenaille, en s’alliant avec les Ottomans. Si cette stratégie n’obtient pas les effets espérés, elle va empêcher les Espagnols de faire directement la guerre à la France.

Perdant en Europe, la France va se tourner, à cette occasion, vers le grand large. La France va aider à la découverte de l’Amérique du nord. Puis ce sernt des comptoirs en Afrique, puis, plus tard, aux Indes.

              La France va sombrer dans les Guerres de religions, une suite de guerres civiles qui rythmera, en cette fin de XVIe siècles, la vie du pays. Henry IV va cesser ses conflits meurtriers avec       l’Edit de Nantes. C’est de nouveau contre l’Espagne que la France se tournera.

En soutenant les protestants pendant la Guerre de trente ans, la France va affaiblir la puissance espagnole en Europe. La Guerre de trente ans sera tellement meurtrière que la population d’Europe centrale mettra presque deux siècles à retrouver la démographie d’avant-guerre.

La France de Louis XIII et de Richelieu profitera de l’occasion pour vaincre les dernières oppositions à l’intérieur du pays, avec le siège de La Rochelle. En même temps, elle repousse une nouvelle menace anglaise et espagnole. La victoire de Rocroi, en 1643, marque la  fin de la suprématie espagnole en Europe. En 1648, la France sort vainqueur de la guerre et récupère des territoires dans les Flandres et en Lorraine.

Louis XIV profitera donc d’une démographie favorable et d’un état puissant pour se lancer dans des guerres de conquête en Europe. Pour se protéger des coalitions contre elle, la France va, grâce à Vauban, créer un pré carré de fortifications garantissant une protection contre toute invasion. De plus, ces mêmes fortifications vont servir à marquer les conquêtes territoriales.

Pour l’offensive, elle va mettre en place une armée nombreuse, bien équipée et surtout bien entraînée, par le même Vauban. Spécialiste dans la guerre de siège, il économise la vie de ses hommes et fait tomber toutes les fortifications très rapidement.

Sous Louis XIV et Louis XV, La France sortira de plusieurs guerres victorieuse, mais usée. En 1745, la France continentale est pratiquement dans ses frontières actuelles.  La Guerre de sept ans (1756-1763) lui fait perdre presque toutes ses colonies. La guerre ruine l’Europe et seules l’Angleterre et la Prusse en sortent vainqueur.

C’est à cette époque que la natalité, une force du pays, va se stabiliser, voire se réduire.

La France va réformer son armée dans des conditions économiques difficiles. C’est la création des divisions avec Guibert, et la standardisation de l’artillerie avec Gribeauval. C’est aussi la mise en œuvre des manufactures d’armes (le fusil modèle 1777) et d’uniformes. Ces réformes vont profiter à l’armée révolutionnaire et impériale. La France est encore la première puissance démographique européenne, mais cet avantage va disparaître en ce début de XIXe siècle. La France va se battre contre toute l’Europe mais cette fois-ci, elle sera vaincue.

 

2)      Une Ambition de conquête mondiale 

 

En 1815, la France comprend qu’elle ne peut plus prétendre à des conquêtes territoriales en Europe. Si elle reste une grande puissance européenne, la France va rechercher de nouveau dans le grand large pour retrouver de la puissance. Elle va ainsi se battre contre l’empire Ottoman, pour l’indépendance de la Grèce, la sécurité des chrétiens d’Orient et surtout envahir l’Algérie. La France va coloniser cette terre, puis une grande partie de l’Afrique. Ensuite, ce sera l’Indochine contre la Chine.

Cette politique sert à effacer l’échec de la guerre de 1870. La France, pour la première fois, est vaincue par une puissance voisine sans coalition. Les Allemands nous écrasent dans une guerre humiliante. Cela aura des conséquences pour la suite.

La France va chercher a créer de nouvelles coalitions. Dans une stratégie de prise en tenaille, la France se lie avec le Russie. L’alliance tardive avec l’Angleterre se fait parce que celle-ci craint la puissance impériale allemande.

Cette stratégie sera gagnante car, en cet autonome 1914, la Russie va mobiliser plus vite que ne le prévoit le plan allemand obligeant l’Allemagne à déplacer des troupes qui vont manquer lors de la bataille de la Marne. La marine anglaise va effectuer un blocus efficace qui va faire tomber l’Allemagne.

La France sort victorieuse, mais affaiblie, de cette guerre. Elle va, grâce au Traité de Versailles, récupérer ses derniers espaces coloniales.

 

3)       Une Ambition de survie

 

La France est affaiblie, si elle reste une grande puissance aux yeux du monde, doit se reconstruire. La France choisit de se protéger par une ligne de défense (la ligne Maginot) et cherche à recréer une stratégie d’encerclement. Celle-ci échoue avec l’assassinat du roi du Yougoslavie à Marseille en 1934. La France engage un réarmement tardif en raison de la crise économique et d’un retard dans l’outil industriel qui n’est pas adapté à la production d’armes de guerre. Elle perd ses alliés un à un. En 1936, elle perd la Belgique. En 1938, elle perd la Tchécoslovaquie et la confiance de l’URSS. En 1939, la Pologne cesse d’être un allié après que la France l’a laissée seule face à l’invasion nazie. Les Français partent en guerre aux côtés des Anglais qui sont plus en retard qu’eux dans l’effort de guerre. La défaite de 1940 sera terrible. Elle provoque, à la différence de 1870, un fort sentiment de risque de fin de la France.

La Deuxième guerre mondiale va se faire sans la France, mais avec ses soldats, ce qui sauve sa place dans le concert international des nations. Cependant, la France n’est plus la nation leader. De plus, la menace soviétique lui impose une intégration à l’OTAN. Elle accepte ainsi la domination américaine, perdant son  autonomie stratégique.

Durant cette période, la France va perdre tout son empire colonial. La guerre d’Indochine, avec la défaite de Diem Ben Phu,  est le symbole de fin d’une époque glorieuse. L’affaire Suez de 1956 sonne le glas de l’ancien monde et de la domination européenne.  Français et Anglais se voient humiliés par la pression soviétique et américaine.

 

4)      L’Ambition d’influence

 

En 1958, l’arrivé du général De Gaulle va redonner une nouvelle direction à la France. Bien consciente de ses faiblesses, elle met en place une nouvelle politique stratégique, celle de la dissuasion. La France de la IVe République avait commencé des recherches dans ce domaine, mais c’est le président De Gaulle qui impulse la fabrication d’une bombe nucléaire. La France va créer une triade nucléaire stratégique et préstratégique qui lui permet, avec la 1ère armée, puis plus tard la FAR (force d’action rapide), de disposer de moyens militaires crédibles. Ceux-ci lui donnent la capacité de peser sur la scène internationale. Le choix pragmatique d’une armée conventionnelle à niveau, c’est-à-dire disposant de la juste suffisance technologique, est la marque de cette époque.

Cette politique permet à la France d’être un partenaire particulier en Occident. Elle n’hésite pas à se positionner contre ses alliées, comme en 2003  lors de la guerre du Golfe. Cette ambition a, cependant, commencé à s’effriter avec la fin de la Guerre froide et la chute du Mur de Berlin. Au tournant du XXIe siècle, la mondialisation va bouleverser la position française.

 

5)      L’Ambition libérale

 

La chute du Mur de Berlin sonne le glas du communisme, mais aussi de la sociale démocratie. La France prend un virage libéral. La vision politique libérale consiste à considérer toute relation ou litige entre un individus, des groupes, des communautés ou des états, selon les règles du droit. Le droit international, qui était auparavant bloqué par la guerre entre les blocs, devient la règle. Cela provoquera une transformation conceptuelle de l’armée. Elle n’existe plus pour la défense de la nation et de ses intérêts, mais pour la défense de valeurs et du droit international. Par conséquent, l’armée devient une sorte de force de police qui intervient pour faire appliquer la « loi ». La France réintègre la structure de commandement intégré de l’OTAN et valide, par un vote du parlement, la nouvelle constitution européenne qui lui fait perdre un certain nombre de libertés institutionnelles, au profit de l’UE.

Le discours politique suit une ligne ambigüe, entre indépendance et alliance, l’alliance rendant dépendant de ses partenaires. Cette ambiguïté est responsable d’échecs diplomatiques comme la non-intervention en Syrie en 2018. Le président de la République française déclare  vouloir intervenir militairement, mais le Congrès américain ne soutient pas une telle intervention qui n’a donc pas lieu. La situation a discrédité la parole française et sa politique étrangère.

Les politiques s’enferment dans la croyance que l’Union Européenne permettra de recréer une ambition de puissance diplomatique. Mais en réalité, il y a de fortes différences de vue politiques au sein de l’UE. Pour la majorité des états membres, l’UE ne doit être qu’un grand marché économique commun. Ils refusent l’intervention extra étatique de l’UE. Les membres de l’UE ont choisi cette organisation pour que, justement, il n’y ait pas de nation leader. Dans les faits, il y a plusieurs courants. Le  courant rigoriste libéral est porté par l’Allemagne suivie par des pays voisins de l’Allemagne et le Nord de l’Europe. L’autre courant est celui du groupe de Višegrad, à savoir les nations nouvellement intégrées qui appartenaient à l’ancien bloc communiste. Elles sont libérales sur le plan économique, mais conservatrices sur le plan sociétal. Par ailleurs, ces courants sont tous pro-otaniens.

La France, quant à elle, cherche à créer un mouvement parallèle à l’OTAN qui soit exclusivement européen, mais elle ne trouve pas d’alliés forts pour mener cette construction. L’Allemagne, son principal partenaire a, en effet, clairement défini l’OTAN comme seul cadre de la politique de défense européenne.

Ces différents courants et points de vue se soldent par une incapacité à trouver un terrain d’entente sur la fond. Le non-avènement d’une réelle Europe de la défense en est l’illustration. C’est l’échec de l’ambition libérale européenne et française.

 

6)      Limites de l’Ambition libérale, vers un changement de paradigme

 

L’échec de l’ambition libérale est autant européen que mondial. La France, comme ses alliés, se lance dans des opérations extérieures qui ne vont aboutir qu’à des replis de l’Occident. Les interventions militaires en Afghanistan, Irak,  au Mali, en Syrie, Lybie, au Kosovo, ou au Burkina Faso, sont des échecs stratégiques. D’autres concurrents nous remplacent ; c’est le cas de la Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie mais aussi du Qatar, de l’Arabie Saoudite, des Emirats Arabe Unis. De nouvelles puissances démographiques et économiques nous concurrencent et nous remplacent dans le concert international des nations.

La France ne semble miser que sur cette Europe. Mais la crise économique de 2008 à 2011 a mis en évidence les divisions de cette Europe censée être unie. En outre, la crise du COVID a montré les limites de la mondialisation.

Les puissances mondiales travaillent de moins en moins ensemble mais, au contraire, se font de plus en plus concurrence. Le conflit le plus marquant est celui entre la Chine et les

Etats- Unis. La croissance mondiale n’est pas revenu au même niveau que celui d’avant crise.

La première fracture de taille est infligée par les Russes qui interviennent en Ukraine en 2014. Pour la première fois depuis 1989, des frontières reconnues internationalement sont redessinées en dépit du droit international.

L ‘intervention russe de 2022 en Ukraine va changer la forme de l’unité internationale. Loin d’être isolée, la Russie est soutenue, ou à tout le moins n’est pas condamnée par un certain nombre de pays. Les BRICS travaillent au développement d’une nouvelle économie qui s’oppose à la domination du Dollar. Crypto monnaies et achats en monnaie nationale cassent la puissance de la monnaie américaine.

La Turquie au sein de l’OTAN mène un jeu ambigu. Le pays cherche une voie indépendante, cherchant à recréer la sphère d’influence de l’ancien empire ottoman.

Le retour des ambitions de puissance, voire de conquête, doit poser la question de la nature de nos forces armées et de nos ambitions.

 

 

Conclusion

 

Six siècles d’histoire de France nous apprennent beaucoup sur la nature de la relation entre le pouvoir et ses ambitions politiques. La France, pendant plus de 400 ans, a cherché à agrandir son territoire, d’abord continental, puis mondiale. Mais les puissances voisines ont obligé les Français à abandonner cette politique. Les élites nationales se sont alors tournées vers l’Europe pour retrouver cette ambition de puissance, mais celle-ci butte sur une réalité européenne bien différente que celle rêvée. De plus, un nouveau monde vient s’opposer à la domination occidentale. Ses acteur vont y chercher le duel pour imposer un nouvel ordre mondial. Il ne tient qu’à la France d’avoir une nouvelle ambition de puissance pour participer à ce nouveau monde.

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