Une Doctrine en question.
La loi de programmation va fournir à la défense 413
milliards d’euros (1). Cet argent va servir à préparer nos armées pour les
défis de demain.
La question porte sur les choix de la France en matière de
défense, choix politiques qui dessinent l’avenir de la France pour 20
prochaines années. Le problème actuel est
qu’il est impossible de savoir de quoi l’avenir sera fait. Ces dernières
décennies ont vu le retour des guerres interétatiques. Dans le Livre blanc de
2013, ce retour est vu comme possible, mais pas probable à court terme (2). La
réalité, on la connaît. Un an après, il y avait la guerre dans le Donbass, puis
en 2020, dans le Haut- Karabagh, et aujourd’hui la guerre en Ukraine contre la
Russie.
S’il y a des multitudes de leçon à tirer de ces événements,
une des plus importantes serait l’impossibilité de se garantir de surprise
stratégique.
Les politiques ont, dans le passé, défini la doctrine de la
France au regard non seulement des risques internationaux mais surtout d’une
volonté d’indépendance. Elle a entrepris, sous la présidence du Général De
Gaulle, une transformation de l’outil militaire permettant de garantir cet
objectif. L’effort prévu par la nouvelle loi de programmation est souvent
comparé à ce bouleversement initiés dans les années 50, alors que cela n’a rien
à voir.
Le développement des armes nucléaires étaient nécessaire
pour le pays en raison de deux souvenirs particuliers. Le premier est la
défaite de 1940. La France se retrouve en effet, après une action diplomatique
plus que lamentable, isolée sur la scène européenne. La « non
action » de l’état français en 1936 en Rhénanie, puis en
Tchécoslovaquie, a pour résultat la
perte par la France de ses principaux alliées (Pologne, Tchécoslovaquie,
Belgique, Yougoslavie, Grèce, Roumanie,
URSS) . Les Français sont seuls, avec l’Angleterre, pour affronter
l’Allemagne en septembre 1939. Le 10 mai 1940, les lignes françaises sont
enfoncées et, 8 jours plus tard, les forces du Nord sont encerclées. C’est à
cette occasion que l’on voit l’Angleterre rembarquer et laisser les Français se
battre seuls. La France, isolée, se voit
obligée de signer un armistice déshonorant.
Le second événement est l’opération Mousquetaire contre
l’Egypte en 1956. L’opération est commune entre la France et l’Angleterre. Les Anglais
cherchent à reprendre la gestion du
canal de Suez tandis que la France veut renverser un allié du FLN algérien.
Nasser, le président égyptien, de son côté va
se trouver un allié de poids avec l’URSS. Les alliés, après une longue
préparation, vont lancer l’assaut sur Port Saïd, porte du canal. L’opération va
très vite s’arrêter. Alors que la
Hongrie est secouée par une révolte contre le régime communiste, les Etats-Unis ne veulent pas s’engager dans cette aventure
égyptienne dont ils ont été mis au courant trop tard. Ils contraignent la
France à abandonner l’opération après la menace soviétique d’escalade
nucléaire.
Suite à ces deux événements, la France décidera de se doter
d’un arsenal nucléaire et d’un outil conventionnel lui garantissant autonomie et indépendance. Elle
quitte alors le commandement intégré de l’OTAN et prend une autonomie
stratégique grâce à la création d’un outil industriel de défense performant.
Mais elle reste partenaire de l’OTAN. La 1ère armée d’Europe reste
son deuxième échelon.
La France se trouve comme doctrine la dissuasion nucléaire.
Les forces conventionnelles doivent protéger ses atouts et laisser le temps au
pouvoir politique de déclencher les feux nucléaires si nécessaire. Les forces
conventionnelles doivent aussi permettre à la France d’affronter une menace
conventionnelle d’un adversaire non nucléaire ou jouant avec le seuil de
réponse nucléaire française. Pour les
missions de défense de ses intérêts en Afrique ou au Moyen-Orient, la France
crée en 1984 la Force d’Action Rapide. Ainsi, la défense française est
cohérente et équipée pour sa mission même si les équipements ne sont pas les
plus puissants et modernes. Les forces, grâce à un capital humain de premier
ordre, sont rustiques et endurantes.
L’armée française est respectée et va effectuer de belles opérations en
Afrique, pré carré français, dans les
années 1960, 70 et 80 tout en maintenant
une armée prête à arrêter les vagues de chars du pacte de Varsovie.
Aujourd’hui, il est un peu plus difficile d’expliquer
simplement la stratégie française… En avril 2009, la France réintègre le
commandement intégré de l’OTAN perdant de fait une partie de son autonomie
stratégique. Elle l’a fait en partie en raison de la disparition des menaces et
de la plus grande autonomie de l’organisation par rapport aux USA. Mais C’est surtout pour montrer à nos
partenaires européens que l’on peut être dans le commandement intégré de l’OTAN
et dans la défense européenne.
La France aurait, en effet, voulu voir créer une
organisation de défense européenne équivalente à l’OTAN et surtout plus
indépendante des Etats-Unis. Cela était vu comme un moyen de disposer d’un
outil militaire permettant un partage des efforts budgétaires comme humains.
Mais, par l’intermédiaire de cette nouvelle organisation, la France espérait
aussi voir brillé les idées universalistes françaises partout dans le monde et
en Europe.
Cependant, les Européens sont
profondément otaniens. Les petits pays
ne veulent plus revivre sous la domination d’un géant européen et les grands
pays, en choisissant les USA, veulent éviter la concurrence interne au sein de
UE.
La coopération économique dans le domaine de la défense
n’est pas non plus des plus
performantes. La création de grands programmes financés par l’OCCAR
(Organisation Conjointe de Coopération en matière d'Armement) ne permet pas
toujours de disposer d’armement compétitifs. Les programmes, au lieu de
s’appuyer sur les entreprises les plus compétentes, se voient diviser en parts
pour chaque état participant. Cela engendre des surcoûts mais aussi des
problèmes de compétences qu’il faut faire acquérir à des entreprises peu
compétentes au départ. Un effort a été réalisé pour limiter ce genre de
problème, mais le partage ne priorise par toujours des entreprises européennes
et finance de manière indirecte la BITD étrangère… Les gros programmes
d’armement sont contraints aussi par les lois propres à chaque pays. Par
exemple, en Allemagne, les brevets ne sont pas privés mais d’état, les règles
de vente de composants à l’étranger sont très limitatives et chaque budget est
voté chaque année par le parlement. Ce type de contraintes soumet les
programmes au risque d’être amputés, aspirés ou tout simplement annulés…
Dans le domaine militaire, à l’exception de quelques
missions en Afrique ou navales, il n’y a pas de grande coopération avec des
critères et des normes propres aux Européens hors du cadre de l’OTAN
c’est-à-dire celui des Américains…
Nos forces de dissuasion nucléaire ont été un moment un
enjeu de diplomatie. Mais la réalité du concept ne peut pas voir partager la
mise à feu des armes. Il est également irréaliste d’imaginer que cette
dissuasion couvre l’ensemble de l’Europe. Une attaque contre les Pays Baltes ne
peut enclencher une frappe nucléaire française (surtout si l’adversaire dispose
aussi de l’arme nucléaire). Jamais, à moins d’être devenu folle, la France ne
risquera la survie même du pays pour une autre nation qu’elle-même. Pour
rappel, une arme de 2 mégatonnes est capable de rayer de la carte une ville
comme Paris et les Russes, nos
adversaires de prédilection, ont 6000 têtes nucléaires !
Ainsi, indépendante avec les armes nucléaires,
mais aux ordres dans le cadre de
l’OTAN et partageant sa défense avec les pays membres de l’Union
européenne, la France se retrouve avec une doctrine stratégique souffrant de
l’intervention possible de trop de décideurs. Sa doctrine s’en ressent. Le pays
dispose de moyens nucléaires avec des vecteurs sous-marins ou aériens. C’est le
dispositif le plus cohérent mis en œuvre en France. L’effort consenti pour sa
modernisation est contrecarré par celui fourni pour la modernisation des forces
conventionnelles. Celles-ci n’a plus pour seule mission de protéger le
territoire national. Les forces sont tournées vers la projection de puissance à
l’extérieur du pays et le soutien de l’OTAN. Dans ce cadre, la France ne doit
fournir qu’une division (dans sa composante terrestre) et un état-major. L’OTAN
et la défense commune autorisent cette empreinte militaire minimale. Mais elles
ont accentué, en contrepartie, la pression sur les industries d’armement
françaises qui ne produisent pas assez et se voient donc avalées par de grands
groupes étrangers ou européens. La perte d’autonomie de l’industrie rend le pays
redevables envers ses « partenaires », ce qui réduit sa liberté de
manœuvre.
Ce choix minimaliste se paie déjà. En effet, la crise du
COVID et la guerre en Ukraine ont clairement montré le risque de rupture d’un
certain nombre d’équipements ou de matériaux. Les stocks limités, voire
inexistants, nous rendent tout simplement inaptes à la guerre longue ou de
haute intensité. L’écologisation de
l’économie va rendre la France dépendante de manière problématique à la
disponibilité des terres rares et donc, à la Chine. Le risque de rupture
d’énergie s’est accentué avec l’embargo occidental contre la Russie et ce qui
est présenté comme des problèmes d’entretien des centrales nucléaires.
Le budget renforcé voulu par la nouvelle loi de
programmation militaire ne servira qu’à corriger à la marge les faiblesses de
la défense française. Loin d’être un budget de rupture , il pose la
question de la capacité de la France à prendre les virages nécessaires pour
éviter les écueils.
(1) https://www.defense.gouv.fr/actualites/lpm-2024-2030-413-milliards-deuros-transformer-armees
(2) http://www.livreblancdefenseetsecurite.gouv.fr/pdf/le_livre_blanc_de_la_defense_2013.pdf
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