Pourquoi Poutine peut gagner : la Guerre informationnelle

 

Pourquoi Poutine peut  gagner : la Guerre informationnelle


« Le plus important, est le peuple. Obtient sa confiance et son soutien et tu obtiendras tout ce que tu voudras. » -- Sun Tzu

 

La guerre informationnelle est une forme de conflictualité qui vise les opinions publiques. Une des formes les plus connues est  l’art du siège de convaincre son adversaire de se rendre sans combat. Le massacre des habitants de la ville de Tyr en -332 avant J-C va lui ouvrir les autres villes phéniciennes grâce à une propagande habile.

L’invention de l’imprimerie, du journal de presse, du cinéma, de la télévision et maintenant de l’internet vont permettre l’essor des sciences sociales, du marketing et de la propagande.

Souvent liés, tous ces moyens d’information permettent d’influencer les opinions publiques en vue de les diriger. Les états démocratiques comme les dictatures utilisent ces ressorts pour que les peuples soutiennent leurs actions.

Les méthodes les plus connues ont été appliquées par des propagandistes comme Goebbels pour souder le pays autour du pouvoir.

Un des principes de la propagande est la répétition d’un mensonge le plus souvent possible et par plus de personnes possible pour en faire une vérité. 

Changer le sens des mots, comme dans le roman d’anticipation 1984 de George Orwell, permet de semer le trouble dans les esprits. Cette pratique est appliquée particulièrement par la presse moderne proche du pouvoir (fascisme, dictature, génocide, racisme, « maintenant » qui ne va pas dire « maintenant », un coupable qui est décrit comme une «victime » de la société etc...).

Pour les guerres, de tout temps, on a utilisé le mensonge pour justifier une intervention. En 1991, les alliés occidentaux s’engagent dans la guerre du Golfe après le témoignage d’une jeune femme qui expliquait le massacre de bébés en couveuse par les soldats irakiens. Il est apparu plus tard que cette jeune femme était la fille de l’ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis et qu’elle n’avait pas pu être témoin de telles exactions.

Tout le monde se souvient, en février 2033, de la présentation de Colin Powell à l’ONU . Photos à l’appui, il dénonce l’existence d’armes de destruction massive, toujours en Irak, qui justifient une entrée en guerre des Américains et l’invasion de l’Irak. Le Secrétaire d’État américain, en 2005, sur CNN, avoua qu’il regrettait ce mensonge d’état.

Le cinéma et une presse indépendante dénonceront ces fables, mais bien après les conflits. Les opinions publiques n’en non pas voulu à leurs dirigeants pour ses mensonges, mais cela a laissé des traces sur lesquelles vont s’appuyer la propagande russe. Les opinions occidentales se tournent de plus en plus vers les nouveaux média internet. En effet, les sondages montrent combien les gens ont peu confiance dans les médias « mainstream » ou traditionnels :  les journalistes ont la même popularité que les hommes politiques (autour de 23% en France). Pourtant, les media du web sont également source de désinformation.

C’est sur cette tendance à rechercher l’information ailleurs que dans les media officiels que vont s’appuyer les influenceurs russes. En 2005, la Russie crée RT Russie qui va émettre dans le monde entier. La force de la chaîne est d’utiliser les informations déjà véhiculées par d’autres médias et de les utiliser pour aiguiller les opinions. A la différence des médias occidentaux qui continuent à sacraliser la parole officielle (même si ce sont des mensonges), RT utilise les commentaires des gens qui doutent (beaucoup venant d’experts ou de médias plus indépendants) pour en faire un nouveau récit des faits qui décrédibilise le discourt officiel. Il n’y a pas de mensonge, mais juste une manipulation à dessein de la vérité.

Les téléspectateurs comparant l’information, adhèrent au nouveau récit qui leur paraît correspondre davantage à la réalité.

En 2014, est créé le deuxième outil, SpoutnikNews mais cette fois-ci, sur internet. Là encore, l’information s’appuie sur des journalistes qui sont libres d’enquêter sur tout type de dossier. Naturellement, cette liberté profite aux Russes, car les enquêtes menées révèlent toujours des affaires qui concernent le pouvoir ou le système du pays hôte. En même temps, est présenté sans faux-semblant, un discours qui vise a expliquer la position de la Russie ou le fait qu’il y a toujours une volonté des dirigeants occidentaux de décrédibiliser la Russie. Le discours passe entre deux affaires de droit commun, des événements ou des propos qui peuvent gêner le pouvoir en place dans le pays hôte.

Donc en s’appuyant sur la vérité, la Russie écrit sa propre version des évènements pour opinions publiques occidentales. Ce récit s’appuie sur plusieurs idées.

La première idée est que la Russie est indépendante par rapport aux discours consensuels des dirigeants occidentaux.

Le deuxième principe est qu’elle soutient les peuples avec leurs cultures et leurs origines contre les idées libérales qui considèrent les hommes comme autant de pions que l’on peut mettre n’importe où (lutte millénaire entre les sédentaires et les nomades).

Le troisième point est que la vérité est de leur côté et que le mensonge est du côté des dirigeants occidentaux, comme peuvent l’attester certaines affaires, ou certains évènements mis en exergue.

Le quatrième point s’appuie sur la volonté d’un discours incitant à croire que la Russie est « victime » d’un Occident belliciste, ce qui justifie toute les actions.

Le cinquième point porte sur la suprématie de l’armée russe et de ses armes modernes. Il s’agit aussi de créer une peur « intuitive » dans l’esprit des gens.

Le sixième point est la décrédibilisation des valeurs occidentales portées par les élites politiques et médiatiques. 

L’information produite par les médias russes qui s’appuyait sur des faits réel,  contraste avec un discours des élites occidentales fait de non-dits, d’interprétations, d’incohérences,  d’un « en même temps », d’hypocrisie ou manquant de clarté  et qui sèment le doute.

La volonté de changement continuel des mœurs et des coutumes, l’insécurité, la réécriture de l’histoire mettant au même niveau les Allemands et les Russes dans la responsabilité de la Seconde guerre mondiale (1) va solidifier une idée que les propos russes sont fondés.

Cette guerre informationnelle avant la guerre en Ukraine de 2022 a fait douter de la fiabilité des dirigeants occidentaux en particulier les Européens. Elle s’appuie sur une partie de la population conservatrice et nationaliste qui refuse le diktat d’un milieu politico-médiatique libéral libertaire, voire  « wokiste », pro-mondialiste, otanien et européiste.

Jusqu’à présent silencieuse, cette partie de la population montre sa présence dans les sondages avec un refus d’interventionnisme occidental en Ukraine contre les Russes, voire une demande d’arrêter le conflit. Politiquement, il parait difficile aujourd’hui de justifier une quelconque intervention militaire. Même l’envoi d’armes divise les opinions. L’argument de la défense des « valeurs » occidentales ne paraît pas évident à tous.

 Le plus fort dans cette guerre informationnelle est que la Russie a réussi à  convaincre un grand nombre de pays du bien fondé de son intervention particulièrement en Afrique et au Moyen Orient.

L’Occident voit sa place remise en cause par 20 ans de guerre contre le terrorisme en ayant bien souvent utilisé l’importance des « valeurs » pour intervenir. Le départ des forces occidentales d’Irak et surtout d’Afghanistan montrent la fragilité  des valeurs occidentales actuelles face aux cultures ancestrales. Comme dit le dicton arabe, « vous avez la montre, nous avons le temps ».  Le bilan de ces conflits initiés par l’Occident amène un certain nombre de constats. L’insistance à vouloir forcer par la peur un certain nombre d’états ne fonctionne plus, puisque l’Occident a, à plusieurs reprise, été vaincu. Ce ne sont pas des défaites en rase campagne, mais le départ lamentable des Américains de Kaboul est le signe de la victoire d’un certain monde islamique face à l’Occident.

Il est alors compréhensible que les peuples arabo musulmans soient outrés des propos de journalistes effarés qu’une telle guerre n’ait pas lieu dans un pays comme la Syrie ou l’Afghanistan mais bien dans un pays civilisé comme l’Ukraine (2). Naturellement, on peut imaginer que montré en boucle sur les media du Moyen-Orient, cela finit de monter les peuples contre l’Occident  (3).    

En Afrique aussi, nous avons perdu la guerre du discours. L’image incessante renvoyée par l’Occident lui-même est celle de l’arrogance, du mépris et de l’omniscience. Cette image est habilement utilisée par nos concurrents. Ainsi des populations pourtant habituellement très accueillantes ont fini par se montrer hostiles et se sont tournés vers d’autres. Le départ de la France, du Mali, et maintenant du Burkina Faso, en est l’exemple.  

Incapable de raconter un récit que les peuples autochtones pourraient entendre, l’Occident s’est isolé à l’image des FOB. Une fois partis, les Occidentaux ne laissent pas grand-chose et qui sera détruit par un nouveau pouvoir et naturellement par les nouveaux partenaires que sont la Russie, la Chine et la Turquie.

Comprenant le danger de l’information par internet, la Russie a pris, dès 2008, des mesures de restrictions sur un certain nombre de sites internet ou d’ONG. Le pouvoir russe sait qu’il existe dans les villes de Russie une nouvelle petite bourgeoisie prête a adhérer aux « valeurs » occidentales. Souvent faisant partie de l’opposition, les mouvements pour plus de démocratie vont voir leurs leaders soit abattus, soit incarcérés. Incapables de s’organiser, ces mouvements vont rester contrôlés par le pouvoir en place. Celui-ci, par contre, s’appuie sur les campagnes et les petites villes où le discours occidental n’arrive pas.

La force de Poutine est d’avoir su s’appuyer sur un patriotisme viscéral, une envie de puissance propre à tout peuple, une envie de revanche par rapport à l’histoire et surtout la crainte d’un impérialisme occidental qui chercherait à détruire la Russie.

C’est dans le discours au peuple russe que la guerre informationnelle est la plus réussi. Il a su tirer parti d’une image positif par l’idée qu’il avait remis de l’ordre dans le pays, remis en marche l’économie et redorer l’image de Russie au sein de son propre peuple. Expliquant sans cessent la même chose le même discours sur sa vérité des événements, il a convaincu sa population qu’il était essentielle et que l’occident avait réellement une volonté de détruire la Russie. 

Il est aidé en cela par les Occidentaux eux-mêmes. Les experts, sur les plateaux des chaînes d’information continue parlent de la nécessité d’une intervention de l’OTAN. Le ministre de l’économie française parle de guerre économique totale contre la Russie dont les conséquences seront ressenties y compris par le peuple russe (4). La ministre des affaires étrangères allemande annonce que l’Allemagne est en guerre contre la Russie (5). Toutes ces déclarations offensives sont évidemment montrées en Russie comme autant de propos qui confirment les dires du pouvoir en place et étayent  ses arguments contre l’Occident.

La méconnaissance de la culture et de l’histoire russes chez les Occidentaux, en particulier nos élites politiques et médiatiques sont des leviers qui aident le pouvoir russe à garder, même en pleine guerre en Ukraine, l’initiative du discours auprès de son peuple.

Ainsi en va-t-il de la notion de « nazi ». D’abord employée par la Russie pour définir les Ukrainiens avec pour preuve le héros national Stepan Bandera. Héros, en effet, malheureux de l’indépendance de l’Ukraine pendant la Seconde guerre mondiale, il collabore avec les Allemands (6) et fait, par report, de tout nationaliste admirateur de cet homme, un « nazi » potentiel. Utilisant cette figure nationale controversée, les Russes ont troublé les médias occidentaux habitués à  « nazifier » leurs adversaires et non à être traités de « nazi » par d’autres. Il a fallu essayer de se réapproprier ces mots. Il en va de même de la brigade « Azov » qui porte l’insigne d’une division SS (7), devenus les résistants héroïques des combats à Marioupol. Ainsi, ils ont été humanisés, voire glorifiés, héros devenus acceptables pour les opinions occidentales.

Mais le récit est peut-être arrivé trop tard. Ceux qui suivaient l’actualité de l’Ukraine depuis longtemps n’ont pas été dupés par cette mise en scène.

Le narratif occidental, loin de s’affaiblir, se renforce autour de chaque discours de dirigeants ou autre déclaration intempestive, dans chaque émission traitant du conflit. Les mêmes spécialistes sont cent fois réinvités sur les plateaux de télévision pour contrecarrer le récit russe, renforçant toujours davantage, par leur manque de nuance et leur caractère offensif,  la propagande du régime russe auprès de son propre peuple. Cette guerre informationnelle là, nous l’avons semble-t-il déjà perdu.

   

(1) https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/B-9-2019-0098_FR.html , U.1

(2)  https://www.youtube.com/watch?v=m3eDZean39s  ; https://www.theguardian.com/commentisfree/2022/mar/02/civilised-european-look-like-us-racist-coverage-ukraine

(3) https://www.aljazeera.com/opinions/2022/3/1/covering-ukraine-a-mean-streak-of-racist-exceptionalism

(4) https://www.tf1info.fr/international/guerre-en-ukraine-russie-nous-allons-provoquer-l-effondrement-de-l-economie-russe-previent-bruno-le-maire-2212196.html

(5) https://www.youtube.com/watch?v=E2f6zLC2LlM

(6) https://fr.wikipedia.org/wiki/Stepan_Bandera ; https://historynewsnetwork.org/article/122778

(7) https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9giment_Azov ; https://edition.cnn.com/2022/03/29/europe/ukraine-azov-movement-far-right-intl-cmd/index.html

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