Comment redonner de la Force sans se ruiner : Le
char.
Pour remédier à cela, je pense qu’il faut changer de
paradigme. Actuellement, la France fait le choix d’appliquer un modernisme de
manière globale à tout nouvel équipement. Ce choix engendre une
complexification et un coût pas forcément garants d’efficacité.
Il s’agit là de faire la différence entre modernité et efficacité,
car les deux ne vont pas forcément de paire. Le matériel le plus moderne n’a
pas été le plus performant. Par exemple, le char M1 Abrams est considéré comme
le char le plus moderne et efficace au monde. Protégé par une protection en
uranium, équipé d’une turbine qui lui permet de rouler à plus de 70km/h, il est
doté d’un système d’armes combinant des moyens d’observation de visée et de tir
de premier ordre.
Pourtant, quand il s’agit d’engager le M1 Abrams au combat,
ses performances peuvent décevoir. Le blindage est certes résistant, mais
surtout très lourd : le char avec des renforcements pèsent plus de 68
tonnes et perd de la mobilité. Il y a alors surconsommation en carburant et
usure rapide des organes propulsifs, ce qui le rend très dépendant des
soutiens. La fragilité de la turbine, principalement à la poussière, entraîne
des pannes fréquentes. Quant aux systèmes d’armes, s’ils ne sont pas
correctement servis et soutenus, ils ne fonctionneront pas.
Lors de la guerre contre DAESH en Irak, les qualités du char
T72 l’emportent sur celles du M1 Abrams. Plus simple mécaniquement, plus
rustique, le T72 ne nécessite pas le même soutien. S’il reste inférieur dans
bien des domaines au char M1, il reste un adversaire de bonne facture, surtout
après modernisation. Le canon de 125 mm est à 51 calibres, alors que M1 est un
120mm à 44 calibres. Le canon russe tire
donc des munitions à plus grande
vitesse. Si l’artillerie sous l’ère soviétique est de mauvaise qualité, les
modernisations ont donné de meilleurs produits. Ceux-ci sont équivalents aux
normes occidentales et voient leurs
performances s’améliorer. Le moteur du T72 (et même du dernier T90M) a comme
ancêtre le moteur du T34 ! Les Russes ont juste fait évoluer le moteur en
améliorant la qualité des matériaux et la méthode de production. Cela explique
en partie le peu d’entretien nécessaire sur les chars russes. Le blindage est,
lui aussi, à ne pas sous-estimer. Les Russes furent les premiers à mettre un
blindage composite dans un char. Ils ont installé un blindage
réactif capable de réduire les effets des charges creuses ou des obus
flèches, ce qui rend leurs chars aussi résistants que les meilleurs véhicules
occidentaux. Un grand nombre de témoignages racontent la difficulté à
neutraliser le T72 surtout de face. Et
les Russes continuent de faire évoluer leur machine avec des protections
actives soft et hard.
La vision russe de la guerre est aussi à mettre en
perspective. Pour les Russes, le nombre est une qualité et les pertes sont normales. Pendant la
Grande guerre patriotique de 1941-1945, sur 120 000 chars produits, 91000
seront perdus aux combat. Construire en grande quantité est un impératif. Le
T14 n’est pas encore prêt à déloger le T72 et ses rejetons de l’arsenal russe.
Les Français ne pourraient-ils pas prendre exemple sur le
modèle russe mais aussi du M4 Sherman en son temps ? Est-ce une obligation
de mettre 100% de modernité et de complexité dans des engins ? Ne
serait-il pas plus judicieux de garder une part de rusticité ?
On peut alors imaginer que la fonction mobilité qui atteint
ses limites (un char Léopard 2 de 1974 est aussi rapide que le Leclerc
d’aujourd’hui) pourrait être simplifiée.
Je parle, par exemple, du retour de la barre de torsion comme élément de
suspension, d’un moteur conventionnel (un bon V12 diesel) dont la technologie
est complètement maîtrisée, qui pourraient faire l’affaire (en particulier s’il
y a quand même un bon rapport poids puissance). Il en va de même de la boîte de
vitesse et de transfert. Le poste de pilotage n’a pas besoin de ressembler à
celui d’un avion de chasse, l’essentiel étant de pouvoir le démarrer et de le
gérer a minima. La fiabilité est alors vitale. Certes, la gestion à la pièce
prêt ne sera pas de mise en raison d’absence de contrôle électronique, mais si
le véhicule se déplace quel que soit les conditions, il fera sûrement le
bonheur des équipages et du commandement qui se garantira des véhicules pour le
combat.
La fiabilité peut aussi être la conséquence de critères de combat moins complexes. Le char Leclerc, par exemple, est capable de détruire 6 chars en 1 minute en roulant à 60 km/h à 4000m. C’est magnifique mais cela ne sert pas à grand-chose… En premier lieu, à 60km/h, le char va très vite perdre l’avantage de distance d’engagement et se retrouver à porter de tir de ceux d’en face. De plus, il y a quand même une chance que l’un d’entre eux arrive à faire un tir au but sur notre Leclerc, ce qui risque fort de troubler son équipage! Si l’ennemi est posté, il faudra le chercher. Ce qui marche bien sur un pas de tir, ne fonctionne pas toujours de la même manière dans la vrai vie, surtout à 60km/h. Essayez, dans votre voiture, à cette vitesse, de repérer et de suivre un objet de 3m sur 2m à 1000m (plus c’est près, plus c’est difficile !!) quand celui-ci se trouve à vos 9h ou 3h et vous comprendrez la difficulté de la tâche, surtout sur un terrain compartimenté.
Je veux dire par là que la réalité du contact fera rouler
les équipages beaucoup plus lentement de toute façon, pour avoir le temps
d’observer, de cibler et de tirer. Ils n’auront besoin d’accélération et de
tirer rapidement qu’à courte distance, en combat de rencontre (souvent à moins
de 400m). On peut imaginer des armements puissants, mais ce sont les munitions
qui feront la différence. Intégrer de la haute technologie pour permettre des
tirs au-delà de la vue, par exemple, sera alors intéressant.
Ainsi, l’absence de technicité élevée dans la globalité du
char ne provoque pas forcément une perte de capacité opérationnelle. Le char
peut garder son niveau, surtout s’il est régulièrement mis à jour avec
pragmatisme. La formule permet de limiter les coûts de conception et de
production. Elle limite les risques technologiques et simplifie la gestion des
pièces détachées. L’argent économisé permet de produire plus de véhicules et
aide à l’exportation.
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