UKRAINE : Temps 1, l’échec de l’attaque
Si tu ignores à la fois ton ennemi et toi-même, tu ne compteras tes combats que par tes défaites.
Le lancement de « l’opération spéciale » russe en Ukraine est l’image d’Epinal du
combat soviétique. L’art de la guerre soviétique est le fruit des idées de
l’entre-deux guerres. Cet art de la guerre est principalement porté par l’idée
du combat en profondeur avec neutralisation des centres de décision, des moyens
de production et de communication, par des corps blindés rapides.
Il s’appuie ensuite sur l’expérience de la Seconde guerre mondiale avec la
création d’une armée blindée constituée de brigades interarmes avec un puissant
appui d’artillerie. La coordination et le tempo des actions offensives sur de
grand front permettent de déstabiliser la réponse de l’ennemi. La méthode
permet de conquérir de grands espaces rapidement. L’apogée de la méthode sera
l’offensive sur le territoire japonais en Chine en 1945 avec, en outre,
l’emploi de groupes opérationnels de manœuvre.
Pour arriver à imposer un rythme élevé, le système de
commandement est basé sur un canevas de missions (qui sont le fruit des
expériences de combats passés) connues de tous et qui sont menées de manière
mécanique. Il n’y a pas, ou quasiment pas, d’initiative des subordonnés. Seul
le général, au niveau opératif, peut faire preuve d’imagination. L’avantage du
système est que des officiers, même peu formés, peuvent accomplir les missions.
De plus, les ordres sont plus simples et plus rapides, car connus. La manœuvre
est ainsi plus rapide.
En 1956, la révolte de Budapest met en difficulté le pouvoir
soviétique. Celui-ci met alors au point une doctrine basée sur l’action
combinée de forces parachutistes, de commandos infiltrés, et d’un assaut
omnidirectionnel sur le pays cible. C’est cette méthode qui sera employée en
1968 à Prague, puis en 1979 en Afghanistan.
Cependant, à l’issue de chute du Mur, les compétences
soviétiques vont s’effriter et leurs capacités vont diminuer. La première
guerre de Tchétchénie est un échec sanglant. Il faut attendre l’arrivée de
Poutine et d’une nouvelle politique plus agressive pour voir renaître l’art
opératif soviétique. Les différentes réformes et la professionnalisation de
l’armée russe ont, par contre, modifié l’échelle des moyens alloués aux
opérations. Loin des divisions de fusiliers mécanisées, les forces russes mélangent
division et brigade comme elles mélangent professionnels et appelés du
contingent. Cela aura des conséquences graves dans le début de l’opération en
Ukraine.
En prélude à l’invasion de l’Ukraine en février 2022,
l’armée russe se met en place en Biélorussie à compter du 10 novembre pour des
exercices en janvier 2022. Il y aura environ 92000 soldats russes face à
l’Ukraine. Après des manœuvres avec son allié biélorusse, les forces se
préparaient à rentrer en Russie quand est ordonnée l’attaque sur l’Ukraine.
Ce 24 février aura lieu le début d’une guerre qui devait, en
principe, être rapide. Appliquant la doctrine soviétique, les Russes ont lancé
leurs parachutistes et leurs chars sur les routes d’Ukraine à un rythme très
précis d’horaires de passage. Des commandos devaient tuer le gouvernement. Des parachutistes devaient
prendre l’aéroport de Hostomel. Puis des avions de transport devaient
transporter des forces mécanisées parachutistes. Celles-ci devaient faire
tomber Kiev. Au même moment, de tous côtés, des brigades blindées
s’infiltraient pour neutraliser toute contre-attaque.
Mais ce n’est pas ce qui s’est passé. Les raisons de l’échec
initial sont multiples. En premier lieu, le plan choisi était un peu
« téléphoné ». Les officiers ukrainiens, mais aussi occidentaux,
connaissaient les doctrines russes. Restait simplement à savoir où cela aurait
lieu, et quelles forces seraient employées. Il fallait surtout savoir quand
cela aurait lieu. La manœuvre diplomatique a largement aidé les Ukrainiens à répondre
à cette dernière question.
Le reste est, si l’on peut dire, plus facile. Les Ukrainiens
ont protégé leurs forces de la première frappe en les dispersant (surtout les
avions). Ils ont, en grand secret, déployé leurs unités pour protéger les
objectifs des Russes. Ils ont mis en
place une défense en profondeur basée surtout sur des missiles antichars et
MANPADS.
Presque rien ne va marcher pour les Russes. Les appelés du
contingent ne devaient pas participer à l’opération. Ils sont donc retirés des
unités organiques quelques jours seulement avant le début de l’opération. Cela
va désorganiser des unités principalement celles qui sont en Biélorussie.
Celles-ci auraient dû s’organiser en BTG
(batalion tactical group), mais elles vont
partir de manière organique en
raison de la volonté de vitesse.
Le matériel russe non plus n’est pas à la hauteur. Les
véhicules viennent de faire presque 4 mois de manœuvres. Ils sont usés et
auraient besoin d’entretien. Les pneus des camions, en particulier d’origine
chinoise, vont poser beaucoup de problèmes. La corruption endémique n’a pas
permis à l’armée russe d’atteindre le niveau technologique souhaité. Par
exemple, les postes radio de dernière génération ne seront pas à niveau.
Il y a aussi la qualité des forces et leur nombre. Certes
les effectifs sont importants, mais l’armée russe manque de fantassins,
particulièrement dans l’infanterie mécanisée. Si les meilleurs soldats sont
dans les вдв (ou VDV, troupes parachutistes) et les
troupes de la marine, l’infanterie russe est pauvre, peu nombreuse et mal
équipée. Les chars sont en partie modernisés mais restent essentiellement des
chars des années 70, comme le T72 ou T80. Les Russes disposent d’environ 3000
chars en service au début de la guerre, dont 1600 engagés en Ukraine. C’est à
peine plus que les forces ukrainiennes. Normalement, le rapport de force pour
une attaque est de 1 défenseur pour 3 attaquants alors qu’ici, il est presque
de 1 pour 1.
Il faut ajouter le choix du jour de l’offensive. En
effet, c’est le début d’une raspoutitsa
qui va empêcher l’armée de manœuvrer hors des routes. Tout cela aurait pu être
surmonté si, en plus, il n’y avait pas eu la résistance ukrainienne. La mise en
place d’une défense antichar en profondeur va coûter très cher aux Russes. Avec
leurs MANPADS, les équipes ukrainiennes sol-air vont abattre les hélicoptères
et surtout les drones qui permettent le ciblage de l’artillerie. L’artillerie
russe restera étrangement silencieuse par manque de cibles et à cause d’une
organisation chaotique. La défense sol-air russe ne sera même pas mise en
place, si grande était la croyance au succès initial.
L’art opératif obtient quand même des succès. L’attaque à
partir de la Crimée avance vite et profondément. D’ailleurs, les unités, à la
différence de celles parties de Biélorussie, sont organiques, puisque sans
appelés. La conquête de Kherson en est la preuve. Dans le Donbass, les forces
séparatistes bousculent les Ukrainiens et encerclent Marioupol. Les Russes
attaqueront sur plusieurs fronts jusqu’au 24 mars, sommet de l’attaque
initiale.
Cela faisait un mois
que les Russes attaquaient sans arrêt.
Les forces sont usées, fatiguées et désorganisées en raison du trop grand
nombre d’officiers supérieurs neutralisés. Incapable de poursuivre, l’armée
russe va se concentrer sur le Donbass.
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