Chars occidentaux : un moyen de changer la donne ?
De quoi parle-t-on ? Changer la donne, c’est changer de façon significative la façon habituelle de penser ou d'agir. On peut dire que les HIMARS par exemple ont réellement changé les habitudes du champ de bataille. La question est de savoir si l’arrivée de chars occidentaux changera sensiblement la manière de faire la guerre.
Pour rappel, le char est une machine qui cumule trois
caractéristiques de base : la mobilité sur la base d’un train de roulement
chenillé, un blindage souvent passif et important et une puissance de feu avec
un canon de gros calibre au minimum de 75mm.
L’interaction entre l’armement, la protection, la masse et
la mobilité a rendu les chars occidentaux plus puissants et lourds que par le
passé. Le canon de 120 mm impose une masse minimum à l’engin en raison du poids
de l’arme et des effets du recul lors du tir. De plus, de nouveaux blindages lourds
imposent des motorisations plus performantes. Les Occidentaux sont arrivés aux
maximum de cette interaction avec des chars lourds ultra performants comme
l’Abrams et le Léopard 2 qui font plus de 60 tonnes, 1500 chevaux pour le
moteur, un canon de 120mm blindage composite. De plus, ces chars disposent d’une conduite de tirs très performante, de
moyens de communication numériques et de nombreux systèmes de protection
passive ou active.
La contrainte technologique poussée à son extrême oblige à
un soutien important pour s’assurer une disponibilité maximum. Ces chars sont
extrêmement consommateurs en carburants et ils ont besoin de pièces de rechange
en raison d’une mécanique soumise à un effort conséquent. Il faut aussi des
moyens de transport stratégiques ou opératifs, de moyens de franchissement
particuliers adaptés à leur masse.
Ces véhicules ont été conçus dans les années 1970 et mis en
services dans les années 1980. Ils ne sont pas plus récents que les véhicules
russes auxquels ils sont opposés.
Le T72 est un char conçu à la fin des années 1960 avec les
progrès de la technologie de l’époque. La principale nouveauté est un système
de chargement automatique monté en font de caisse. Il bénéficie d’un nouveau
concept de blindage composite de première génération et d’un canon de 125 mm.
Le T80 apparaît à la fin des années 1970 avec un nouveau blindage, une turbine
comme motorisation, et de nouvelles conduites de tir. Dans les années 80, les
Russes ont modernisé leurs chars avec la généralisation de la brique réactive
et du laser comme moyen télémètre. Le T90 apparaît au début des années 1990. En
fait, il s’agit d’une évolution du T72. Prenant en compte une nouvelle conduite
de tir, de la protection passive, active et réactive, le T90 a évolué en 2014
avec une nouvelle version appelé T90M dotée de nouveaux armements, bénéficiant d’une nouvelle évolution de la
conduite de tir, de la protection et de la mobilité. Les Russes ont fait
évoluer leurs chars en introduisant un nouvel engin tous les 10 ans.
Du coté occidental, si la base du M1 Abrams et du Leopard 2
sont restées les mêmes, eux aussi ont vu une évolution de leurs armements, de
leurs protections, de leurs motorisations, de leurs systèmes de conduite de tir
et Ils ont intégré la numérisation de
l’espace de bataille. Plus performants, ces engins sont tous au sommet de leurs
capacités, et dans cette guerre d’Ukraine, il s’agit de savoir si les chars
occidentaux vont réellement changer la donne.
La réponse vient d’ailleurs, elle vient des conflits au Moyen-Orient
où ces chars ont été engagés. Certes, il ne s’agissait pas des derniers modèles
mais le résultat n’a pas été très flatteur. Le Léopard 2 a connu le feu avec
les Turcs face aux islamistes et à l’armée syrienne. On parle de deux douzaines
de Léopard 2 détruits (au moins 10 de façon certaine).
Pour ce qui est du M1, lors de la guerre en Irak, les
Américains ont eu 770 chars touchés de diverses manières dont 80 chars
complètement détruits. Il n’y eut que 15 morts dans l’ensemble des équipages
montrant la qualité de protection du char. Vingt chars furent perdus par les
Saoudiens et une dizaine par les Irakiens. Globalement le char protège plus que
correctement son équipage mais reste très compliqué à soutenir. La consommation
en carburant est excessive ; le char trop lourd est fragile et a souvent
des problèmes techniques.
La question est de savoir si ces engins apporteront vraiment
un changement sur le champ de bataille ukrainien. Si on a vu des chars russes
s’enliser dans la terre noire d’Ukraine, il est certain que les chars
occidentaux auront le même problème, peut-être en pire. L’importance du soutien
mettra sans doute l’armée ukrainienne en difficulté. Le feu dans la profondeur
menacera la logistique et il y a grand risque de voir des chars abandonnés par
manque de soutien ou problème technique.
D’autre part, les armes russes menacent également ces
engins. La puissance de feu sur le champ de bataille ne laisse que peu de
chances de survie. La protection des chars occidentaux devrait les aider à survivre
sur le terrain, mais c’est leur capacité à durer et être performants dans le
conflit qui pourrait poser problème. Il est également impossible de savoir quel
comportement ces chars auront en situation de duel. La différence étant faible
entre la dernière génération de chars russes et les chars occidentaux, il
n’apparaît pas évident que ces derniers aient un avantage particulier sur les
premiers.
Dans l’absolu, il semble que les chars occidentaux ne
devraient pas faire une grande différence sur le champ de bataille. La
principale différence pour l’Ukraine
serait une intégration plus avancée dans l’OTAN.
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