UKRAINE LE 4e TEMPS
J’entends depuis les défaites russes à Kharkiv et Kherson que la guerre est déjà réglée et que les Ukrainiens défileront dans les rues de Sébastopol en février 2023. Chaque attaque ukrainienne arrive à percer les défenses mises en place par l’ennemi et un vent de déroute souffle sur les Russes vaincus et en retraite.
Mais voilà, comme toute offensive, chacune d’elle
s’essouffle, principalement en raison de l’action de l’artillerie et du
changement de saison. La « petite Raspoutitsa » a, en effet,
arrêté les petits véhicules à roues qui s’infiltraient partout.
Ce fut la fin de la 3e phase de la guerre.
La première fut l’offensive générale russe de février 2022 qui se solda par un
demi-échec. La seconde phase fut la bataille du Donbass avec la prise Lysychansk
et Sivierodonetsk qui fut une demi victoire russe, car les villes sont bien
tombées mais il n’y a pas eu de grande conquête d’espace. Enfin, la 3e
phase fut l’attaque ukrainienne qui surprit les Russes dans la région de
Kharkiv et qui se termine actuellement.
A quoi va ressembler la 4e phase à venir ?
D’un point de vue économique, le plan de sanctions appliqué
à la Russie n’a pas l’efficacité escomptée, puisque l’économie russe ne s’est
pas effondrée. Trois raisons expliquent l’échec des sanctions. D’abord, la Russie
a développé une agriculture efficace suite aux sanctions imposées en 2014 déjà en
réponse à la première intervention en Ukraine. Le niveau de vie des Russes n’a
pas changé avec le conflit et les produits de l’Occident, même importés, ont
été remplacés par des produits locaux ou des produits chinois. L’inflation est
élevée, mais les Russes ont déjà connu cela dans le passé.
La seconde raison qui explique l’impact limité des
sanctions, est que la Russie dispose de richesses énergétiques qui lui permettent
d’être entièrement autonome. Le pays n’est pas sensible aux variations du cours
de l’énergie ni aux risques de rupture d’approvisionnement.
La troisième raison est que, malgré les ruptures
d’approvisionnement en composants électroniques, l’industrie de défense arrive
à produire un équipement militaire divers et nombreux. La capacité à renouveler
les stocks d’armes permet à la Russie de durer dans ce conflit. De plus, elle
dispose de quelques « alliés » de circonstance qui lui fournissent de
l’aide pour poursuivre le combat.
Du coté ukrainien, la situation est plus complexe. Le
bombardement des installations électriques occasionne non seulement des
difficultés pour les particuliers mais aussi pour les entreprises qui
soutiennent le conflit. La situation est également difficile pour les chemins
de fer indispensables aux approvisionnements en matériel occidental et au
déplacement de troupes. Il est nécessaire de remplacer les machines électriques
par des machines diesel beaucoup moins nombreuses. Du côté de l’Occident, le
problème vient des stocks d’armes disponibles immédiatement. L’Europe a donné
tout ce qu’elle pouvait donner et les stocks de matériel sont maintenant au
plus bas.
Les armes données par l’OTAN sont bien meilleures et,
cumulées au renseignement, permettent une efficacité certaine. Le problème est
qu’il faut un soutien plus important car ces armes n’ont pas été conçues pour
un rythme de combat aussi élevé. Les chaînes de production occidentales ne sont
pas configurées pour la production de masse de nouveau matériel. Il y a aura un
délai entre la fin de la fourniture d’équipements sortis des stocks et l’arrivée
d’équipements nouveaux sortis de chaînes. Ce délai sera à la faveur des Russes.
Des fractures politiques
La question se pose aussi de la résilience non pas du peuple
ukrainien, mais des peuples européens et occidentaux en général, à continuer la
guerre. En effet, ces derniers subissent indirectement les sanctions de leurs
dirigeants contre la Russie. Ils soutiennent dans leur majorité la guerre
contre la Russie, mais les conséquences économiques (d’ailleurs pas uniquement
imputables aux sanctions) pourraient faire basculer les populations. Le risque
d’escalade entre la Russie et l’OTAN fait craindre un conflit nucléaire. Les
peuples européens ne risqueront pas leurs nations pour l’Ukraine.
Du côté américain, les buts de guerre sont déjà atteints,
c’est-à-dire l’affaiblissement de la Russie mais aussi la fin de la fourniture
de gaz et de pétrole pas chers à l’Europe. La guerre a aussi augmenté la
dépendance des Européens envers les Etats Unis. En effet, ne disposant pas de
stocks et surtout ne disposant pas immédiatement d’industrie capable de
produire des armes, l’UE est complétement inféodée aux USA. Cette position crée
un clivage interne au sein de l’UE qui pourrait voir exploser l’Europe et
l’OTAN.
Du côté russe, si la situation politique parait plus facile,
les mouvements d’opposition interne sont minimes, mais pourraient peser si les
pertes humaines en rappelés sont trop élevées. La mobilisation, même réussie,
n’est pas populaire. L’armée russe n’a pas réussi a gagner seule. Les
interventions de Prigogine contre le fonctionnement de cette armée met en
tension les relations entre les hommes de Poutine. L’armée doit reprendre la
main et avoir des succès. Les visites de Shoïgu et de Gerasimov sur le front servent
a vérifier que l’investissement consenti ne tombe pas dans les mains de
quelques chefs véreux.
Du point vue international, l’Organisation du Traité de
Sécurité Collective ou OTSC, dirigée par la Russie, a vu des dirigeants se
montrer plus vindicatifs envers Poutine. Dans un monde où l’on respecte
« l’homme fort », les défaites sont vues comme un élément de
faiblesse. Les alliances avec l’Iran, et la Corée du Nord lui permettent
d’avoir un renfort en armes et munitions. La Syrie fournit des volontaires.
La Chine, par contre,
ne voit pas d’un bon œil la guerre en
Ukraine car elle handicape son économie. Surtout, la Chine a été déçue par
l’intervention russe. Elle voudrait en finir au plus vite avec ce conflit.
Sur la ligne de front
La situation, actuellement, se fige. Les lignes de défense
creusées sur la profondeur du champ de bataille rendent toute offensive
complexe. Les Ukrainiens ont consommé une partie de leur potentiel militaire.
La question est de savoir s’ils sont capables de poursuivre leurs offensives
durant les semaines ou les mois qui viennent. Le bombardement russe sur les
arrières complexifie les approvisionnements et les manœuvres opératives.
Tactiquement meilleurs que les Russes, les Ukrainiens ont de multiples atouts.
Cependant, sur le terrain, il y a des changements du côté russe.
Si les Russes ne s’adaptèrent pas beaucoup par rapport à la
nature du conflit dans les 6 premiers mois de la guerre, l’offensive
ukrainienne révèle juste des évidences sur l’état de l’armée. Incapables de
réagir et de contre-attaquer, les Russes se montrent en dessous de tout. La
réponse vient avec le changement de chef et de tactique. Petit à petit, des
renforts issus de la mobilisation sont jetés dans la bataille pour
« boucher les trous ». Mais il y a aussi l’arrivée lente de nouveaux
équipements comme les drones kamikazes
Lancet qui frappent dans les arrières ukrainiens.
Il y a aussi des changements de tactique. Imitant les
Ukrainiens, les Russes privilégient l’infiltration à l’attaque brusque. Les
pièces d’artillerie qui, auparavant, restaient fixes, tirent et se déplacent
pour éviter le tir de contre batterie. Le circuit entre l’observateur et l’artilleur
est plus court, voire direct. Le temps de riposte est plus rapide et précis. Il
y a aussi un changement de doctrine. Le choix est fait de former les soldats
pour la mission qu’ils vont exécuter. Ce choix doit optimiser l’effet des
soldats sur le terrain. Actuellement, les offensives limitent les pertes
humaines par l’utilisation constante de l’artillerie.
Même dans le domaine des attaques en profondeur, les Russes
utilisent la ruse pour user les défenses sol-air en enclenchant des tirs de
missiles leurres. Une fois les missiles sol-air tirés, les vraies frappes
arrivent et détruisent leurs objectifs. Les conséquences sont que les stocks de
missiles sol-air ukrainiens, lui aussi, fond très vite.
Des images montrent l’arrivée de 50 T90M, de nouveaux T72B3M
2022, de nouveaux radars anti drone, de nouveaux missiles du côté russe. Tous ces
équipements devraient permettre de rééquilibrer le combat. Le temps joue à
court terme pour les Russes car ils sont capables de sortir de nouveaux
équipements plus rapidement que l’OTAN. Ce facteur est essentiel dans la guerre
d’usure qui se joue ici.
Alors, on peut se demander à quoi va ressembler le 4e
temps. Je crois possible une offensive ukrainienne mais je ne crois pas à une
débâcle russe comme en octobre. Cette offensive russe pourrait avoir lieu sur
de multiples fronts, dans les semaines qui viennent au moment où les aides de
l’OTAN seront les moins nombreuses. La guerre va encore durer et la paix n’est
sans doute pas pour demain. Du point de vue de l’endurance, la Russie a pour
l’instant l’avantage. La guerre étant vue comme une guerre civilisationnelle et
existentielle par les Russes, il leur est impossible de perdre. Les Ukrainiens,
malgré leur volonté ferme de se libérer des Russes, risquent de voir l’aide
occidentale diminuer à cause de la récession qui va toucher les économies
européennes et américaine. Il est probable que la guerre basculera alors définitivement
du côté russe. Mais cela n’est que pure spéculation.
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